ACTE QUATRIÈME
La Chambre de Marguerite
SCÈNE I
Marguerite, seul.
N° 19 - Marguerite au Rouet
MARGUERITE
elle s'approche de la fenêtre et écoute.
Elles ne sont plus là! – Je riais avec elles
Autrefois! … Maintenant …
VOIX DE JEUNES FILLES
dans la rue
Le galant étranger s'enfuit … et court encor.
Ah! ah! ah!
Elles s'éloignent en riant.
MARGUERITE
Elles se cachaient! Ah! cruelles!
Je ne trouvais pas d'outrage assez fort
Jadis pour les péchés des autres! …
Un jour vient où l'on est sans pitié pour les nôtres!
Je ne suis que honte à mon tour!
Et pourtant, Dieu le sait, je n'était pas infâme;
Tous ce qui t'entraîna, mon âme,
n’était que tendresse et qu’amour !
Il ne revient pas,
j’ai peur, je frissonne,
je languis, hélas !
En vain l’heure sonne,
il ne revient pas !
Où donc peut-il être ?
Seule, à ma fenêtre,
je plonge là-bas
mon regard, hélas !
Où donc peut-il être ?
Il ne revient pas !
Je n’ose me plaindre,
il faut me contraindre,
je pleure tout bas.
S’il pouvait connaître
ma douleur, hélas !
Où donc peut-il être ?
Il ne revient pas !
Ah, le voir ! Entendre
le bruit de ses pas !
Mon cœur est si las,
si las de l’attendre !
Il ne revient pas !
Mon seigneur ! Mon maître !
S’il allait paraître !
Quelle joie ! Hélas !
Où donc peut-il être ?
Il ne revient pas !
Elle laisse tomber sa tête sur sa poitrine et fond en larmes. Le fuseau s'échappe de ses mains.
SCÈNE II
Siebel, Marguerite.
N° 20 - Scène et Récitatif
SIEBEL
Marguerite!
MARGUERITE
Siebel!
SIEBEL
Encor des pleurs!
MARGUERITE
Hélas! vous seul ne me maudissez pas.
SIEBEL
Je ne suis qu'un enfant, mais je le cœur d'un homme.
Et je vous vengerai de son lâche abandon!
Je le tuerai!
MARGUERITE
Qui donc?
SIEBEL
Faut-il que je le nomme?
L'ingrat qui vous trahit!
MARGUERITE
Non, taisez-vous!
SIEBEL
Pardon, vous l'aimez encore?
MARGUERITE
Oui! Toujours! mais ce n'est pas à vous
De plaindre mon ennui.
J'ai tort, Siebel, de vous parler de lui.
Siebel lui prend la main.
SIEBEL
Si le bonheur à sourire t'invite,
Joyeux alors, je sens un doux émoi,
Si la douleur t'accable, Marguerite,
Je pleure alors, je pleure comme toi.
Comme deux fleurs sur une même tige
Notre destin suivait le même cours
De tes chagrins en frère je m'afflige,
O Marguerite! comme une sœur je t'aimerai toujours!
MARGUERITE
remerciant Siebel.
Soyez béni, Siebel! votre amitié m'est douce!
Ceux dont la main cruelle me repousse,
N'ont pas fermé pour moi les portes du saint lieu;
J'y vais pour mon enfant ... et pour lui prier Dieu!
Elle sort.
SCÈNE III
Changement de scène: l'église.
Marguerite, Méphistophélès, chœur
N° 21 - Scène de l'Eglise
MARGUERITE
vient et s'agenouille près d'un pilier.
Seigneur, daignez permettre à votre humble servante
De s'agenouiller devant vous!
LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS
Non!
Tu ne prieras pas! … Frappez-la d'épouvante!
Esprits du mal, accourez tous!
CHŒUR DE DÉMONS
Marguerite!
MARGUERITE
Qui m'appelle?
CHŒUR DE DÉMONS
Marguerite!
MARGUERITE
Je chancelle! Je meurs!
Dieu bon! Dieu clément!
Est-ce déjà l'heure du châtiment?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Souviens-toi du passé, quand sous l’aile des anges,
abritant ton bonheur,
tu venais dans son temple, en chantant ses louanges
adorer le Seigneur !
Lorsque tu bégayais une chaste prière
d’une timide voix,
et portais dans ton cœur les baisers de ta mère,
et Dieu tout à la fois !
Écoute ces clameurs ! C’est l’enfer qui t’appelle !
C’est l’enfer qui te suit !
C’est l’éternel remords, c’est l’angoisse éternelle
dans l’éternelle nuit !
MARGUERITE
Dieu ! quelle est cette voix qui me parle dans l’ombre
Dieu tout-puissant !
Quel voile sombre sur moi descend !
CHANT RELIGIEUX
Quand du Seigneur le jour luira,
sa croix au ciel resplendira,
et l’univers s’écroulera.
MARGUERITE
Hélas ! ce chant pieux est plus terrible encore.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Non, Dieu pour toi n'a plus de pardon!
Le ciel n'a plus d'aurore!
Non, … non!
CHANT RELIGIEUX
Que dirai-je alors au Seigneur?
Où trouverai'je un protecteur,
Quand l'innocent n'est pas sans peur!
MARGUERITE
Ah! ce chant m'étouffe et m'oppresse!
Je suis dans un cercle de fer!
MÉPHISTOPHÉLÈS
Adieu les nuits d'amour et les jour pleins d'ivresse!
A toi malheur! … à toi l'enfer!
Il disparait.
MARGUERITE ET LE CHŒUR RELIGIEUX
Seigneur, accueillez la prière,
Des cœurs malheureux!
Qu'un rayon de votre lumière
Descende sur eux!
LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS
Marguerite!
Sois maudite!
MARGUERITE
pousse un cri et tombe évanouie sur les dalles.
Ah!
LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS
A toi l'enfer!
SCÈNE IV
Changement de scène. La rue. A droite, la maison de Marguerite; à gauche, une église.
Marthe, Siebel; puis Valentin et Soldats.
N° 22 - Chœur des soldats
CHŒUR
Déposons les armes;
Dans nos foyers enfin nous voici revenus!
Nos mères en larmes
Nos mères et nos sœurs ne nous attendront plus!
VALENTIN
apercevant Siebel.
Eh! parbleu! c'est Siebel!
SIEBEL
embarrassé.
En effet, je –
VALENTIN
Viens vite, viens dans mes bras!
Il e'mbrasse.
Et Marguerite?
SIEBEL
Elle est à l'église, je croi.
VALENTIN
Oui, priant Dieu pour moi! ....
Chère sœur! comme elle va préter une oreille attentive,
Au récit de nos combats!
LE CHŒUR
Oui, c'est plaisir, dans les familles,
De conter aux enfants qui frémissent tout bas,
Aux vieillards, aux jeunes filles,
La guerre et ses combats!
Gloire immortelle
De nos aïeux
Sois-nous fidèle,
Mourons comme eux!
Et sous ton aile,
Soldats vainqueurs,
Dirige nos pas, enflamme nos cœurs!
Pour toi, mère patrie,
Affrontant le sort
Tes fils, l'âme aguerrie,
Ont bravé la mort!
Ta voix sainte nous crie:
En avants, soldats!
Le fer à la main, courrez aux combats!
Gloire immortelle
De nos aïeux,
Sois-nous fidèle,
Mourons comme eux!
Et sous ton aille,
Soldats vainqueurs,
Dirige nos pas, enflamme nos cœurs!
Vers nos foyers hâtons le pas!
On nous attend; la paix est faite!
Plus de soupirs! ne tardons pas!
Notre pays nous tend les bras!
L'amour nous rit, l'amour nous fête!
Et plus d'un cœur fremit tous bas
Au souvenir de nos combats!
Gloire immortelle
De nos aïeux,
Sois-nous fidèle,
Mourons comme eux!
Et sous ton aile,
Soldats vainqueurs,
Dirige nos pas, enflamme nos cœurs!
Le chœur s'éloigne.
SCÈNE V
Valentin, Siebel
N° 23 - Récitatif
VALENTIN
Allons, Siebel, entrons dans la maison!
Le verre en main, tu me feras raison!
SIEBEL
Non! n'entre pas!
VALENTIN
Pourquoi? tu detourne la tête?
Ton regard fuit le mien! Siebel, explique-toi!
SIEBEL
Eh bien! … non, je ne puis!
VALENTIN
Que veux-tu dire?
SIEBEL
Arrête! Sois clement, Valentin!
VALENTIN
Laisse-moi! laisse-moi!
Ils entre dans la maison.
SIEBEL
Pardonne-lui!
Mon Dieu! je vous implore! Mon Dieu!
SCÈNE VI
Faust, Méphistophélès une guitarre sous son manteau
MÉPHISTOPHÉLÈS
Qu'attendez-vous encore?
Entrons dans la maison!
FAUST
Tais-toi, maudit! … j'ai peur
De rapporter ici la honte et le malheur!
MÉPHISTOPHÉLÈS
A quoi bon la revoir, après l'avoir quittée!
Notre présence ailleurs serait bien mieux fêtée!
Le sabbat nous attend!
FAUST
Marguerite!
MÉPHISTOPHÉLÈS
Je vois que mes avis sont vains et que l'amour l'emporte!
Mais pour vous faire ouvrir la porte,
Vous avez grand besoin du secours de ma voix.
N° 24 - Sérénade
MÉPHISTOPHÉLÈS
écartant son manteau et s'accompagnant de sa guitarre.
Vous qui faites l'endormie
N'entendez-vous pas,
O Catherine, ma mie,
Ma voix et mes pas? …
Ainsi ton galant t'appelle,
Et ton cœur l'en croit! …
N'ouvre la porte, ma belle,
Que la bague au doigt.
FAUST
parle
Par l'enfer, tais-toi!
MÉPHISTOPHÉLÈS
Catherine que j'adore,
Pourquoi refuser
A l'amant qui vous implore
Un si doux baiser?
Ainsi ton galant supplie
Et ton cœur l'en croit! …
Ne donne un baiser, ma mie,
Que la bague au doigt! …
SCÈNE VII
Les Mêmes, Valentin
N° 25 - Trio du Duel
Valentin sort de la maison
VALENTIN
Que voulez-vous, Messieurs?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Pardon! mon camerade,
Mais ce n'est pas pour vous qu'était la sérénade!
VALENTIN
Ma sœur l'écouterait mieux que moi, je le sais!
Il dégaine et brise la guitarre de Méphistophélès d'un coup d'épée.
FAUST
Sa sœur!
MÉPHISTOPHÉLÈS
Quelle mouche vous pique?
Vous n'aimez donc pas la musique?
VALENTIN
Assez d'outrage! … assez! …
A qui de vous dois-je demander compte
De mon malheur et de ma honte? …
Qui de vous deux doit tomber sous mes coups?
MÉPHISTOPHÉLÈS
Vous le voulez? – Allons, docteur, à vous! …
Ils tirent les épées.
Tu t'en repentiras!
VALENTIN
Redouble, ô Dieu puissant,
ma force et mon courage !
Permets que dans son sang
je lave mon outrage !
FAUST
à part
Terrible et frémissant,
il glace mon courage !
Dois-je verser le sang
du frère que j’outrage ?
MÉPHISTOPHÉLÈS
De son air menaçant,
de son aveugle rage,
je ris ! Mon bras puissant
va détourner l’orage !
VALENTIN
tirant de son sein la médaille que lui a donnée Marguerite
Et toi qui préservas mes jours,
toi qui me viens de Marguerite,
je ne veux plus de ton secours,
médaille maudite !
Il jette la médaille loin de lui.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Tu t’en repentiras !
FAUST
Terrible et frémissant, etc.
VALENTIN
Redouble, ô Dieu puissant, etc.
MÉPHISTOPHÉLÈS
De son air menaçant, etc.
VALENTIN
En garde! … et défends-toi! …
MÉPHISTOPHÉLÈS
à Faust.
Serrez-vous contre moi!
Et poussez seulement, cher docteur, moi, je pare.
Ils se battent. Au quatrième échange, Méphistophélès écarte l’épée de Valentin et Faust trompe sa garde et le touche. Valentin tombe.
MÉPHISTOPHÉLÈS
Voici notre héros étendu sur le sable.
Au large maintenant! ... au large! ...
Il entraîne Faust.
SCÈNE VIII
Marthe, Valentin, Bourgeois; puis Marguerite et Siebel.
N° 26 - Mort de Valentin
MARTHE ET LE CHŒUR
Par ici, mes amis! on se bat dans la rue! …
L'un deux est tombé là, regardez … le voici! …
Il n'est pas encore mort! … on dirait qu'il remue!
Vite, approchons! … il faut le secourir!
VALENTIN
Merci!
Des vos plaintes, faites-moi grace! …
J'ai vu, morbleu! la mort en face
Trop souvent pour en avoir peur! …
Marguerite parait au fond soutenue de Siebel.
MARGUERITE
Valentin! Valentin!
Elle tombe à genoux près de Valentin.
VALENTIN
Marguerite! ma sœur! …
Que me veux-tu?
Il la repousse.
Va-t'en!
MARGUERITE
O Dieu!
VALENTIN
Je meurs pour elle! …
J'ai sottement
Cherché querelle
A son amant!
CHŒUR
Son amant!
SIEBEL
Grâce! grâce! pour elle!
MARGUERITE
Douleur cruelle! ô châtiment! …
CHŒUR
Il meurt pour elle!
SIEBEL
Grâce, grâce! soyez clément!
CHŒUR
Il meurt, frappé par son amant!
VALENTIN
se soulevant, soutenu par eux qui l'entourent.
Écoute-moi bien, Marguerite:
solennellement
Ce qui doit arriver arrive à l'heure dite!
La mort nous frappe quand il faut,
Et chacun obéit aux volontés d'en haut!
Toi! … te voilà dans la mauvaise voie! …
Tes blanches mains ne traveilleront plus!
Tu renîras, pour vivre dans la joie,
Tous les devoirs et toutes les vertus! …
Oses-tu bien encor,
Oses-tu misérable,
Garder ta chaîne d'or? …
Marguerite arrache la chaîne qu'elle porte au cou et la jette loin d'elle.
Va! … la honte t'accable!
Le remords suit tes pas! …
Mais enfin! … l'heure sonne!
Meurs! … et si Dieu te pardonne
Sois maudite ici-bas!
SIEBEL, MARTHE ET LE CHŒUR
O terreur, ô blasphème,
A ton heure suprème,
Infortuné!
Songe, helas! à toi-même
Pardonne, si tu veux être un jour pardonné! …
VALENTIN
Marguerite
Sois maudite!
La mort t'attend sur ton grabat! …
Moi, je meurs de ta main, et je tombe en soldat!
Il meurt. On l'emporte dans la maison. Siebel entraine Marguerite éperdue.
CHŒUR
Que le seigneur ait son âme
Et pardonne au pêcheur! –