CINQUIÈME ACTE
Le tombeau des Capulets
N° 19 - Entr'acte
N° 19bis - Scène
Une crypte souterraine (ça et là des tombeaux)
FRÈRE LAURENT
Eh bien! ma lettre à Roméo?
FRÈRE JEAN
Son page,
Attaqué par les Capulets, vient d'être ranimé blessé
Dans le palais de son maître, et n'a pu s'acquitter du message.
Voici la lettre.
FRÈRE LAURENT
Ô funeste hasard!
Qu'un autre messager parte cette nuit même!
Venez! chaque instant de retard
Nous jette en un péril extrême!
N° 20 - Le sommeil de Juliette
Le tombeau
N° 21 - Scène et Duo
Au bout d'un moment, on entend le bruit d'un lever ébranlant la porte. La porte cède avec bruit. Roméo paraît.
ROMÉO
C'est là!
avec un sentiment de terreur
Salut! tombeau sombre et silencieux!
Un tombeau! non! non! ô demeure plus belle
Que le séjour même des cieux!
Salut! palais splendide et radieux!
apercevant Juliette, et s'elançant vers le tombeau
Ah! la voilà! c'est elle!
Viens, funèbre clarté! viens l'offrir à mes yeux.
prenant la lampe funéraire
O ma femme! O ma bien-aimée!
La mort en aspirant ton haleine ambaumée
N'a pas altéré ta beauté!
Non! non! cette beauté que j'adore
Sur ton front calme et pur semble régner encore
Et sourire à l'éternité!
Il repose la lampe sur le tombeau.
Pourquoi me la rends-tu si belle,
O mort livide?
Est-ce pour me jeter plus vite dans ces bras?
Va! c'est le seul bonheur
Dont mon cœur soit avide!
Et ta proie aujourd'hui ne t'échappera pas.
regardant autour de lui
Ah! je ne contemple sans crainte,
Tombe où je vais enfin près d'elle reposer!
se penchant vers Juliette
O mes bras, donnez-lui votre dernière étreinte!
Mes lèvres, donnez-lui votre dernier baiser!
Il embrasse Juliette, puis, tirant de son sein un petit flacon en métal et se tournant vers Juliette
A toi, ma Juliette!
Il vide le flacon d'un trait et le jette.
JULIETTE
s'éveillant peu à peu
Où suis-je?
ROMÉO
tournant les yeux vers Juliette
O vertige!
Est-ce un rêve?
Sa bouche a murmuré!
saisissant la main de Juliette
Mes doigts en frémissant
Ont senti dans les siens la chaleur de son sang!
Juliette regarde Roméo d'un air égaré.
Elle me regarde et se lève!
JULIETTE
soupirant
Roméo!
ROMÉO
Seigneur Dieu tout-puissant!
Elle vit! Elle vit! Juliette est vivante!
JULIETTE
reprenant peu à peu ses sens
Dieu! Quelle est cette voix, dont la douceur m'enchante?
ROMÉO
C'est moi! c'est ton époux
Qui tremblant de bonheur embrasse tes genoux!
Qui ramène à ton cœur la lumière enivrante
De l'amour et des cieux!
JULIETTE
se jetant dans les bras de Roméo
Ah! c'est toi!
ROMÉO
Viens! viens, fuyons tous deux!
JULIETTE
O bonheur!
LES DEUX
Viens! fuyons au bout du monde!
Viens, soyons heureux,
Fuyons tous deux
Viens!
Dieu de bonté! Dieu de clémence!
Sois béni par deux cœurs heureux!
ROMÉO
chancelant
Ah! les parents ont tous des entrailles de pierre!
JULIETTE
Que dis-tu, Roméo?
ROMÉO
Ni larmes, ni prière,
Rien, rien ne peut les attendrir!
À la porte des cieux!
Juliette, à la porte des cieux! et mourir!
JULIETTE
Mourir! Ah! la fièvre t'égare!
De toi quel délire s'empare?
Mon bien-aimé, rappelle ta raison!
ROMÉO
Hélas!
Je te croyais morte et j'ai bu ce poison!
JULIETTE
Ce poison! Juste ciel!
ROMÉO
serrant Juliette dans ses bras
Console-toi, pauvre âme,
Le rêve était trop beau!
L'amour, céleste flamme,
Survit même au tombeau!
Il soulève la pierre
Et, des anges béni,
Comme un flot de lumière
Se perd dans l'infini.
JULIETTE
égarée
O douleur! ô torture!
ROMÉO
d'une voix plus faible
Écoute, ô Juliette!
L'alouette déjà nous annonce le jour!
Non! non, ce n'est pas le jour, ce n'est pas l'alouette!
C'est le doux rossignol, confident de l'amour?
Il glisse des bras de Juliette et tombe sur les degrés du tombeau.
JULIETTE
ramassant le flacon
Ah! cruel époux! de ce poison funeste
Tu ne m'as pas laissé ma part.
Elle rejette le flacon et portant la main à son cœur, elle y rencontre le poignard qu'elle avait caché sous ses vêtements, et l'en tire d'un jeste rapide.
Ah! fortuné poignard,
Ton secours me reste!
Elle se frappe.
ROMÉO
se relevant à demi
Dieu! qu'as-tu fait?
JULIETTE
dans les bras de Roméo
Va! ce moment est doux!
Elle laisse tomber sur le poignard.
O joie infinie et suprême
De mourir avec toi! Viens! un baiser! je t'aime!
LES DEUX
se relevant tous deux à demi dans un dernier effort
Seigneur, Seigneur, pardonnez-nous!
Ils meurent.