Parlé
(Sulpice arrive, les surprenant au moment où Tonio embrasse Marie)
SULPICE
Ah! mille z'yeux!
Encore le tyrolien!
HORTENSIUS
(Entre, accompagnant la marquise. Il lui montre Sulpice)
Voilà l'officier français en question.
N'ayez pas peur... Il est fort laid,
mais très aimable!
LA MARQUISE
(Tremblant)
Rien que l'habit me fait mal aux nerfs!
HORTENSIUS
(à Sulpice, présentant la marquise)
C'est madame la marquise
qui demande vous parler.
SULPICE
Corbleu la belle plante!
LA MARQUISE
(À Sulpice)
Oui, monsieur le capitaine...
SULPICE
(Flatté par ce titre)
Merci!
(À part)
Elle me fait monter en garde.
LA MARQUISE
(Disant directement ses désirs)
Monsieur le capitaine,
J'ai pensé que vous accepteriez de
me faire protéger
Jusqu'à mon château.
Il n'est d'ailleurs pas loin: de
cette montagne, on peut apercevoir les tours
de Berkenfield.
SULPICE
(surpris par un pensée)
Votre château,
vous le nommez?
LA MARQUISE
Hé! mais du même nom. que moi: Berkenfield
SULPICE
(À la Marquise)
Vous! Sacrebleu! il se pourrait...
Quel rapport
entre ce nom-là et celui du Robert?
LA MARQUISE
(Surprise)
Plaît-il? Le capitaine Robert?
SULPICE
Un français!...Vous avez connu?
LA MARQUISE
Beaucoup, monsieur!
(Se reprenant)
C'est-à-dire, non pas moi,
mais une personne de ma famille...
ma soeur
Oui, monsieur, c'était ma soeur!
SULPICE
Et cette soeur?
LA MARQUISE
Elle n'existe plus! Mais de ce mariage
avec ce français, naquit un enfant...
SULPICE
Une fille!
LA MARQUISE
Comment savez-vous?
En effet, une pauvre enfant que le capitaine
m'adressait avant de mourir...
Mais le vieux serviteur
à qui elle fut confiée y perdit la vie,
Et la seule héritière de ma fortune
et de mon nom...
SULPICE
Votre nièce?
LA MARQUISE
Qui serait baronne aujourd'hui...
Perdue, abandonnée,
écrasée dans la foule,
Morte, la pauvre enfant!
SULPICE
Sauvée, Sauvée, madame de Berkenfield!
LA MARQUISE
(À Hortensius)
Ah! man Dieu! Monsieur, soutenez-moi!
SULPICE
Mais non, madame de Berkenfield!
Sauvée, grâce à nous!
LA MARQUISE
Vous la connaissez donc?
SULPICE
Si je la connais!
LA MARQUISE
Monsieur, rendez-moi ma nièce,
car vous avez la preuve, n'est-ce pas?
SULPICE
Certainement, madame.
Cette lettre moi je n'ai pas pu la lire.
LA MARQUISE
Comment?
Vous ne savez pas lire?
SULPICE
Non, madame, je ne sois pas lire.
Mais je sois écrire, c'est bien plus difficile.
Les autres, les savants, prétendent qu'avec cette lettre personne
ne doutera de ce qu'est notre Marie.
LA MARQUISE
Marie? Elle est loin d'ici?
SULPICE
A deux pas.
MARIE
(paraissant au fond)
Corbleu!Qui est donc cette dame?
SULPICE
Elle dit... elle dit; mon enfant...
(Il la pousse dans les bras de la marquise)
Elle dit que tu es sa nièce.
MARIE
(Riant)
Ma tante! Vous êtes ma tante?
Ah! Sacrebleu!
LA MARQUISE
(Très impressionnée)
Ah! man Dieu! elle jure!
HORTENSIUS
(À part)
Quelle éducation!
MARIE
(À la marquise)
Si vous êtes ma tante,
je vais vous présenter mon père...
Le régiment tout entier!
LA MARQUISE
Plus tarde, plus tard...
(Bas à Hortensius)
Il faut l'enlever à ces gens-là.
HORTENSIUS
(Bas à la marquise)
Le plus vite possible!
LA MARQUISE
(À Marie)
Mademoiselle... mademoiselle Marie!
(Flattée, Marie fait des grâces)
Il faut que vous repreniez le titre
et le rang qui vous conviennent,
et vous allez me suivre à l'instant.
MARIE
Vous suivre! les abandonner... C'est impossible.
LA MARQUISE
Je le désire, et, au besoin, je le veux!
MARIE
Et de quel droit, madame?
LA MARQUISE
(Émue)
De celui que votre malheureux père m'a donné
sur vous en mourant.. Lisez..
MARIE
Mon père!
SULPICE
(ému, à Marie)
Allons! du courage.... il le faut!
(Il va au fond parler à un tambour qui paraît)
MARIE
Et bien, oui! je partirai,
mais vous viendrez tous avec moi...Tous!
HORTENSIUS
(À part)
Miséricorde! un régiment!
LA MARQUISE
Silence! nous resterons! Hortensius, louez cette maison.
Nous resterons quelques semaines,
le temps pour vous de perdre ces manières soldatesques.
Et que je ne voie personne sous mes balcons.
Venez, ma nièce... Hâtez-vous, Hortensius!
SULPICE
Hâte-toi, Hortensius!
(La marquise et Marie, puis Sulpice, entrent dans la chaumière. Le tambour résonne. Les soldats accourent de tous côtés)
Musique
Choeur
CAPORAL, SOLDATS
Rataplan, rataplan, plan, plan!
Quand le son charmant
Du tambour bruyant
Nous appelle au régiment,
Rataplan, rataplan, rataplan,
Chaque coeur à l'instant
D'un doux battement
À ce roulement
Fait l'accompagnement,
Rataplan, plan, plan!
Vive la guerre et ses alarmes!
Et la victoire et ses combats!
Vive la mort, quand, sous les armes,
On la trouve en brave soldat!
Rataplan, vive la guerre!
Rataplan, vive la morte!
Parlé
LE CAPORAL
(Regardant au fond)
Qui nous arrive là? Eh, Eh!
C'est le jeune paysan de ce matin,
une nouvelle recrue, un nouveau soldat!
Musique
Cavatine
(Tonio parait: il porte la cocarde française à son bonnet)
TONIO
Ah! mes amis, quel jour de fête!
Je vais marcher sous vos drapeaux.
L'amour, qui m'a tourné la tête.
Désormais me rend un héros,
Ah! quel bonheur, oui, mes amis,
Je vais marcher sous vos drapeaux!
Qui, celle pour qui je respire,
A mes voeux a daigné sourire
Et ce doux espoir de bonheur
Trouble ma raison et man coeur! Ah!
LE CAPORAL
Le camarade est amoureux!
(Les soldats rient)
TONIO
Et c'est vous seuls que j'espère.
CAPORAL, SOLDATS
Quoi! c'est notre enfant que tu veux!
TONIO
Écoutez-moi, écoutez-moi.
Messieurs son père, écoutez-moi,
Car je sais qu'il dépend de vous
De me rendre ici son époux.
CAPORAL, SOLDATS
Notre fille qui nous est chère
N'est pas, n'est pas pour un ennemi.
Non! Il lui faut un meilleur parti,
Telle est la volonté d'un père.
TONIO
Vous refusez?
CAPORAL, SOLDATS
Complètement.D'ailleurs, elle est promise...
LE CAPORAL
... a notre régiment...
LES SOLDATS
... a notre régiment...
TONIO
(Avec force)
Mais j'en suis, puisqu'en cet instant
Je viens de m'engager, pour cela seulement!
CAPORAL, SOLDATS
Tant pis pour toi!
TONIO
Messieurs son père...
LES SOLDATS
Tant pis pour toi!
TONIO
... écoutez-moi!
CAPORAL, SOLDATS
Tant pis pour toi!
TONIO
Ma votre fille m'aime!
CAPORAL, SOLDATS
(Avec surprise)
Se pourrait-il! quoi! notre enfant!
TONIO
Elle m'aime, vous dis-je, j'en fais serment!
CAPORAL, SOLDATS
Eh! quoi... notre Marie...
TONIO
Elle m'aime, j'en fais serment!
CAPORAL, SOLDATS
Que dire, que faire?
Puisqu'il a su plaire, Il faut, en bon père
Ici, consentir. Mais pourtant j'enrage,
Car c'est grand dommage
De l'unir avec
Un pareil blanc-bec!
Oui, c'est un grand dommage!
TONIO
Eh! bien?
LE CAPORAL
Si tu dis vrai, son père en ce moment
Te promet son consentement
CAPORAL, SOLDATS
Oui, te promet son consentement
TONIO
(Enchanté)
Pour mon âme,Quel destin! J'ai sa flamme,
Et j'ai sa main! Jour prospère! Me voici
Militaire et mari!
CAPORAL, SOLDATS
Mais elle t'aime? elle t'aime?
TONIO
J'en fais serment.
CAPORAL, SOLDATS
Tu dis vrai? tu dis vrai?
Musique Finale
TONIO
(À Sulpice)
Je suis soldat, je suis soldat,
Il faut qu'on me la donne!
SULPICE
(Avec bonne humeur)
Elle ne peut être à personne
Qu'à sa tante, qui va l'emmener de ces lieux!
CAPORAL, SOLDATS
Emmener notre enfant,
Que dit-il donc? Grand Dieu!
TONIO
L'emmener loin de moi!
Mais c'est un rêve affreux!
MARIE
(Sort de la chaumière)
Il faut partir!
Romance
Il faut partir, mes bons compagnons d'armes,
Désormais, loin de vous m'enfuir!
Mais par pitié, cachez-moi bien vos larmes,
Vos regrets pour mon coeur Hélas!
ont trop de charmes! Il faut partir!
Ah! per pitié, cachez vos larmes!
Adieu, adieu! il faut partir!
TONIO, SULPICE
(Pleurant)
Je perds, hélas! en un instant
Tout mon bonheur en la perdant.
LE CAPORAL
Tant de chagrin, ah! c'est vraiment
Fort incroyable assurément!
MARIE
Il faut partir, adieu!
Vous que, dès mon enfance,
Sans peine, j'appris à chérir.
Vous, dont j'ai partagé
Le plaisir, la souffrance!
Au lieu d'un vrai bonheur
On m'offre l'opulence! Il faut partir!
Ah! per pitié, cachez-moi votre souffrance!
Adieu, adieu! il faut partir!
Concertant
TONIO
Oh! mes amis, je vous en prie.
Ne laissez pas partir Maire...!
LE CAPORAL
Tant de chagrin, ah!, c'est vraiment...
SULPICE
Je perds, hélas! ma pauvre enfant...
MARIE
Ah! il faut partir, mes amis, Il faut partir...
TONIO
Non, non, ô mes amis, je vous en supplie,
Ne laissez pas partir Marie.
LE CAPORAL
...fort incroyable assurément
SULPICE
...tout mon bonheur en te perdant. Hélas!
LES SOLDATS
Partir, non, non! Hélas!
TONIO
(À Marie)
Ah! si vous nous quittez, je vous suis...
SULPICE
Impossible, vraiment!
N'es-tu pus engagé?
MARIE
Ah! mon Dieu, Tonio!
TONIO
Chère Marie!
MARIE
Ce coup manquait à mon tourment.
TONIO
Marie, Marie!
MARIE
Le perdre!
quand à lui je pourrais être unie!
TONIO
Marie, Marie!
SULPICE
Il est engagé!
MARIE
Ah! ce coup manquait à mon tourment.
Ah! mon Dieu!
SULPICE
Pour vous, pour vous Marie.
O douleur! ô surprise!
Elle quitte ces lieux!
Au diable la marquise,
Qui l'enlève à nos voeux!
LES SOLDATS
O douleur! ô surprise!
SULPICE
Aux combats, à la guerre,
Prés de nous cette enfant
Est l'ange tutélaire
De notre régiment!
MARIE, TONIO
Ah! plus d'avenir! plus d'espérance!
Mon bonheur n'a duré qu'un jour.
Ah! que faire, hélas! de l'existence,
Quand on perd son unique amour!
SULPICE
Au diable la marquise!
MARIE, TONIO
Plus d'avenir!
LES SOLDATS
Au diable! au diable!
MARIE, TONIO
Plus d'espérance!
SULPICE
Au diable! au diable!
LES SOLDATS
Au diable! au diable!
MARIE, TONIO
Que faire, hélas, de l'existence...
LES SOLDATS
Au diable! au diable!
MARIE, TONIO...
quand on perd son unique amour...
(La marquise sort de la chaumière)
MARIE
(À les soldats)
Mes chers amis, recevez mes adieux!
La main, Pierre!Jacques, la tienne!
Et toi, mon vieux Thomas!
LA MARQUISE
Ah! quelle horreur!
MARIE
(À les soldats)
Qui tout enfant me portait dans tes bras...
LA MARQUISE
Ma nièce...
MARIE
Embrasse-moi, Sulpice!
LA MARQUISE
Ah! L'horreur! quelle horreur!
MARIE
De ces braves je suis l'enfant!
SOLDATS, SULPICE
C'est la fille du régiment,
C'est la fille du régiment
TONIO
A toi mon coeur, à toi, Marie!
MARIE
Tonio!
TONIO
Bientôt je suivrais ses pas,
Quand je devrais y trouver le trépas!
LA MARQUISE
Partons, Marie!
SULPICE
Allons, enfant!
TONIO
A toi mon coeur.
HORTENSIUS
Partons, partons!
LES SOLDATS
Allons, allons!
MARIE
No m'oubliez pas, Tonio. Ah!
Adieu, adieu. Adieu, Tonio, adieu!
LA MARQUISE
Partons, Marie, la poste attend.
Viens! partons, Marie,
Viens, ma nièce!
Viens donc, partons! Marie, partons!
SULPICE, SOLDATS
Allons, enfant, assez de larmes!
Pour noue fille, Portez/ portons les armes!
Au diable la marquise!
Et puis, en route à la grâce de Dieu!
Au diable la marquise,
Qui l'enlève à nos voeux! Adieu!
TONIO
A toi mon coeur, à toi ma vie,
Chère Marie, à toi mon coeur!
A toi, Marie, à toi mon coeur!
Adieu, adieu, Marie, Marie!
Mon coeur à toi, ma vie a toi!
Ah, ah, adieu!
HORTENSIUS
Partons, partons, madame, partons!
(Les tambours battent aux champs. Les soldats présentent les armes à Marie, commandés par Sulpice qui s'essuie les yeux. Marie, au fond du théâtre, leur fait un signe d'adieu, en pleurant; tandis que Tonio, sur le devant de la scène, rejette sacocarde et la foule aux pieds avec désespoir)