ACTE PREMIER


Premier tableau - Lundi Gras

(L'appartement de messer Giacomo Balducci au tomber de la nuit. Sur le devant, à gauche, une table entre deux fauteuils à dossiers. Deux portes; une à gauche, une au fond. A droite, une fenêtre. La nuit augmente graduellement)

Scène Première

(Teresa regarde par la fenêtre; Balducci entre par la porte du fond, achevant de s'habiller)

N° 1 - Introduction et Air

BALDUCCI
Teresa... mais où peut-elle être?
Teresa... à la fenêtre!
Je l'ai pourtant bien défendu;
N'avez-vous donc pas entendu?
Pour prendre l'air l'heure est fort belle!
Depuis un siècle que j'appelle,
Le Pape m'attend... mon bâton,
Mes gants, ma dague, et ce carton...

(Teresa prend tour à tour ces objets sur la table et les lui présente)

C'est à damner un saint, un ange!
En vérité, c'est bien étrange
Que le Pape ainsi dérange
Un trésorier, soir et matin
Pour Cellini, ce Florentin,
Ce paresseux, ce libertin!
Aussi pourquoi notre Saint-Père
Prendre en Toscane un ciseleur,
Quand vous aviez votre sculpteur,
Fieramosca, dont c'est l'affaire?

(Il sort en grommelant)

TERESA
Il sort enfin!

BALDUCCI
(rentrant)
Pour écarter tous les galants
Un bon sermon vaut une porte.
Ma fille, avant que je ne sorte
Écoutez-moi! venez céans!

Air

Ne regardez jamais la lune
Pour l'avoir fait j'en sais plus d'une
Qui ne peut plus dormir les nuits.
Lorsque la lune à leurs yeux brille,
Vieil astrologue et jeune fille
Se laissent choir au fond des puits.
C'est entre vous, filles coquettes,
A qui fera plus de conquêtes,
Mais prenez garde à votre cœur.
On est au fait de ce manège
Et bien souvent dans votre piège
Il ne se prend que le chasseur.
Vos freluquets ont, soyez sûre,
Toujours un masque à la figure.
Le masque est beau, l'homme est hideux!
Défiez-vous de l'apparence,
Dans les jours gras la différence
C'est qu'au lieu d'un ils en ont deux!
Prenez bien garde à la nuit brune!
Ma chère enfant, les démons sont nombreux.

(Il sort)

N° 2 - Chœur de masques

TERESA
Enfin il est sorti,
Tout de bon... Ah! je respire,
Ouf... quel ennui!
C'était un vrai martyre.

Ensemble

CELLINI, FRANCESCO, BERNARDINO,
CHOEUR DE MASQUES
(au dehors)
Tra la la la
De profundis!
Carnaval père
Enterre
Ce soir un de ses fils!
Ô grands enfants
Soyez bien sages!
Ô grands enfants
De tous les âges,
De tous les rangs,
Homme ni femme,
Ne pleurez pas,
Buvez à l'âme
De lundi gras!

BALDUCCI
(rentrant)
D'où vient tout ce bruit?
Chut!
A ma porte quel tapage!
C'est Cellini, je le gage,
Avec ses mauvais sujets,
Prenons garde à ses projets.

(Il s'approche de la fenêtre et reçoit une grêle de fausses dragées qui lui couvrent le corps et le visage de taches blanches)

Ensemble

BALDUCCI
Ah! canaille! infâme engeance!
C'est sa bande, l'insolent!
Me couvrir ainsi de blanc
Lorsqu'il faut qu'en diligence
Je me rende au Vatican!
Va, de toi j'aurai vengeance
Quelque jour, maudit Toscan!

CELLINI, FRANCESCO, BERNARDINO,
CHOEUR DE MASQUES
(au dehors)
Vive la joie!
Les morts sont morts;
Dieu nous envoie
Un joyeux corps;
Un gai compère
Encore plus gras
Que feu son frère;
Ne pleurons pas.

TERESA
Ah! Ah! Ah! Ah!

BALDUCCI
(à Teresa)
Oui, riez, la belle affaire!
Pour changer il est trop tard,
Ah! grand Dieu! chez le Saint-Père
J'aurai l'air d'un léopard!

(Teresa s'approche de la fenêtre à son tour et reçoit une pluie de fleurs)

Ensemble

BALDUCCI
C'est bien lui, lui mon gendre!
Lui ce fat, lui mon gendre,
Plutôt me pendre!
Ose m'attendre, misérable!
Ah! malheur à lui, malheur!
Ce Florentin,
Ce paresseux, ce libertin!
Ose m'attendre,
Gueux à pendre!

TERESA
Oui, c'est lui, votre gendre!
Oui, Colombine est à Léandre;
Moi la femme de Cassandre!
Ah! malheur à lui, malheur!

CELLINI, FRANCESCO, BERNARDINO
CHOEUR DE MASQUES
(au dehors)
De profundis!
Carnaval père
Enterre
Ce soir un de ses fils!
Mais soyez sages,
Ô grands enfants
De tous les âges,
De tous les rangs;
Homme ni femme,
Ne pleurez pas,
Buvez à l'âme
De lundi gras!

(Balducci sort)

Scène Deuxième

N° 3 - Romance / Air

TERESA
(seule. Parmi les fleurs qu'on vient de lui jeter elle ramasse un bouquet)
Les belles fleurs!... Un billet... Cellini!
Quelle imprudence...

(Elle lit)

Eh quoi! venir ici?
Ce soir même...
Ah! grand Dieu! mais mon père
Est bien loin, et l'instant est propice... Que faire?

Romance

Ah! que l'amour une fois dans le cœur
A de peine à quitter son asile!
Comme il y tient! et qu'il est difficile
D'en déloger cet obstiné vainqueur!
En vain les jeux, la danse, la parure,
Pour le chasser combattent follement;
L'amour lui-même, oubliant sa capture,
En vain s'envole et s'éloigne un moment!
Ah! ce n'est qu'un moment,
Non, ce n'est qu'un moment!
Comme l'oiseau retourne à la douce verdure,
Amour revient toujours au cœur aimant!
Heureuse celle à qui jamais l'amour
N'a fait sentir les ardeurs de sa flamme.
Simple et naïve, elle ignore le blâme,
Et ce qu'on paye une ivresse d'un jour!
Souvent la main du devoir est bien dure,
Il ferme l'âme au tendre sentiment.
Et devant lui l'amour fuit sans murmure,
Mais le devoir, s'il triomphe un moment,
Ah! ce n'est qu'un moment, etc.

Air

Entre l'amour et le devoir
Un jeune cœur est bien à plaindre;
Ce qu'il désire il doit le craindre,
Et repousser même l'espoir.
Se condamner à toujours feindre,
Avoir des yeux et ne point voir
Comment, comment le pouvoir?
Entre l'amour et le devoir, etc.
Quand j'aurai votre âge,
Mes chers parents,
Il sera bien temps
D'être plus sage;
Mais à dix-sept ans
Ce serait dommage
Vraiment bien dommage!
Oh! dès qu'à mon tour
Je serai grand-mère
Alors, laissez faire!
Malheur à l'amour!
Ah!
Quand j'aurai votre âge, etc.

Scène Troisième

N° 4 - Récit et trio

Récit

TERESA
Cellini!...

CELLINI
(s'avançant vivement)
Teresa! ne fuyez pas ma vue!

TERESA
Cellini, près de vous je ne puis pas rester!

CELLINI
Ah! ce langage me tue...

TERESA
Du bruit...

CELLINI
Rassurez-vous...

TERESA
Je suis perdue! Partez!

CELLINI
Ce bruit n'est rien, sur mon honneur!
C'est le gai carnaval qui dehors parle en maître.
Laissez-le sous votre fenêtre
Agiter son grelot moqueur,
Et calmez, Teresa, calmez votre frayeur.

Trio

CELLINI
Ô mon bonheur, vous que j'aime plus que ma vie,
Teresa! je viens savoir
Si loin de vous, triste et bannie,
Mon âme doit perdre l'espoir.

FIERAMOSCA
(un gros bouquet à la main, entrant sur la pointe des pieds par la porte du fond)
Ce n'est pas en forçant les grilles,
En jetant bas portes, verrous,
Que l'on gagne le cœur des filles;
Mais en marchant à pas de loup.

TERESA
Las! Votre amour n'est que folie,
Cellini, un vain tourment et sans espoir!
Il faut m'oublier pour la vie
Car je ne dois plus vous revoir.

CELLINI
Non, par les saints, par la Madone!...

FIERAMOSCA
(épouvanté)
Dieu! Cellini, cachons-nous là!

(Il entre dans la chambre de Teresa)

CELLINI
Je ne puis croire, ô ma Teresa,
Qu'amour jamais vous abandonne
Aux bras de ce Fieramosca!

TERESA
Ah! me préserve ma patronne
De cette honte, de ce malheur, car je sens là
Oui, je mourrai, si l'on me donne
A ce Fieramosca.

FIERAMOSCA
(entrouvrant la porte)
Ah! si j'osais parler tout haut!
Ah! si j'osais souffler un mot!

Ensemble

CELLINI
Eh bien! donc, Teresa, ma chère vie
Au nom des saints, je viens savoir
Si loin de vous, triste et bannie,
Mon âme doit perdre l'espoir.

TERESA
Mais votre amour, Cellini, n'est que folie,
Un vain tourment et sans le moindre espoir.
Ne m'appelez plus votre amie,
Non, je ne dois plus vous revoir.

CELLINI, TERESA
Fieramosca!...

CELLINI
Un tel faquin!

TERESA
Qui... moi sa femme!... je préfère
Cent fois la mort la plus amère.

FIERAMOSCA
(brandissant son bouquet)
Si j'avais ma rapière en main!

CELLINI
Ah! mourir, chère belle,
Qu'avez-vous dit là?
Cette voie est cruelle,
Ô ma Teresa!
Non, prenons l'autre route
Aux gazons fleuris,
Que jamais ne redoute
Un cœur bien épris.

TERESA
L'autre route, et laquelle?
Ne me cachez rien!

FIERAMOSCA
Si j'avais ma rapière en main!

CELLINI
Ne soyez pas rebelle,
Écoutez-moi bien!

TERESA
Parlez plus bas!

CELLINI
(à voix basse)
Demain soir, mardi gras...

TERESA
(à voix basse)
Demain soir, mardi gras...

FIERAMOSCA
(derrière le fauteuil placé à la gauche de la table)
Gras?

CELLINI
Surtout n'y manquez pas.

FIERAMOSCA
Quoi! Je n'entends pas.

CELLINI
Venez Place Colonne...

TERESA
Place Colonne...

FIERAMOSCA
Colonne?

CELLINI
Au coin où Cassandro...

TERESA
Où Cassandro...

FIERAMOSCA
Cassandro?

CELLINI
Au peuple romain donne
Un opéra nouveau.

FIERAMOSCA
Un opéra nouveau?

CELLINI
Là, tandis qu'en délire
Sa troupe fera rire
Votre père aux éclats, vous...

TERESA
Moi?

CELLINI
Vous saisirez le bras...

TERESA
Je saisirai le bras...

FIERAMOSCA
Le bras?

CELLINI
D'un moine en robe brune...

TERESA
D'un moine en robe brune...

FIERAMOSCA
Brune?

CELLINI
Et d'un pénitent blanc.

TERESA
D'un pénitent blanc.

FIERAMOSCA
Blanc?

CELLINI
L'un sera votre amant...

TERESA
Vous!

FIERAMOSCA
Lui?

TERESA
Vraiment?

CELLINI
Et l'autre mon élève.

TERESA
Votre élève?

FIERAMOSCA
Son élève?

CELLINI
Alors, je vous enlève...

TERESA
Il m'enlève!

FIERAMOSCA
Enlève?

CELLINI
Et vite tous les deux
Nous allons à Florence...

TERESA
A Florence...

FIERAMOSCA
A Florence?

CELLINI
Couler des jours heureux.

CELLINI, TERESA
Et vite pour Florence,
Le cœur plein d'espérance,
Nous partons tous les deux.

FIERAMOSCA
Tous les deux?

TERESA
Ô Cellini, se peut-il faire
Que je laisse ainsi mon père?
N'est-ce point blesser les cieux?

CELLINI
Offenser le ciel, non, je pense,
Votre père bien plus l'offense
En voulant que sa Teresa,
Comme une fleur, tombe et s'altère
Dans l'ombre d'un couvent austère,
Ou la main d'un Fieramosca.

TERESA
Fieramosca! Fieramosca!

FIERAMOSCA
Ô trésorier! que n'es-tu là!

TERESA
Ah! c'en est fait, ma haine est trop forte;
Dans mon âme elle l'emporte.
Mon ami, prenons espoir,
A demain, à demain soir!

CELLINI
A demain soir!

FIERAMOSCA
A demain soir!

CELLINI
Faut-il redire encor l'heure
et le lieu de notre rendez-vous?

TERESA
(avec empressement et à haute voix)
Oui... ce sera... disons-nous?

CELLINI
(tendrement et avec un léger accent d'ironie)
Plus bas, parlez plus bas!
Demain soir, mardi gras...

TERESA
Demain soir, mardi gras...

FIERAMOSCA
(passant pour mieux entendre derrière le second fauteuil placé à la droite de la table)
Demain soir mardi gras...

CELLINI
Ah, surtout n'y manquez pas.

TERESA
Non.

CELLINI
Surtout n'y manquez pas.

TERESA
Je n'y manquerai pas.

FIERAMOSCA
Je n'y manquerai pas.

CELLINI
Venez Place Colonne...

TERESA
Place Colonne...

FIERAMOSCA
Place Colonne...

CELLINI
Au coin où Cassandro...

TERESA, FIERAMOSCA
Au coin où Cassandro...

CELLINI
Au peuple romain donne un opéra nouveau.

TERESA, FIERAMOSCA
Donne un opéra nouveau.

CELLINI
Là, tandis qu'en délire
Sa troupe fera rire
Votre père aux éclats,
Vous...

TERESA
Moi...

FIERAMOSCA
Oui...

CELLINI
Vous saisirez le bras...

TERESA
Je saisirai le bras...

FIERAMOSCA
Elle prendra le bras...

CELLINI
D'un moine en robe brune...

TERESA
D'un moine en robe brune...

FIERAMOSCA
Elle prendra le bras
D'un moine en robe brune...

CELLINI
Et d'un pénitent blanc.

TERESA
Et d'un pénitent blanc.

FIERAMOSCA
Et d'un pénitent blanc.

CELLINI
L'un sera votre amant...

TERESA
Vous?

FIERAMOSCA
Lui.

TERESA
J'entends.

CELLINI
Et l'autre mon élève.

TERESA
Votre élève...

FIERAMOSCA
Son élève...

CELLINI
Alors je vous enlève...

TERESA
Il m'enlève!

FIERAMOSCA
Il l'enlève! Bien!

CELLINI
Et vite tous les deux
Nous allons à Florence...

TERESA
A Florence!

FIERAMOSCA
A Florence!

CELLINI
Couler des jours heureux.

TERESA
Couler des jours heureux.

FIERAMOSCA
Vivre heureux!

TOUS LES TROIS
Et vite pour Florence,
Le cœur plein d'espérance,
Nous partons.

Ensemble

CELLINI
Chère et tendre promesse!
Ô moments pleins d'ivresse!
Pour mon cœur que vous êtes doux!
Amour, sous ton aile
Garde, garde ma belle
Fidèle à son rendez-vous.

FIERAMOSCA
Ah! femelle traîtresse!
Perfide tigresse!
Prenez garde à vous.

TERESA
Mère de tendresse,
Vierge que sans cesse
J'implore à genoux,
Pardonne à ma voix rebelle,
Et viens calmer celle
D'un père en courroux.

Ensemble

CELLINI, TERESA
Oui, la mort éternelle!
Nous aurions bien tort.
La jeunesse doit-elle
Chercher là le port,
Quand l'amour nous apprête
Un doux avenir?
Ne tournons point la tête,
Laissons-le venir.
Vers des rives nouvelles,
Vite, éloignons-nous!
Les amours ont des ailes
Pour fuir les jaloux.
Ah ! partons tous les deux,
Fuyons loin de leurs yeux,
Partons et sous d'autres cieux
Allons couler des jours heureux;
Oui, soudain pour Florence,
Le cœur plein d'espérance,
Nous partons tous les deux.

FIERAMOSCA
Ah! femelle traîtresse,
Perfide tigresse!
Prenez garde à vous!
Ma haine, en plainte éternelle
Changera, cruelle,
Vos projets si doux.
Je saurai déranger ce charmant rendez-vous,
Je saurai déjouer votre projet si doux;
Ah ! prenez garde à vous!

CELLINI
A demain!

TERESA
A demain!

FIERAMOSCA
A demain, oui!

TOUS LES TROIS
A demain soir!

CELLINI
(à voix basse en se retirant)
Place Colonne.

TERESA
Chut!

CELLINI
Près du théâtre.

TERESA
Chut!

CELLINI
Un moine blanc.

TERESA
Oui, j'y serai...

FIERAMOSCA
Bien. Nous y serons...

CELLINI, TERESA
Espérons!

TOUS LES TROIS
A demain!

Scène Quatrième

N° 5 - Récitatif

TERESA
Ciel, nous sommes perdus,
c'est le pas de mon père...

CELLINI
Êtes-vous sûre?

TERESA
Le voici!

FIERAMOSCA
(renfermant sur lui la porte de la chambre de Teresa)
Comme un furet, moi, je me cache ici.

CELLINI
Ô Teresa! que devenir, que faire?
Cette chambre...

TERESA
Oh! non pas; mon Dieu, secourez-moi!

CELLINI
Le voici...

TERESA
Le temps presse.

CELLINI
Où fuir?

TERESA
Je meurs d'effroi!

CELLINI
(se jetant à tout hasard derrière la porte d'entrée)
Ah! je suis pris, ma foi!

(La porte en s'ouvrant cache Cellini, et Balducci surpris de voir sa fille encore debout oublie de la refermer. Il entre, tenant à la main un flambeau allumé)

BALDUCCI
Eh quoi, ma fille, encor dans la salle à cette heure!
Je croyais vous trouver au lit.

TERESA
(interdite et montrant la porte de sa chambre)
Mon père... un homme...

BALDUCCI
Un homme en ma demeure?

TERESA
Un homme... quand j'allais me coucher...
un grand bruit!

BALDUCCI
(prenant sur la table le flambeau et la canne qu'il y a déposés en arrivant)
Un homme ici, ma chère fille, un homme!
Vite, un flambeau, ma canne... que j'assomme
Ce brigand, ce voleur de nuit.

(Il entre dans la chambre.)

TERESA
(à Cellini)
Profitez du départ de mon père,
Cellini, fuyez soudain.

CELLINI
Merci, mon ange tutélaire,
A demain soir, à demain!

(Il s'échappe)

TERESA
De frayeur je me sens toute émue.

BALDUCCI
(dans la chambre de sa fille)
Ah, brigand, je te tiens...

TERESA
Dieu! quel bruit!
Dans ma chambre on s'était introduit?

BALDUCCI
(amenant Fieramosca, son bouquet à la main)
Suis-moi, drôle, ou si non, je te tue.

(Le reconnaissant)

Quoi, c'est vous!

TERESA
(surprise et enchantée)
Ô capture imprévue!

FIERAMOSCA
Ce n'est point un voleur...

BALDUCCI
C'est bien pis.
Un larron de boudoir couvert d'ambre!
Répondez ça, monsieur le beau-fils,
Qu'étiez-vous venu faire en sa chambre?

TERESA
Oui, pourquoi vous cacher dans ma chambre?

FIERAMOSCA
C'est bien simple, eh! chez vous je venais...

BALDUCCI
Vous étiez tout venu...

FIERAMOSCA
Oui, j'étais en visite...

BALDUCCI
A cette heure en visite
Chez ma fille, impudence maudite!

TERESA
Tant d'audace! il me rend interdite!

FIERAMOSCA
L'apparence est trompeuse.

BALDUCCI
Ah! tais-toi!
L'apparence, dragon de luxure!

FIERAMOSCA
Mais, messer Balducci, je vous jure...

BALDUCCI
Les faits parlent...
Point d'autre imposture.

FIERAMOSCA
Ô mon Dieu! vous croyez que c'est moi?

BALDUCCI
Oui, lubrique animal!

TERESA
Oh! le traître!

FIERAMOSCA
Eh bien! non...

BALDUCCI
Et qui donc pourrait-ce être,
Âme impure?

FIERAMOSCA
Mais, parbleu, Cellini!

TERESA
Cellini!

BALDUCCI
Cellini!

FIERAMOSCA
Cellini.

BALDUCCI
C'est trop fort, tu te dis Cellini!

FIERAMOSCA
Mais non pas... je vous dis...

BALDUCCI
(ouvrant la fenêtre)
C'est fini!

Scène Cinquième

N° 6 - Final

BALDUCCI
A nous, voisines et servantes!

TERESA
(par la fenêtre)
A nous, voisines et servantes!
Gaetana! Catarina! Fornarina!
Petronilla! Scolastica!

BALDUCCI
Fornarina! Petronilla!
Catarina! Scolastica!

FIERAMOSCA
Écoutez-moi, cessez ce train!

(Teresa sort par la porte du fond pour appeler au secours)

LES VOISINES
(au dehors)
On s'assomme chez le voisin;
Quel est ce bruit, pourquoi ce train?

BALDUCCI
A mon secours, un libertin,
Un coureur de femmes galantes
Est chez ma fille! entrez soudain,
Venez chasser ce libertin!

FIERAMOSCA
Je ne suis point un libertin,
Un coureur de femmes galantes.
Encor un coup, je ne suis point...etc.

BALDUCCI. TERESA
(Balducci ouvrant la fenêtre, Teresa rentrant)
Oui, maintenant, gare à tes reins,
Tu vas tomber en bonnes mains.

BALDUCCI
Ce n'est que le bras féminin
Qui peut montrer le droit chemin
Aux gens de mœurs extravagantes,
Aux gens sans cœur, sans loi, ni frein.

FIERAMOSCA
(épouvanté)
Aux mains des femmes... quel destin!
Suis-je Orphée en proie aux Bacchantes?

Scène Sixième

(Le chœur entre successivement en trois groupes. Toutes les fois que Fieramosca se présente à la porte pour s'échapper il en trouve un qui lui ferme le passage et qui le ramène sur le devant de la scène. Les voisines et les servantes ont à la main lanternes, lampes et gueux Toutes à demi vêtues et les bras tendus comme des harpies)

CHOEUR
Ah! maître drôle, ah! libertin!
Nous allons t'apprendre, suborneur
Les respects dus à notre honneur
Tu vas prendre un bain.

Ensemble

CHOEUR
Emmenons-le dans le jardin
Sous le jet d'eau du grand bassin!
Ah! lâche, libertin,
Tu vas prendre un bain!
Libertin, suborneur,
Gueux sans frein,
Sans honneur!
Ah! lâche, drôle, misérable
Tu vas prendre un large bain, etc.
Dans le jardin
Emmenons-le
Sous le jet d'eau du grand bassin
Et laissons-le jusqu'à demain
Toute la nuit au bain!
Allons, nous t'attraperons bien.

TERESA, BALDUCCI
Oui, tombez dessus à belles mains,
Jusqu'à demain,
Oui, c'est très bien!
Au grand bassin,
C'est très bien!
Suborneur, libertin,
Gueux sans frein,
Vieux coupable!
Misérable!
Tu vas prendre un bain.
Allons... on t'attrapera bien.

FIERAMOSCA
Quoi! me mettre nu comme la main
Jusqu'à demain
Sous le jet d'eau du grand bassin!
C'est une horreur!
Moi, sans frein? sans honneur?
Ah! quelles mégères!... de leurs mains
Comment tirer mes membres sains?

(Il court de tous côtés pour leur échapper)

Je suis Orphée... Orphée...
en proie aux Bacchantes!
Quelles mégères, ah!
comment sortir de leurs mains!

(Il finit par s'ouvrir un passage et s'enfuit poursuivi par le chœur.)
ACTE PREMIER


Premier tableau - Lundi Gras

(L'appartement de messer Giacomo Balducci au tomber de la nuit. Sur le devant, à gauche, une table entre deux fauteuils à dossiers. Deux portes; une à gauche, une au fond. A droite, une fenêtre. La nuit augmente graduellement)

Scène Première

(Teresa regarde par la fenêtre; Balducci entre par la porte du fond, achevant de s'habiller)

N° 1 - Introduction et Air

BALDUCCI
Teresa... mais où peut-elle être?
Teresa... à la fenêtre!
Je l'ai pourtant bien défendu;
N'avez-vous donc pas entendu?
Pour prendre l'air l'heure est fort belle!
Depuis un siècle que j'appelle,
Le Pape m'attend... mon bâton,
Mes gants, ma dague, et ce carton...

(Teresa prend tour à tour ces objets sur la table et les lui présente)

C'est à damner un saint, un ange!
En vérité, c'est bien étrange
Que le Pape ainsi dérange
Un trésorier, soir et matin
Pour Cellini, ce Florentin,
Ce paresseux, ce libertin!
Aussi pourquoi notre Saint-Père
Prendre en Toscane un ciseleur,
Quand vous aviez votre sculpteur,
Fieramosca, dont c'est l'affaire?

(Il sort en grommelant)

TERESA
Il sort enfin!

BALDUCCI
(rentrant)
Pour écarter tous les galants
Un bon sermon vaut une porte.
Ma fille, avant que je ne sorte
Écoutez-moi! venez céans!

Air

Ne regardez jamais la lune
Pour l'avoir fait j'en sais plus d'une
Qui ne peut plus dormir les nuits.
Lorsque la lune à leurs yeux brille,
Vieil astrologue et jeune fille
Se laissent choir au fond des puits.
C'est entre vous, filles coquettes,
A qui fera plus de conquêtes,
Mais prenez garde à votre cœur.
On est au fait de ce manège
Et bien souvent dans votre piège
Il ne se prend que le chasseur.
Vos freluquets ont, soyez sûre,
Toujours un masque à la figure.
Le masque est beau, l'homme est hideux!
Défiez-vous de l'apparence,
Dans les jours gras la différence
C'est qu'au lieu d'un ils en ont deux!
Prenez bien garde à la nuit brune!
Ma chère enfant, les démons sont nombreux.

(Il sort)

N° 2 - Chœur de masques

TERESA
Enfin il est sorti,
Tout de bon... Ah! je respire,
Ouf... quel ennui!
C'était un vrai martyre.

Ensemble

CELLINI, FRANCESCO, BERNARDINO,
CHOEUR DE MASQUES
(au dehors)
Tra la la la
De profundis!
Carnaval père
Enterre
Ce soir un de ses fils!
Ô grands enfants
Soyez bien sages!
Ô grands enfants
De tous les âges,
De tous les rangs,
Homme ni femme,
Ne pleurez pas,
Buvez à l'âme
De lundi gras!

BALDUCCI
(rentrant)
D'où vient tout ce bruit?
Chut!
A ma porte quel tapage!
C'est Cellini, je le gage,
Avec ses mauvais sujets,
Prenons garde à ses projets.

(Il s'approche de la fenêtre et reçoit une grêle de fausses dragées qui lui couvrent le corps et le visage de taches blanches)

Ensemble

BALDUCCI
Ah! canaille! infâme engeance!
C'est sa bande, l'insolent!
Me couvrir ainsi de blanc
Lorsqu'il faut qu'en diligence
Je me rende au Vatican!
Va, de toi j'aurai vengeance
Quelque jour, maudit Toscan!

CELLINI, FRANCESCO, BERNARDINO,
CHOEUR DE MASQUES
(au dehors)
Vive la joie!
Les morts sont morts;
Dieu nous envoie
Un joyeux corps;
Un gai compère
Encore plus gras
Que feu son frère;
Ne pleurons pas.

TERESA
Ah! Ah! Ah! Ah!

BALDUCCI
(à Teresa)
Oui, riez, la belle affaire!
Pour changer il est trop tard,
Ah! grand Dieu! chez le Saint-Père
J'aurai l'air d'un léopard!

(Teresa s'approche de la fenêtre à son tour et reçoit une pluie de fleurs)

Ensemble

BALDUCCI
C'est bien lui, lui mon gendre!
Lui ce fat, lui mon gendre,
Plutôt me pendre!
Ose m'attendre, misérable!
Ah! malheur à lui, malheur!
Ce Florentin,
Ce paresseux, ce libertin!
Ose m'attendre,
Gueux à pendre!

TERESA
Oui, c'est lui, votre gendre!
Oui, Colombine est à Léandre;
Moi la femme de Cassandre!
Ah! malheur à lui, malheur!

CELLINI, FRANCESCO, BERNARDINO
CHOEUR DE MASQUES
(au dehors)
De profundis!
Carnaval père
Enterre
Ce soir un de ses fils!
Mais soyez sages,
Ô grands enfants
De tous les âges,
De tous les rangs;
Homme ni femme,
Ne pleurez pas,
Buvez à l'âme
De lundi gras!

(Balducci sort)

Scène Deuxième

N° 3 - Romance / Air

TERESA
(seule. Parmi les fleurs qu'on vient de lui jeter elle ramasse un bouquet)
Les belles fleurs!... Un billet... Cellini!
Quelle imprudence...

(Elle lit)

Eh quoi! venir ici?
Ce soir même...
Ah! grand Dieu! mais mon père
Est bien loin, et l'instant est propice... Que faire?

Romance

Ah! que l'amour une fois dans le cœur
A de peine à quitter son asile!
Comme il y tient! et qu'il est difficile
D'en déloger cet obstiné vainqueur!
En vain les jeux, la danse, la parure,
Pour le chasser combattent follement;
L'amour lui-même, oubliant sa capture,
En vain s'envole et s'éloigne un moment!
Ah! ce n'est qu'un moment,
Non, ce n'est qu'un moment!
Comme l'oiseau retourne à la douce verdure,
Amour revient toujours au cœur aimant!
Heureuse celle à qui jamais l'amour
N'a fait sentir les ardeurs de sa flamme.
Simple et naïve, elle ignore le blâme,
Et ce qu'on paye une ivresse d'un jour!
Souvent la main du devoir est bien dure,
Il ferme l'âme au tendre sentiment.
Et devant lui l'amour fuit sans murmure,
Mais le devoir, s'il triomphe un moment,
Ah! ce n'est qu'un moment, etc.

Air

Entre l'amour et le devoir
Un jeune cœur est bien à plaindre;
Ce qu'il désire il doit le craindre,
Et repousser même l'espoir.
Se condamner à toujours feindre,
Avoir des yeux et ne point voir
Comment, comment le pouvoir?
Entre l'amour et le devoir, etc.
Quand j'aurai votre âge,
Mes chers parents,
Il sera bien temps
D'être plus sage;
Mais à dix-sept ans
Ce serait dommage
Vraiment bien dommage!
Oh! dès qu'à mon tour
Je serai grand-mère
Alors, laissez faire!
Malheur à l'amour!
Ah!
Quand j'aurai votre âge, etc.

Scène Troisième

N° 4 - Récit et trio

Récit

TERESA
Cellini!...

CELLINI
(s'avançant vivement)
Teresa! ne fuyez pas ma vue!

TERESA
Cellini, près de vous je ne puis pas rester!

CELLINI
Ah! ce langage me tue...

TERESA
Du bruit...

CELLINI
Rassurez-vous...

TERESA
Je suis perdue! Partez!

CELLINI
Ce bruit n'est rien, sur mon honneur!
C'est le gai carnaval qui dehors parle en maître.
Laissez-le sous votre fenêtre
Agiter son grelot moqueur,
Et calmez, Teresa, calmez votre frayeur.

Trio

CELLINI
Ô mon bonheur, vous que j'aime plus que ma vie,
Teresa! je viens savoir
Si loin de vous, triste et bannie,
Mon âme doit perdre l'espoir.

FIERAMOSCA
(un gros bouquet à la main, entrant sur la pointe des pieds par la porte du fond)
Ce n'est pas en forçant les grilles,
En jetant bas portes, verrous,
Que l'on gagne le cœur des filles;
Mais en marchant à pas de loup.

TERESA
Las! Votre amour n'est que folie,
Cellini, un vain tourment et sans espoir!
Il faut m'oublier pour la vie
Car je ne dois plus vous revoir.

CELLINI
Non, par les saints, par la Madone!...

FIERAMOSCA
(épouvanté)
Dieu! Cellini, cachons-nous là!

(Il entre dans la chambre de Teresa)

CELLINI
Je ne puis croire, ô ma Teresa,
Qu'amour jamais vous abandonne
Aux bras de ce Fieramosca!

TERESA
Ah! me préserve ma patronne
De cette honte, de ce malheur, car je sens là
Oui, je mourrai, si l'on me donne
A ce Fieramosca.

FIERAMOSCA
(entrouvrant la porte)
Ah! si j'osais parler tout haut!
Ah! si j'osais souffler un mot!

Ensemble

CELLINI
Eh bien! donc, Teresa, ma chère vie
Au nom des saints, je viens savoir
Si loin de vous, triste et bannie,
Mon âme doit perdre l'espoir.

TERESA
Mais votre amour, Cellini, n'est que folie,
Un vain tourment et sans le moindre espoir.
Ne m'appelez plus votre amie,
Non, je ne dois plus vous revoir.

CELLINI, TERESA
Fieramosca!...

CELLINI
Un tel faquin!

TERESA
Qui... moi sa femme!... je préfère
Cent fois la mort la plus amère.

FIERAMOSCA
(brandissant son bouquet)
Si j'avais ma rapière en main!

CELLINI
Ah! mourir, chère belle,
Qu'avez-vous dit là?
Cette voie est cruelle,
Ô ma Teresa!
Non, prenons l'autre route
Aux gazons fleuris,
Que jamais ne redoute
Un cœur bien épris.

TERESA
L'autre route, et laquelle?
Ne me cachez rien!

FIERAMOSCA
Si j'avais ma rapière en main!

CELLINI
Ne soyez pas rebelle,
Écoutez-moi bien!

TERESA
Parlez plus bas!

CELLINI
(à voix basse)
Demain soir, mardi gras...

TERESA
(à voix basse)
Demain soir, mardi gras...

FIERAMOSCA
(derrière le fauteuil placé à la gauche de la table)
Gras?

CELLINI
Surtout n'y manquez pas.

FIERAMOSCA
Quoi! Je n'entends pas.

CELLINI
Venez Place Colonne...

TERESA
Place Colonne...

FIERAMOSCA
Colonne?

CELLINI
Au coin où Cassandro...

TERESA
Où Cassandro...

FIERAMOSCA
Cassandro?

CELLINI
Au peuple romain donne
Un opéra nouveau.

FIERAMOSCA
Un opéra nouveau?

CELLINI
Là, tandis qu'en délire
Sa troupe fera rire
Votre père aux éclats, vous...

TERESA
Moi?

CELLINI
Vous saisirez le bras...

TERESA
Je saisirai le bras...

FIERAMOSCA
Le bras?

CELLINI
D'un moine en robe brune...

TERESA
D'un moine en robe brune...

FIERAMOSCA
Brune?

CELLINI
Et d'un pénitent blanc.

TERESA
D'un pénitent blanc.

FIERAMOSCA
Blanc?

CELLINI
L'un sera votre amant...

TERESA
Vous!

FIERAMOSCA
Lui?

TERESA
Vraiment?

CELLINI
Et l'autre mon élève.

TERESA
Votre élève?

FIERAMOSCA
Son élève?

CELLINI
Alors, je vous enlève...

TERESA
Il m'enlève!

FIERAMOSCA
Enlève?

CELLINI
Et vite tous les deux
Nous allons à Florence...

TERESA
A Florence...

FIERAMOSCA
A Florence?

CELLINI
Couler des jours heureux.

CELLINI, TERESA
Et vite pour Florence,
Le cœur plein d'espérance,
Nous partons tous les deux.

FIERAMOSCA
Tous les deux?

TERESA
Ô Cellini, se peut-il faire
Que je laisse ainsi mon père?
N'est-ce point blesser les cieux?

CELLINI
Offenser le ciel, non, je pense,
Votre père bien plus l'offense
En voulant que sa Teresa,
Comme une fleur, tombe et s'altère
Dans l'ombre d'un couvent austère,
Ou la main d'un Fieramosca.

TERESA
Fieramosca! Fieramosca!

FIERAMOSCA
Ô trésorier! que n'es-tu là!

TERESA
Ah! c'en est fait, ma haine est trop forte;
Dans mon âme elle l'emporte.
Mon ami, prenons espoir,
A demain, à demain soir!

CELLINI
A demain soir!

FIERAMOSCA
A demain soir!

CELLINI
Faut-il redire encor l'heure
et le lieu de notre rendez-vous?

TERESA
(avec empressement et à haute voix)
Oui... ce sera... disons-nous?

CELLINI
(tendrement et avec un léger accent d'ironie)
Plus bas, parlez plus bas!
Demain soir, mardi gras...

TERESA
Demain soir, mardi gras...

FIERAMOSCA
(passant pour mieux entendre derrière le second fauteuil placé à la droite de la table)
Demain soir mardi gras...

CELLINI
Ah, surtout n'y manquez pas.

TERESA
Non.

CELLINI
Surtout n'y manquez pas.

TERESA
Je n'y manquerai pas.

FIERAMOSCA
Je n'y manquerai pas.

CELLINI
Venez Place Colonne...

TERESA
Place Colonne...

FIERAMOSCA
Place Colonne...

CELLINI
Au coin où Cassandro...

TERESA, FIERAMOSCA
Au coin où Cassandro...

CELLINI
Au peuple romain donne un opéra nouveau.

TERESA, FIERAMOSCA
Donne un opéra nouveau.

CELLINI
Là, tandis qu'en délire
Sa troupe fera rire
Votre père aux éclats,
Vous...

TERESA
Moi...

FIERAMOSCA
Oui...

CELLINI
Vous saisirez le bras...

TERESA
Je saisirai le bras...

FIERAMOSCA
Elle prendra le bras...

CELLINI
D'un moine en robe brune...

TERESA
D'un moine en robe brune...

FIERAMOSCA
Elle prendra le bras
D'un moine en robe brune...

CELLINI
Et d'un pénitent blanc.

TERESA
Et d'un pénitent blanc.

FIERAMOSCA
Et d'un pénitent blanc.

CELLINI
L'un sera votre amant...

TERESA
Vous?

FIERAMOSCA
Lui.

TERESA
J'entends.

CELLINI
Et l'autre mon élève.

TERESA
Votre élève...

FIERAMOSCA
Son élève...

CELLINI
Alors je vous enlève...

TERESA
Il m'enlève!

FIERAMOSCA
Il l'enlève! Bien!

CELLINI
Et vite tous les deux
Nous allons à Florence...

TERESA
A Florence!

FIERAMOSCA
A Florence!

CELLINI
Couler des jours heureux.

TERESA
Couler des jours heureux.

FIERAMOSCA
Vivre heureux!

TOUS LES TROIS
Et vite pour Florence,
Le cœur plein d'espérance,
Nous partons.

Ensemble

CELLINI
Chère et tendre promesse!
Ô moments pleins d'ivresse!
Pour mon cœur que vous êtes doux!
Amour, sous ton aile
Garde, garde ma belle
Fidèle à son rendez-vous.

FIERAMOSCA
Ah! femelle traîtresse!
Perfide tigresse!
Prenez garde à vous.

TERESA
Mère de tendresse,
Vierge que sans cesse
J'implore à genoux,
Pardonne à ma voix rebelle,
Et viens calmer celle
D'un père en courroux.

Ensemble

CELLINI, TERESA
Oui, la mort éternelle!
Nous aurions bien tort.
La jeunesse doit-elle
Chercher là le port,
Quand l'amour nous apprête
Un doux avenir?
Ne tournons point la tête,
Laissons-le venir.
Vers des rives nouvelles,
Vite, éloignons-nous!
Les amours ont des ailes
Pour fuir les jaloux.
Ah ! partons tous les deux,
Fuyons loin de leurs yeux,
Partons et sous d'autres cieux
Allons couler des jours heureux;
Oui, soudain pour Florence,
Le cœur plein d'espérance,
Nous partons tous les deux.

FIERAMOSCA
Ah! femelle traîtresse,
Perfide tigresse!
Prenez garde à vous!
Ma haine, en plainte éternelle
Changera, cruelle,
Vos projets si doux.
Je saurai déranger ce charmant rendez-vous,
Je saurai déjouer votre projet si doux;
Ah ! prenez garde à vous!

CELLINI
A demain!

TERESA
A demain!

FIERAMOSCA
A demain, oui!

TOUS LES TROIS
A demain soir!

CELLINI
(à voix basse en se retirant)
Place Colonne.

TERESA
Chut!

CELLINI
Près du théâtre.

TERESA
Chut!

CELLINI
Un moine blanc.

TERESA
Oui, j'y serai...

FIERAMOSCA
Bien. Nous y serons...

CELLINI, TERESA
Espérons!

TOUS LES TROIS
A demain!

Scène Quatrième

N° 5 - Récitatif

TERESA
Ciel, nous sommes perdus,
c'est le pas de mon père...

CELLINI
Êtes-vous sûre?

TERESA
Le voici!

FIERAMOSCA
(renfermant sur lui la porte de la chambre de Teresa)
Comme un furet, moi, je me cache ici.

CELLINI
Ô Teresa! que devenir, que faire?
Cette chambre...

TERESA
Oh! non pas; mon Dieu, secourez-moi!

CELLINI
Le voici...

TERESA
Le temps presse.

CELLINI
Où fuir?

TERESA
Je meurs d'effroi!

CELLINI
(se jetant à tout hasard derrière la porte d'entrée)
Ah! je suis pris, ma foi!

(La porte en s'ouvrant cache Cellini, et Balducci surpris de voir sa fille encore debout oublie de la refermer. Il entre, tenant à la main un flambeau allumé)

BALDUCCI
Eh quoi, ma fille, encor dans la salle à cette heure!
Je croyais vous trouver au lit.

TERESA
(interdite et montrant la porte de sa chambre)
Mon père... un homme...

BALDUCCI
Un homme en ma demeure?

TERESA
Un homme... quand j'allais me coucher...
un grand bruit!

BALDUCCI
(prenant sur la table le flambeau et la canne qu'il y a déposés en arrivant)
Un homme ici, ma chère fille, un homme!
Vite, un flambeau, ma canne... que j'assomme
Ce brigand, ce voleur de nuit.

(Il entre dans la chambre.)

TERESA
(à Cellini)
Profitez du départ de mon père,
Cellini, fuyez soudain.

CELLINI
Merci, mon ange tutélaire,
A demain soir, à demain!

(Il s'échappe)

TERESA
De frayeur je me sens toute émue.

BALDUCCI
(dans la chambre de sa fille)
Ah, brigand, je te tiens...

TERESA
Dieu! quel bruit!
Dans ma chambre on s'était introduit?

BALDUCCI
(amenant Fieramosca, son bouquet à la main)
Suis-moi, drôle, ou si non, je te tue.

(Le reconnaissant)

Quoi, c'est vous!

TERESA
(surprise et enchantée)
Ô capture imprévue!

FIERAMOSCA
Ce n'est point un voleur...

BALDUCCI
C'est bien pis.
Un larron de boudoir couvert d'ambre!
Répondez ça, monsieur le beau-fils,
Qu'étiez-vous venu faire en sa chambre?

TERESA
Oui, pourquoi vous cacher dans ma chambre?

FIERAMOSCA
C'est bien simple, eh! chez vous je venais...

BALDUCCI
Vous étiez tout venu...

FIERAMOSCA
Oui, j'étais en visite...

BALDUCCI
A cette heure en visite
Chez ma fille, impudence maudite!

TERESA
Tant d'audace! il me rend interdite!

FIERAMOSCA
L'apparence est trompeuse.

BALDUCCI
Ah! tais-toi!
L'apparence, dragon de luxure!

FIERAMOSCA
Mais, messer Balducci, je vous jure...

BALDUCCI
Les faits parlent...
Point d'autre imposture.

FIERAMOSCA
Ô mon Dieu! vous croyez que c'est moi?

BALDUCCI
Oui, lubrique animal!

TERESA
Oh! le traître!

FIERAMOSCA
Eh bien! non...

BALDUCCI
Et qui donc pourrait-ce être,
Âme impure?

FIERAMOSCA
Mais, parbleu, Cellini!

TERESA
Cellini!

BALDUCCI
Cellini!

FIERAMOSCA
Cellini.

BALDUCCI
C'est trop fort, tu te dis Cellini!

FIERAMOSCA
Mais non pas... je vous dis...

BALDUCCI
(ouvrant la fenêtre)
C'est fini!

Scène Cinquième

N° 6 - Final

BALDUCCI
A nous, voisines et servantes!

TERESA
(par la fenêtre)
A nous, voisines et servantes!
Gaetana! Catarina! Fornarina!
Petronilla! Scolastica!

BALDUCCI
Fornarina! Petronilla!
Catarina! Scolastica!

FIERAMOSCA
Écoutez-moi, cessez ce train!

(Teresa sort par la porte du fond pour appeler au secours)

LES VOISINES
(au dehors)
On s'assomme chez le voisin;
Quel est ce bruit, pourquoi ce train?

BALDUCCI
A mon secours, un libertin,
Un coureur de femmes galantes
Est chez ma fille! entrez soudain,
Venez chasser ce libertin!

FIERAMOSCA
Je ne suis point un libertin,
Un coureur de femmes galantes.
Encor un coup, je ne suis point...etc.

BALDUCCI. TERESA
(Balducci ouvrant la fenêtre, Teresa rentrant)
Oui, maintenant, gare à tes reins,
Tu vas tomber en bonnes mains.

BALDUCCI
Ce n'est que le bras féminin
Qui peut montrer le droit chemin
Aux gens de mœurs extravagantes,
Aux gens sans cœur, sans loi, ni frein.

FIERAMOSCA
(épouvanté)
Aux mains des femmes... quel destin!
Suis-je Orphée en proie aux Bacchantes?

Scène Sixième

(Le chœur entre successivement en trois groupes. Toutes les fois que Fieramosca se présente à la porte pour s'échapper il en trouve un qui lui ferme le passage et qui le ramène sur le devant de la scène. Les voisines et les servantes ont à la main lanternes, lampes et gueux Toutes à demi vêtues et les bras tendus comme des harpies)

CHOEUR
Ah! maître drôle, ah! libertin!
Nous allons t'apprendre, suborneur
Les respects dus à notre honneur
Tu vas prendre un bain.

Ensemble

CHOEUR
Emmenons-le dans le jardin
Sous le jet d'eau du grand bassin!
Ah! lâche, libertin,
Tu vas prendre un bain!
Libertin, suborneur,
Gueux sans frein,
Sans honneur!
Ah! lâche, drôle, misérable
Tu vas prendre un large bain, etc.
Dans le jardin
Emmenons-le
Sous le jet d'eau du grand bassin
Et laissons-le jusqu'à demain
Toute la nuit au bain!
Allons, nous t'attraperons bien.

TERESA, BALDUCCI
Oui, tombez dessus à belles mains,
Jusqu'à demain,
Oui, c'est très bien!
Au grand bassin,
C'est très bien!
Suborneur, libertin,
Gueux sans frein,
Vieux coupable!
Misérable!
Tu vas prendre un bain.
Allons... on t'attrapera bien.

FIERAMOSCA
Quoi! me mettre nu comme la main
Jusqu'à demain
Sous le jet d'eau du grand bassin!
C'est une horreur!
Moi, sans frein? sans honneur?
Ah! quelles mégères!... de leurs mains
Comment tirer mes membres sains?

(Il court de tous côtés pour leur échapper)

Je suis Orphée... Orphée...
en proie aux Bacchantes!
Quelles mégères, ah!
comment sortir de leurs mains!

(Il finit par s'ouvrir un passage et s'enfuit poursuivi par le chœur.)


最終更新:2013年10月14日 13:54