ACTE DEUXIÈME
Une salle d'été dans le palais du vice-roi.
Cette salle donne sur une terrasse d'où l'on aperçoit la ville de Lima. - Au fond, une grande baie garnie de rideaux. Portes à droite et à gauche, au troisième plan. A gauche, au premier plan, un trône élevé sur plusieurs marches. - De chaque côté du trône, des tabourets. - A droite, au premier plan, une table; sur cette table, un timbre.
SCÈNE PREMIÈRE
Brambilla, Ninetta, Le Marquis de Tarapote, Manuelita, Frasquinella, Dames de la cour.
Au lever du rideau, Tarapote est évanoui sur un fauteuil, au milieu du théâtre; les dames s'empressent autour de lui et essaient de le tirer de sa léthargie.
CHŒUR
Cher seigneur, revenez à vous;
Ah! rouvrez, par pitié pour nous,
Cet oeuil rempli d'intelligence!
Ça nous met sens dessus dessous
De vous voir là sans connaissance!
Cher seigneur, revenez à vous!
NINETTA
tirant un flacon de sa poche
Vite, des sels!... Tenez, comtesse,
J'en ai sur moi fort à propos.
Elle fait respirer le flacon à Tarapote.
FRASQUINELLA
à une autrre dame
Avez-vous une clef, duchesse,
Pour la lui fourrer dans le dos?
BRAMBILLA
Voyez: il rouvre la prunelle,
Il en rouvrira bientôt deux.
MANUELITA
regardant Tarapote
Cette grimace n'est pas belle,
Mais elle prouve qu'il va mieux.
TOUTES
Il va mieux!
Cher seigneur, revenez à vous! etc.
Pendant le choeur, Tarapote revient tout à fait à lui.
TARAPOTE
Une saltimbanque, mesdames, une saltimbanque!...
NINETTA
Expliquex-vous, Tarapote.
TARAPOTE
se levant
Cette nuit, celles d'entre vous qui ont le sommeil léger n'ont-elles pas été réveillées par un refrain étrange?
BRAMBILLA
On chantait, n'est-ce pas?
FRASQUINELLA
Qu'est-ce que l'on chantait?
TARAPOTE
chantant
Il grandira...
TOUTES
de même
Il grandira...
TARAPOTE
de même
Il grandira, car il est Espagnol!
Et, en attendant cette poésie, entre deux et trois heures du matin, vous ne vous êtes rien dit?
FRASQUINELLA
J'ai cru, moi, que c'était un rêve.
NINETTA
Moi, je pensais à autre chose.
MANUELITA
J'ai supposé que c'était quelque employé du château, qui rentrait après s'être grisé en ville.
TARAPOTE
C'était la nouvelle favorite!
MANUELITA
La nouvelle favorite!
TARAPOTE
ironiquement
Oui, c'était la comtesse de Tabago, marquise du Mançanarez, qui faisait son installation en compagnie du comte de Tabago, marquis du Mançanarez, son illustre mari!
BRAMBILLA
Elle est mariée?
TARAPOTE
montrant la droite
A preuve qu'il est là, ce mari.
TOUTES
Là?
TARAPOTE
Oui, il est là... encore endormi, sans doute... car il était dans un état, lorsqu'il est arrivé ici!...
FRASQUINELLA
Ah! il est là... Et la marquise?...
TARAPOTE
Elle n'est pas là, bien entendu...
Désignant le fond à gauche
Elle est là-bas, tout là-bas, dans le petit appartement.
MANUELITA
Déjà?
FRASQUINELLA
Une chanteuse des rues installée au palais!
Elle remonte et va à Ninetta.
BRAMBILLA
C'est indigne!
MANUELITA
Le vice-roi ne pourrait-il mieux placer ses affections?... N'a-t-il pas autour de lui?...
TARAPOTE
Bien, ma nièce!
MANUELITA
Mais, mon oncle...
TARAPOTE
Très bien!
MANUELITA
Vous ne comprenez pas?
TARAPOTE
Je comprends... que tu es indignée... que vous êtes toutes indignées... et que je le suis, moi, plus que vous toutes ensemble... Mais patience!... si, comme je l'espère, la cour est avec nous, cette plaisanterie ne durera pas longtemps... La favorite s'en ira comme elle est venue... et, si cela fait trop de peine à notre gracieux maître...
MANUELITA
On tâchera de le consoler.
TARAPOTE
Bien, ma nièce!
MANUELITA
Mais, mon oncle...
TARAPOTE
Très bien! ma nièce, très bien!
MANUELITA
Je vous assure, mon oncle,
que vous ne me comprenez pas.
TARAPOTE
Je comprends que ton coeur est bon, et cela me réjouit, parce que je suis ton oncle... Allons, embrasse-le, ton bon gros brave homme d'oncle!
Il embrasse Manuelita; puis, regardant à droite:
Ah!... c'est le mari!
Tarapote et les dames se retirent vers le fond à gauche, en regardant Piquillo, qui entre par la droite.
SCÈNE II
Les Mêmes, Piquillo, magnifiquement habillé.
PIQUILLO
voyant les dames
Des dames!... soyons poli...
Saluant
Mesdames, je vous salue.
Les dames se retournent avec dédain. Piquillo descend sur le devant et se dit à lui-même:
Ah ça! où suis-je ici?... Que m'est-il arrivé?... On ne m'ôtera pas de la tête que depuis hier il s'est passé dans ma vie des choses extraordinaires... Quelles choses, par exemple!... voilà ce qu'il me serait impossible, pour le moment...
Saluant de nouveau les dames qui sont revenues sur le devant
Mesdames, je vous salue derechef.
BRAMBILLA
bas à Ninetta
Il ose nous saluer!
FRASQUINELLA
bas, à Manuelita
Faisons-lui sentir notre mépris... voulez-vous?
MANUELITA
bas
Je ne demande pas mieux.
Haut, à Piquillo
Madame va bien?
PIQUILLO
Madame?
FRASQUINELLA
Eh! oui, la comtesse de Tabago, marquise du Mançanarez!
TARAPOTE
Votre femme, enfin!
PIQUILLO
à part
Je ne l'avais pas vu, celui-là...
Haut et saluant
Monsieur, je vous souhaîte le bonjour.
TARAPOTE
Oui, votre femme.
PIQUILLO
Ma femme!...
A lui-même
Ah! c'est vrai... voilà ce dont je ne pouvais pas arriver à me souvenir... je suis marié!
Couplets
I
NINETTA
On vante partout son sourire,
Son pied, sa taille et son maintien;
Est-ce à tort? -- Veuillez nous le dire...
Peut-être n'en savez-vous rien?
FRASQUINELLA
On la dit d'humeur douce et tendre,
Et rêveuse quand vient le soir.
Est-ce vrai? -- Mais, pour nous l'apprendre,
Il faudrait d'abord le savoir.
PIQUILLO
à part
Que de cancans! que de sornettes!
Ah! les petites malhonnêtes!
ENSEMBLE
Eh! bonjour, monsieur le mari!
Qu'avez-vous fait de votre femme?
Si vous la voyez aujourd'hui,
Bien des compliments à madame!
Pendant cet ensemble, Brambilla et Manuelita ont passé près de Piquillo
BRAMBILLA
parlé
Ça n'est pas tout.
II
On dit encor bien autre chose;
Mais demander, même tout bas,
Si c'est exact, monsieur, je n'ose...
D'ailleurs, vous ne le savez pas.
MANUELITA
Tout ça, le diable vous emporte,
Monsieur, si vous en savez rien;
Mais ce que l'hymen vous rapporte,
Pour cela, vous le savez bien.
PIQUILLO
à part
Que de cancans! que de sornettes!
Ah! les petites malhonnêtes!
ENSEMBLE
Eh! bonjour, monsieur le mari!
Qu'avez-vous fait de votre femme?
Si vous la voyez aujourd'hui,
Bien des compliments à madame!
Les dames sortent, moitié par la droite, moitié par la gauche, en faisant à Piquillo de grandes révérances ironiques.
TARAPOTE
parlé
Bien des compliments à madame!
Il sort par la droite.
SCÈNE III
Piquillo, seul.
PIQUILLO
Comment, «z'à madame!...» c'est de l'ironie!... Si peu d'éducation que j'ai reçu, je m'aperçois très bien que c'est de l'ironie... mais ça ne fait rien, j'aurais tort de me fâcher... C'est en écoutant comme ça les personnes, et en les écoutant sans me fâcher, que j'arriverai peu à peu à me rappeler les choses et à me rendre compte de ma situation... Si je les arrêtais, les personnes, et si je leur demandais: «Qu'est-ce que je fais ici?...» Si je leur demandais ça tout bêtement, j'aurais l'air d'une bête... tandis qu'en ne demandant rien et en écoutant... Voyons un peu, voyons... Je sais déjà que j'ai épousé une femme... c'est très bien... Quelle est cette femme?... je n'en sais rien... mais, d'ici à peu du temps, sans doute, je rencontrerai des gens qui me le diront.
Musique à l'orchestre. - Les rideaux s'ouvrent. - Des courtisans entrent successivement par le fond, de gauche et de droite, et viennent entourer Piquillo sans rien dire et en se le montrant du doigt.
SCÈNE IV
Piquillo, les Courtisans.
PIQUILLO
à lui-même
Ah! ah! des monsieurs maintenant!...
Pendant que les courtisans se placent, un à un, en demi-cercle autour de lui
Qu'est-ce qu'ils vont me faire? S'ils n'étaient que quatre, je croirais qu'ils veulent jouer aux... mais ils sont plus de quatre...
En voyant entrer d'autres courtisans
Encore!... Ils forment le rond... c'est qu'ils désirent que je leur chante quelque chose... C'est mon métier... je vais leur chanter quelque chose... Hum!... hum!...
Au moment où il va ouvrir la bouche pour chanter, les courtisans entonnent, sans accompagnement d'orchestre, le quatrain suivant, sur le motif du second acte de "La Favorite".
LES COURTISANS
Quel marché de bassesse!
C'est trop fort, sur ma foi,
D'épouser la maîtresse,
La maîtresse du roi!
PIQUILLO
à lui-même
Quand je le disais, que je ne tarderais pas à savoir!... Je le sais maintenant!... je sais que j'ai épousé la maîtresse... la maîtresse du roi!... Ah! mais il faut que je leur explique...
Haut
Messieurs...
LES COURTISANS
Faut pas tant de finesse
Pour deviner pourquoi...
Épouser la maîtresse,
La maîtresse du roi!
PIQUILLO
Messieurs... messieurs... je vous en prie...
LES COURTISANS
Quelle indélicatesse!
Elle échappe à la loi...
Épouser la maîtresse,
La maîtresse du roi!
PIQUILLO
hors de lui
Ah mais! ils m'ennuient, à la fin!
Entrent, par le fond, à gauche, Panatellas et Don Pedro. Ils écartent les courtisans, qui, à chaque quatrain, s'étaient rapprochés de Piquillo.
SCÈNE V
Don Pedro, Piquillo, Panatellas, les Courtisans.
PANATELLAS
aux courtisans
Eh bien, messieurs, qu'est-ce que cela veut dire?
DON PEDRO
Voulez-vous bien laisser ce pauvre garçon tranquille!
PANATELLAS
Vous serez donc, toujours les mèmes, et dès qu'il arrivera un nouveau...
UN COURTISAN
le premier à droite
Mais, Excellence...
PANATELLAS
Pas un mot, monsieur!... Et d'abord, qu'est-ce que vous faites ici?
LE COURTISAN
Nous venons pour la présentation... pour la fameuse présentation.
PANATELLAS
Il n'est pas l'heure encore... Allons, circulez, messieurs, circulez!
DON PEDRO
Circulez, messieurs, circulez!
PIQUILLO
les imitant
Circulez, messieurs, circulez.
PANATELLAS
Circulez, messieurs, circulez!... On ferme!
Les courtisans s'éloignent par le fond, à gauche et à droite. Les rideaux se ferment.
PIQUILLO
à lui-même
Je suis dans un musée... Voyez comme tout se découvre, comme on arrive à tout savoir!... Je sais maintenant que je suis marié, que je suis dans un musée... et c'est probablement pour ça qu'on m'a si bien habillé!
Panatellas et Don Pedro descendent et viennent se placer, l'un à gauche et l'autre à droite de Piquillo. - A Panatellas:
Ah! ah! vous voilà, monsieur...
PANATELLAS
Me voilà.
PIQUILLO
Je vous ai très bien reconnu,
malgré votre bel habit tout neuf.
Montrant Don Pedro
Et monsieur?... Il est avec vous?... un ami, peut-être?
PANATELLAS
Don Pedro de Hinoyosa, gouverneur de la ville.
PIQUILLO
saluant
Bien flatté, monsieur...
PANATELLAS
Et nous arrivons pour vous défendre, comme vous voyez.
PIQUILLO
C'est bien le moins, monsieur, c'est bien le moins... car, enfin, c'est vous qui, hier, avez profité de ma position misérable pour me forcer à accepter...
PANATELLAS
Des reproches!
DON PEDRO
Il n'oserait pas.
PIQUILLO
Je n'oserais pas?...
DON PEDRO
Non.
PIQUILLO
Ah! je n'os...? Eh bien, non, là... voyons, je ne vous ferai pas de reproches. J'allais me pendre: vous m'avez offert de me marier; vous m'avez dit qu'après le mariage je recevrais une bonne somme et que je pourrais planter là ma femme et m'en aller au diable... Cette proposition m'a séduit, parce que j'ai pensé qu'avec la grosse somme je parviendrais bien à retrouver certaine femme que j'aimais, qui m'a abandonné, et que j'aime cent fois davantage depuis qu'elle m'a...
DON PEDRO
d'un ton sentimental
Je vous comprends.
PIQUILLO
N'est-ce pas?
PANATELLAS
A votre place, je serais comme vous.
PIQUILLO
Franchement, entre nous, n'est-ce pas que c'est bon, les femmes?...
PANATELLAS et DON PEDRO
Ah!...
PIQUILLO
Et qu'il n'y a que ça encore?
PANATELLAS et DON PEDRO
Il n'y a que ça!
Couplets
PIQUILLO
I
Et là, maintenant que nous sommes
Seuls et tranquilles tous les trois,
Pourquoi, messieurs les gentilshommes,
Dirions-nous pas à pleine voix:
Les femmes, il n'y a que ça,
Tant que le monde durera,
Tant que la terre tournera!
ENSEMBLE
Les femmes, il n'y a que ça!
Tant que la terre tournera,
Il n'y aura que ça!
PIQUILLO
II
Voyez, messieurs, commes ils sont tristes,
Les gens qui rêvent le pouvoir!
Nous sommes gais, nous, les artistes,
Et c'est ce qui nous fait avoir
Des femmes!... Il n'y a que ça,
Tant que le monde durera,
Tant que la terre tournera!
ENSEMBLE
Les femmes, il n'y a que ça!
Tant que la terre tournera,
Il n'y aura que ça!
PIQUILLO
III
Voulez-vous faire une expérience?
Prenons tous les gens qui pass'ront,
Et d'mandons-leur à quoi ils pensent;
Je pari' qu'ils nous répondront:
Aux femmes!... Il n'y a que ça,
Tant que le monde durera,
Tant que la terre tournera!
ENSEMBLE
Les femmes, il n'y a que ça!
Tant que la terre tournera,
Il n'y aura que ça!
PANATELLAS
Assez parlé des femmes. Maintenant, parlons de nous.
PIQUILLO
De nous?...
PANATELLAS
Oui, de nous... Mon ami Don Pedro de Hinoyosa est, je l'ai dit, gouverneur de la ville; je suis, moi, premier gentilhomme de la chambre; vous êtes, vous, le mari de la favorite: nous sommes donc, à nous trois, les trois plus hauts dignitaires du Pérou.
PIQUILLO
Est-il possible?...
DON PEDRO
Puisque c'est nous qui avons les trois meilleures places!
PANATELLAS
Cela posé, il ne nous reste plus qu'à nous partager, entre nous trois, les richesses, les honneurs.
DON PEDRO
Et les billets de spectacle...
PANATELLAS
Nous aurions très bien pu vous tenir à l'écart, faire le partage sans vous...
DON PEDRO
Mais nous ne sommes pas capables...
PANATELLAS
Nous sommes d'honnêtes gens.
PIQUILLO
Est-il possible?...
DON PEDRO
Nous nous sommes dit: Avant de procéder au partage, allons trouver le comte de Tabago...
PIQUILLO
Le comte de Tabago?...
PANATELLAS
C'est vous.
DON PEDRO
Allons trouver le marquis du Mançanarez...
PIQUILLO
Qu'est-ce que c'est encore que celui-là?
PANATELLAS
C'est vous, toujours.
PIQUILLO
Est-il possible?...
DON PEDRO
Allons trouver le comte de Tabago. le marquis du Mançanarez, entendons-nous avec eux...
PANATELLAS
Avec lui?...
DON PEDRO
Non, avec eux...
Comptant sur ses doigts
Le marquis du Mançanarez, le comte de Tabago... il faut dire: «avec eux».
PANATELLAS
Allez donc apprendre l'espagnol.
DON PEDRO
s'inclinant
C'est bon: vous êtes mon supérieur hiérarchique... Entendons-nous avec lui... sachons ce qu'il demande...
PANATELLAS
Et ce qu'il demandera, nous le lui donnerons...
PIQUILLO
Est-il possible?...
DON PEDRO
Mais oui, cher marquis, mais oui... demandez ce que vous voulez.
PANATELLAS
Seulement, soyez raisonnable...
DON PEDRO
N'oubliez pas que vous êtes un homme de peu...
PANATELLAS
Un homme de rien...
DON PEDRO
Une manière d'histrion...
PANATELLAS
Une façon de baladin...
DON PEDRO
Un pauvre diable, en un mot, et que, dans tout partage, un pauvre diable doit savoir se contenter d'une part de pauvre diable...
PANATELLAS
Là! allez maintenant... dites ce que vous voulez.
TOUT DEUX
Ne vous gênez pas.
PIQUILLO
Ce que je voudrais?...
PANATELLAS
Oui...
PIQUILLO
J'ai fait ce que vous vouliez... j'ai épousé la maîtresse... Ces messieurs que vous avez fait circuler me l'ont chanté trois fois tout à l'heure. Comme j'ai un fond d'honnêteté, je ne me soucie pas qu'ils me le chantent une quatrième fois. Voilà pourquoi je voudrais m'en aller.
DON PEDRO
Vous en aller?...
PIQUILLO
Oui.
PANATELLAS
Nous pouvons lui accorder cela, il me semble...
DON PEDRO
Ah! oui, nous pouvons... Est-il bête, hein?... il pouvait nous demander un tas de choses, et il nous demande tout bonnement à s'en aller... Je crois bien que nous pouvons lui accorder ça!...
PIQUILLO
Bonjour, alors...
PANATELLAS
Pas tout de suite, cependant.
PIQUILLO
Qu'est-ce qu'il y a encore?
PANATELLAS
le retenant
Une formalité... une petite formalité de rien du tout... Cette femme, que vous avez épousée, il faut que vous la présentiez.
PIQUILLO
Que je la présente!... et à qui?
DON PEDRO
Mais... à la cour... au vice-roi.
PIQUILLO
Comment! moi, le mari, il faut que je présente ma femme...
DON PEDRO
Vous êtes surpris?
PIQUILLO
Un peu... mais j'ai tort... Chaque pays a ses usages... Et comme cela, au moins, je ne partirai pas d'ici sans l'avoir vue, ma femme!
DON PEDRO
Ah! elle est jolie.
PIQUILLO
Vraiment?
PANATELLAS
Elle est très jolie... Vous verrez ça tout à l'heure... Quand elle entrera, vous la prendrez par la main et vous la présenterez à Son Altesse, en disant: «Altesse, je vous présente la marquise.» Son Altesse vous répondra probablement: «Bien obligé.»
PIQUILLO
Et ce sera tout?
PANATELLAS
Ce sera tout... vous serez libre.
PIQUILLO
Et je pourrai courir après la femme que j'aime?
DON PEDRO
Tant qu'il vous plaira!
PIQUILLO
Dépèchons-nous, alors.. Est-ce bientôt, cette présentation?
L'orchestre joue la ritournelle du morceau suivant. - Les rideaux s'ouvrent.
PANATELLAS
C'est tout de suite... Voici Son Altesse, et tout à l'heure votre femme.
Il remonte avec Don Pedro, et tous sortent par le fond, à gauche, pour rentrer avec le vice-roi.
PIQUILLO
riant
Ma femme!...
A lui-même
Ça me fait tout de même quelque chose de la voir... pas grand'chose... mais quelque chose!
Entrent par le fond, de droite et de gauche, les dames de la cour et les courtisans, qui se rangent de chaque côté de la scène.
SCÈNE VI
Les Mêmes, les Dames de la Cour, les Courtisans, un Huissier, puis Don Andrès de Ribeira, Manuelita, Brambilla, Ninetta, Frasquinella, Gardes, ensuite La Périchole, Tarapote.
CHŒUR
Nous allons donc voir un mari
Présenter sa femme à la cour!
Cette fête revient ici
Un peu plus souvent qu'à son tour.
Entre par le fond, à gauche, Don Andrès, à qui font cortège Manuelita, Brambilla, Ninetta et Frasquinella. - Des gardes suivent et se rangent au fond. - Panatellas et Don Pedro précèdent le vice-roi.
DON ANDRÈS
à Piquillo
Comte, bonjour.
PIQUILLO
Bonjour, Altesse.
DON ANDRÈS
Donc vous allez, monsieur, présenter la comtesse?
LE CHŒUR
goguenard
Ah! la comtesse!
DON ANDRÈS
Oui, la comtesse.
LE CHŒUR
Ha! ha! ha! ha! ha! ha!
Elle est bien bonne, celle-là!
DON ANDRÈS
tristement, à Panatellas et à Don Pedro
Mes amis, le respect s'en va.
DON PEDRO et PANATELLAS
les bras au ciel
Que pouvons-nous faire à cela!
Don Pedro et Panatellas remontent et sortent par le fond, à gauche.
LE CHŒUR
Ha! ha! ha! ha! ha! ha!
Elle est bien bonne, celle-là!
DON ANDRÈS
offensé, à lui-même. Parlé
Comment! elle est bien bonne!...
Il va s'asseoir sur le trône. -- Manuelita, Brambilla, Ninetta et Frasquinella le suivent et s'asseyent de chaque côté du trône sur des tabourets.
Faites entrer.
L'HUISSIER
annonçant du fond
Madame la comtesse de Tabago, marquise de Mançanarez.
Entre par le fond, à gauche, la Périchole, somptueusement vêtue et couverte de diamants. - Elle donne la main gauche à Tarapote et la droite à un courtisan; deux autres courtisans la suivent. - Panatellas et Don Pedro, qui ont remonté la scène, la précèdent et l'introduisent.
CHŒUR
pendant l'entrée de la Périchole
Nous allons donc voir un mari
Présenter sa femme à la cour!
Cette fête revient ici
Un peu plus souvent qu'à son tour.
PANATELLAS
à Piquillo
De tout ce que j'ai dit vous souvenez-vous bien?
PIQUILLO
Je m'en souviens.
PANATELLAS
Allez donc, et n'oubliez rien.
PIQUILLO
Vous allez voir.
Il s'approche de la Périchole.
Venez, madame.
Panatellas et Don Pedro vont s'asseoir sur des tabourets, au bas des marches du trône, l'un à droite, l'autre à gauche. - Tarapote descend à droite.
LA PÉRICHOLE
à Piquillo
Je viens, monsieur...
PIQUILLO
frappé, à part
Dieu! cette voix!...
La reconnaissant et à mi-voix
La Périchole!
LA PÉRICHOLE
bas
Eh! oui!
PIQUILLO
bas
Comment! c'est toi ma femme?
LA PÉRICHOLE
bas
Eh! oui, c'est moi!
PIQUILLO
élevant la voix
Qu'est-ce que j'entrevois?
LA PÉRICHOLE
bas
Tais-toi, tu sauras tout!
PIQUILLO
Ah! j'en sais bien assez!
Car je sais,
Coquine, que c'est vous la maîtresse du roi,
Et qu'alors je suis, moi...
LA PÉRICHOLE
bas, à Piquillo, qui l'a prise par le bras
Tais-toi! tais-toi! tais-toi! tais-toi!
LE CHŒUR
Ha! ha! ha! ha! ha! ha!
Elle est bien bonne, celle-là!
DON ANDRÈS
qui est descendu du trône, à Panatellas et à Don Pedro, qui se sont levés
Vous attendiez-vous à cela?
PANATELLAS
Faut voir ce que ça deviendra.
LE CHŒUR
Ha! ha! ha! ha! ha! ha!
Elle est bien bonne, celle-là!
LA PÉRICHOLE
bas, à Don Andrès
C'est un malentendu... Mais je vais le calmer;
Ne craignez rien, je saurai l'apaiser.
Don Andrès va se rasseoir sur le trône. - Don Pedro et Panatellas se rasseyent aussi. - A Piquillo
Écoute un peu,
Et ne bouge pas, de par Dieu!
I
Que veulent dire ces colères
Et ces gestes de mauvais ton?
Sont-ce là, monsieur, les manières
Qu'on doit avoir dans un salon?
Troubler ainsi l'éclat des fêtes
Dont je prends ma part pour ton bien!
Nigaud, nigaud, tu ne comprends donc rien?
Mon Dieu! que les hommes sont bêtes!
Piquillo fait vivement quelques pas vers Don Andrès; la Périchole le rattrape par le bras et le ramène au milieu de la scène.
II
Comment! tu vois que j'ai la chance
Et tu veux tout brouiller ici!
Manquerais-tu de confiance?
C'est un défaut chez un mari.
Laisse-les donc finir, ces fêtes,
Et puis après tu verras bien...
Nigaud, nigaud, tu ne comprends donc rien?
Mon Dieu! que les hommes sont bêtes!
PIQUILLO
C'est vrai, j'ai tort de m'emporter:
Venez, je vais vous présenter!
Mouvement général d'attention. - Piquillo prend la Périchole par la main et s'addresse à Don Andrès.
Écoute, ô roi, je te présente,
A la face de tous ces gens,
La femme la plus séduisante...
Et la plus fausse en même temps!
Prends garde à la câlinerie
De sa voix et de son regard!
En elle tout est menterie...
Je m'en aperçois... mais trop tard!
Écoute, ô roi, je te présente,
A la face de tous ces gens,
La femme la plus séduisante...
Et la plus fausse en même temps!
Elle te dira qu'elle t'aime,
Pauvre vieux, et tu la croiras,
Comme je la croyais moi-même!...
Voyez, qui ne la croirait pas?
Puisque tu la veux pour maîtresse,
Garde-la... mais veille dessus!
Garde-la bien, je te la laisse,
Et m'en vais, car je n'en veux plus!
A la fin du morceau, Piquillo jette la Périchole sur les marches du trône. Don Andrès aide la Périchole à se relever. Grand mouvement d'indignation.
DON ANDRÈS
furieux et désignant Piquillo
Sautez dessus!
Sautez dessus!
Don Pedro et Panatellas vont se placer derrière Piquillo, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche.
LES COURTISANS
menaçant Piquillo
Sautons dessus!
Sautons dessus!
LA PÉRICHOLE
exaspérée, allant à Piquillo, tenu par Don Pedro et Panatellas
Ah! ma foi, oui, sautez dessus!
Gens de la fête,
Sautez dessus!
Car moi non plus, je n'en veux plus!
Il est trop bête...
Sautez dessus!
LE CHŒUR
Sautons dessus!
Sautons dessus!
Pendant ce choeur, Piquillo passe à droite et fait le tour de la scène; Panatellas, Don Pedro et Tarapote le poursuivent.
PANATELLAS et DON PEDRO
sautant sur Piquillo
Nous le tenons!
PIQUILLO
Ah les brigands!
TARAPOTE, PANATELLAS et DON PEDRO
Nous le tenons!
PIQUILLO
Les mécréants!
TARAPOTE, PANATELLAS et DON PEDRO
à Don Andrès qui est debout sur les marches du trône
Et maintenant, pour vous plaire,
Qu'en faut-il faire?
Grand roi, qu'en faut-il faire?
DON ANDRÈS
Conduisez-le, bons courtisans,
Et que cet exemple serve,
Dans le cachot qu'on réserve
Aux maris ré...
Aux maris cal...
Aux maris ci...
Aux maris trants...
Aux maris récalcitrants!
Ensemble
LE CHŒUR
Conduisons-le, bons courtisans, etc.
PIQUILLO
Conduisez-moi donc, courtisans, etc.
PIQUILLO
à la Périchole
Dans son palais ton roi t'appelle,
Pour te couvrir de honte et d'or!
Son amour te rendra plus belle,
Plus belle et plus infâme encor!
Reprise en CHŒUR
Conduisez/Conduisons-le, bons courtisans,
Et que cet exemple serve,
Dans le cachot qu'on réserve
Aux maris ré...
Aux maris cal...
Aux maris ci...
Aux maris trants...
Aux maris récalcitrants!
Panatellas, Don Pedro et Tarapote entraînent Piquillo par le fond, à gauche.