ACTE I
Scène 1
JEUNES FILLES ARLESIENNES
Chantez, chantez, Magnanarelles,
Car la cueillette aime les chants!
Comme les vertes sauterelles,
Au soleil, dans l'herbe des champs.
Chantez, chantez, Magnanarelles,
Car la cueillette aime les chants!,
Fillettes rieuses
Et laborieuses,
Un rayon d'été
Nous met en gaîté!
Nous sommes pareilles
Aux blondes abeilles,
Dont l'essaim léger
Sur les fleurs vermeilles
Aime à voltiger!
Chantez, chantez, Magnanarelles,
Car la cueillette aime les chants!
Comme les vertes sauterelles,
Au soleil, dans l'herbe des champs,
Chantez, chantez, Magnanarelles,
Car la cueillette aime les chants!
(Elles remplissent leurs corbeilles de feuilles de mûriers. Entre Taven la sorcière.)
Scène 2
TAVEN
(s'arrêtant au fond, appuyée sur son bâton)
Ecoutez-les chanter et rire,
Ces fillettes au coeur joyeux!
Elles ne savent pas qu'un charme les attire
Au piège du chasseur, comme l'oiseau des cieux;
Et qu'un jour vient où l'on soupire
Avec des larmes dans les yeux!
Ecoutez-les chanter et rire,
Ces fillettes au cœur joyeux!
CLEMENCE ET LES JEUNES FILLES
(riant)
C'est Taven la sorcière
Avec son aiguillon,
Et son vieux cotillon,
Plus gris que la poussière!
C'est Taven la sorcière
Avec son aiguillon!
Dans notre humble sillon
Elle a jeté sa pierre!
C'est Taven la sorcière
Avec son aiguillon!
QUELQUES FILLES
Qu'il vienne, le chasseur!…
nous, je ris de son piège.
AUTRES FILLES
Le vert printemps ne craint
ni le froid ni la neige!
QUELQUES FILLES
L'oiseau maître de l'air
échappe aux oiseleurs!
AUTRES FILLES
Nos chansons feront fuir
les soucis et les pleurs!
(Taven va s'asseoir à l'écart, hochant la tête d'un air de doute.)
CLEMENCE
Moi, si par aventure,
Quelque prince, amoureux venait m'offrir sa main,
Jeune, galant, bien fait et de noble stature,
Je me ferais conduire au palais, dès demain!
Impératrice et souveraine,
Avec un long manteau, qui traîne,
Doublé d'hermine et brodé d'or,
Parmi vous, j'en ris à l'avance,
Je reviendrais pour voir encor,
Mon pays de Provence!
(Mireille entre en scène, une corbeille à la main. Elle s'avance en souriant au milieu du groupe des jeunes filles)
Scène 3
MIREILLE
Et moi, si, par hasard, quelque jeune garçon,
Me disait doucement: Mireille, je vous aime!
Fût-il pauvre et timide et honteux de lui-même,
J'écouterais mon coeur plutôt que ma raison;
Et sans souci des rires ni du blâme,
Comme dans une eau claire ayant lu dans son âme,
Je lui tendrais la main… et je serais sa femme.
LES JEUNES FILLES
(riant)
Qui donc parle ainsi? Est-ce toi, Mireille?
VIOLAINE
Vite, ouvrez l'oreille!
Écoutez ceci:
La belle eut envie
D'un joli panier…
AZALAIS
En adroit vannier
Vincent l'a servie…
NORADE
Et voyez un peu
Comme tout s'arrange
Il eut en échange,
Un baiser d'adieu!
TAVEN
(se levant et s'approchant de Mireille)
Silence! vous mentez!
Mireille est la plus sage!
MIREILLE
Vincent pour son cadeau n'eut qu'un remerciement;
Et de bon coeur,.. je le dis, franchement,
J'aurais voulu lui donner davantage!
LES JEUNES FILLES
(avec un rire moqueur)
Qui de nous choisirait un vannier pour amant!..
(Elles reprennent leurs paniers et se dispersent sous les arbres.)
Chantez, chantez, Magnanarelles,
Car la cueillette aime les chants!
Comme les vertes sauterelles,
Au soleil, dans l'herbe des champs.
Chantez, chanta, Magnanarelles,
Car la cueillette âme les chants!
MIREILLE
Le ciel rayonne, l'oiseau chante!
Aujourd'hui, rien ne peut m'attrister!
(Cette valse a été ajoutée en 1889 par Gounod à la demande de l'interprète du rôle à l'époque)
O légère hirondelle,
Messagère fidèle
Vers mon ami
Vole gaîment
Et conte-lui
Mon doux tourment,
Parle-lui, pour moi-même,
Et dis-lui que je l'aime!
Vincent peut croire à mon serment!
Vole, vole gaîment! ah!
O légère hirondelle,
Messagère fidèle
Vers mon ami
Vole gaîment
Vole, vole gaîment! ah!
Scène 4
TAVEN
C'est donc vrai?… Conte-moi ton secret à l'oreille,
C'est donc vrai que Vincent est aimé de Mireille?
Parle sans crainte, allons, parle!
Tu l'aimes?
MIREILLE
Oui!
TAVEN
(tristement)
Richesse et pauvreté s'accordent mal ensemble!
Je lis dans l'avenir, ô Mireille!…
Et je tremble!… Écoute…
Si jamais. ton cœur navré d'ennui
S'alarme d'un malheur pour toi-même on pour lui
Souviens-toi de Taven! Compte sur moi, mignonne,
Et viens là-bas me consulter.
(Elle s'éloigne à pas lents.)
Scène 5
MIREILLE
(gaiement)
Adieu, bonne Taven !… Adieu!…
Le ciel rayonne!
L'oiseau chante!
Aujourd'hui rien ne peut m'attrister!
(Apercevant Vincent qui passe au fond, sous les arbres.)
C'est toi, Vincent.
VINCENT
Mireille!
(Il fait quelques pas pour s'éloigner)
MIREILLE
Où donc vas-tu si vite?
VINCENT
A courir par les prés le beau temps nous invite.
MIREILLE
Ne peux-tu t'arrêter près de moi pour causer?
(S'asseyant sur un banc de gazon.)
Je suis lasse et je veux ici me reposer.
VINCENT
(s'approchant de Mireille)
Ah! si je suivais mon envie,
Mireille, à vos côtés je passerais ma vie!
Là-bas, dans notre humble maison,
Je suis seul en toute saison
Avec ma soeur et mon vieux père.
Le vieux vannier ne parle guère,
Ma soeur travaille et chante…
Et j'écoute en rêvant.
MIREILLE
Ta soeur, Vincent…
Jamais tu ne m'as parlé d'elle,
Comment la nomme-t-on? est-elle jeune et belle?
VINCENT
Vincenette â votre âge et vous lui ressemblez.
Mais comme l'humble fleur des blés
Est soeur de la rose vermeille,
Vincenette est soeur de Mireille!
Devant les garçons assemblés
Si vous paraissiez auprès d'elle,
C'est vous qui seriez la plus belle!
MIREILLE
(un peu confuse)
Oh! c'Vincent,
Comme il sait gentiment tout dire!
Son parler est si caressant
Qu'on ne peut s'empêcher d'en rire!
Oh! c'Vincent!
VINCENT
Comme Vincent,
Chacun ici peut vous le dire!
D'un regard tendre et caressant
Chacun vous suit et vous admire,
Comme Vincent!
MIREILLE
Ainsi ta soeur est belle fille,
Et plus qu'elle pourtant tu me trouves gentille!
VINCENT
Oui, certes, et de beaucoup!
MIREILLE
Pourquoi,
Vincent?… Qu'ai-je do plus, pour toi?
VINCENT
De plus!
Et qu'a l'oiseau de Dieu qui vole et fend l'espace
De plus que le grillon
Caché dans le sillon,
Sinon la beauté même, et le chant et la grâce!
De mes ennuis, par un refrain moqueur,
Vincenette parfois en riant me console;
Mais de vous la moindre parole
Enchante mon oreille et réjouit mon coeur!
MIREILLE
Oh! c'Vincent!
Comme il sait gentiment tout dire!
Son parler est si caressant
Qu'on ne peut s'empêcher d'en rite!
Oh! c'Vincent!
VINCENT
(l'attirant dans ses bras avec amour)
Comme Vincent,
Chacun ici peut vous le dire
D'un regard tendre et caressant,
Chacun vous suit et vous admire,
Comme Vincent!
MIREILLE
Mais le temps passe… Et j'oublie à t'entendre
Que les autres sont à m'attendre.
Adieu, Vincent! Adieu, gentil vannier;
Viens m'aider à poser sur mon front mon panier.
LE CHŒUR
(dans la coulisse)
Mireille!
MIREILLE
(se dégageant de l'étreinte amoureuse de Vincent)
On me cherche! On m'appelle!
Vite séparons-nous!…
VINCENT
(effleurant son front d'un baiser)
Adieu, Mireille! Adieu!…
MIREILLE
(pâle et chancelante sous le baiser de Vincent)
Écoute et souviens-toi! Sous le regard de Dieu,
Devant le seuil béni de l'antique chapelle,
Je te donne, Vincent, un pieux rendez-vous!
Si jamais le malheur vient frapper l'un de nous
Aux Saintes tous les deux!… Aux Saintes à genoux!
VINCENT
Oui, adieu, adieu!
MIREILLE
Adieu!
(Ils se séparent)
LE CHŒUR
(dans la coulisse)
Chantez, chantez, Magnanarelles;
Car la cueillette aime les chants!
Comme les vertes sauterelles,
Au soleil, dans l'herbe des champs.
Chantez, chantez, Magnanarelles,
Car la cueillette aime les chants!