ACTE II
Scène 1
(Les Arènes d'Arles)
CHŒUR ET DANSE
La Farandole
Joyeuse et folle
Entraîne au bruit des chansons
Les filles et les garçons!
Le bon muscat de Baume et le férigoulet
Se boivent à la régalade
Le rire et la chanson, ami du gobelet,
Guérissent plus d'un cœur malade.
La Farandole…
LES BUVEURS
Quelles clameurs! quelle joie!
Tout s'ébaudit et festoye!
De Nimes à Tarascon,
Et d'Arles au pays gascon,
Quelles clameurs! quelle joie!
Tout s'ébaudit et festoye!
De Nimes à Tarascon,
Et d'Arles au pays gascon,
La Farandole
Joyeuse et folle
Entraîne filles et garçons
De Nimes à Tarascon,
Et d'Arles au pays gascon,
La Farandole…
Scène 2
(Les mêmes. Mireille, et toute la bande des jeunes filles Arlésiennes)
LES JOUVENCEAUX
Amis, voici Mireille,
La belle sans pareille!
LES JEUNES FILLES
(bas, en riant entre elles)
Et l'amoureux Vincent, qui l'attendait là-bas,
S'empresse d'accourir au-devant de ses pas!
(Vincent accourt tout essoufflée: Il s'arrête à la vue de Mireille.)
C'est pour lui qu'elle vient!
Et Vincent vient, pour elle!
Scène 3
LES JEUNES FILLES
Bonjour, Vincent !
LES JOUVENCEAUX
Bonjour, la belle!
LE CHŒUR
(avec une intention maligne)
Chantez-nous à vous deux quelque chanson d'amour.
VINCENT
Eh bien, que Mireille commence!
MIREILLE
Puisque Vincent le veut,
amis, faites silence,
Nous allons chanter, tour à tour!
Chanson de Magali
La brise est douce et parfumée,
L'oiseau s'endort sous la ramée
Au fond du bois silencieux!
La nuit sur nous étend son voile;
Et dans les cieux
Je vois une amoureuse étoile
Luire à mes yeux!
VINCENT
O Magali, ma bien-aimée,
Fuyons tous deux sous la ramée,
Au fond du bois silencieux!
La nuit sur nous étend ses voiles
Et tes beaux yeux
Vont faire pâlir les étoiles
Au sein des cieux!
MIREILLE
Non, non, je me fais hirondelle,
Et je m'envole à tire-d'aile!
Tu peux aller au bois seulet!
VINCENT
Adieu donc! fuis à perdre haleine,
Pauvre oiselet!
L'oiseleur te prendra sans peine
En son filet.
MIREILLE
C'est en vain que tu me crois prise;
Je suis nuage!
VINCENT
Et moi, la brise,
Je t'emporte sur un rayon!
MIREILLE
Je suis le bluet qui sommeille
Dans le sillon…
VINCENT
Pour t'avoir, je me fais abeille
Ou papillon.
MIREILLE
Le cloître enfin m'ouvre ses portes.
VINCENT
Je suis le missel que tu portes
C'est moi qui te consolerai.
MIREILLE
Si tu me suis au monastère,
Là je mourrai!
VINCENT
Alors je me ferai la terre;
Et je t'aurai!
MIREILLE
Maintenant je me crois aimée!
VINCENT
O Magali, ma bien-aimée,
VINCENT ET MIREILLE
Fuyons tous deux sous la ramée,
Au fond du bois silencieux!
La nuit sur nous étend son voile;
MIREILLE
Et dans les cieux
Je vois une amoureuse étoile,
Luire à mes yeux!
VINCENT
Et tes beaux yeux
Vont faire pâlir les étoiles
Au sein des cieux!
LES ARLESIENNES ET LES JOUVENCEAUX
Comme le jour au sein des cieux,
Comme une étoile,
Dans l'air sans voile,
L'amour rayonne dans leurs yeux!
(Fanfares joyeuses. Rires et cris confus au-dehors. Mireille et Vincent sont séparés par dis foule qui envahit le théâtre.)
DES ARLESIENS
Place, place aux coureurs!… sur l'arène brûlante
Au signal ils vont s'élancer!
Landry va disputer le prix à Lagalante!
Qu'ils se donnent la main et l'on peut commencer!
(Les coureurs se donnent solennellement la main. On entend un roulement de tambourins. À ce signal la foule se précipite vers les portes du cirque.)
VOIX DIVERSES
C'est le signal!… courons!…vite!
Il faut se presser!
(Les coureurs s'élancent hors du cirque, suivis par toute la foule des curieux. Taven et Mireille se rencontrent au fond du théâtre.)
Scène 4
TAVEN
Eh bien!… Mireille, tu ne les suis donc pas?
(Elle assoit sur un escabeau et lui fait signe d'approcher)
Viens là! Je veux te dire une chose tout bas.
MIREILLE
Parlez, bonne Taven!
(Elle s'approche vivement de Taven.)
TAVEN
Oui, oui, tu me crois bonne
Parce que j'ai promis mon aide à tes amours!
MIREILLE
(souriant)
Peut-être bien! Dites toujours!
TAVEN
Voici la saison, mignonne,
Où les galants font leur choix!…
L'amour vole et papillonne
Par les prés et par les bois!
Les jouvenceaux sont en quête
De filles à marier…
La belle fait la coquette,
Le père se fait prier,
Et plus d'un anneau se donne,
Qui passe à dé jolis doigts!
Voici la saison, mignonne,
Où les galants font leurs choix!
MIREILLE
(tristement)
Oui, c'est le temps des accord ailles!
Mais pourquoi parler de cela?
TAVEN
Tout à l'heure, en rôdant par là,
Le long de ces vieilles murailles,
J'ai vu trois galants dont j'ai ri,
Se conter leurs amours rivales,
Ourrias le dompteur de taureaux, Alari
Le berger, et Pascoul le gardeur de cavales…
MIREILLE
Eh bien?
TAVEN
A leurs propos, s'il faut ajouter foi,
Celle qu'ils ont choisie et qu'ils aiment… c'est toi!
MIREILLE
Moi!
TAVEN
Oui!… Voilà la saison, mignonne,
Où les galants font leur choix.. etc.
MIREILLE
Que j'épouse et que j'aime un autre que Vincent,
Non! mon père ni Dieu n'ont pouvoir de le faire!
TAVEN
D'un père cependant redoute la colère!
Prends garde! J'ai voulu t'avertir en passant.
(Elle s'éloigne à pas lent et disparaît en faisant un signe de la maire a Mireille.)
Scène 5
MIREILLE
(seule)
Trahir Vincent, vraiment ce serait être folle!
Quand passe le bonheur, s'il n'est pris, il s'envole.
Mon cœur ne peut changer!
Souviens-toi que je t'aime!
Vincent, ô mon Vincent, pourquoi nous affliger?
Ta triste solitude et ta pauvreté même
Avec toi, pour toujours, je veux tout partager!
Mon cœur ne peut changer!
Dans ta pauvre maison je suis prête à te suivre!
A ton foyer désert je suis prête à m'asseoir.
Cet humble sort m'enchante et ce rêve m'enivre!
Qui croit tenter mon âme emporte un fol espoir!…
Mon cœur ne peut changer!
Souviens-toi que je t'aime! Vincent, ô mon Vincent,
Pourquoi nous affliger?
Ta triste solitude et ta pauvreté même,
Avec toi, pour toujours; je veux tout partager!
Mon cœur ne peut changer!
Non. Jamais, jamais, Ah!
A toi mon âme,
Je suis ta femme.
Malgré leur blâme,
Je t'appartiens.
Fière et ravie,
En cette vie,
Mon cœur n'envie
De plus doux biens.
Que Dieu m'entende;
Ma joie est grande,
Si dans la lande
Je suis tes pas,
Et si mon rêve
Sur l'humble grève,
Un jour s'achève
Entre tes bras,
A toi mon âme,
Je suis ta, femme;
Malgré leur blâme.
Je suis ta femme…
Je t'appartiens, ô mon Vincent!
Souviens-toi que je t'aime!
À toi mon âme!
Je suis ta femme!…
Je t'appartiens!
Pour jamais, je t'appartiens!
(Ourrias parait au fond)
Scène 6
MIREILLE
Ourrias!
(Elle fait quelques pas pour s'éloigner.)
OURRIAS
Pourquoi fuir si vite à mon approche?
Vous fais-je peur, la belle? ou bien, sans le savoir,
Aurais-je mérité de vous quelque reproche?
MIREILLE
Aucun vraiment! J'ai plaisir à vous
OURRIAS
Pourquoi de vous charmer n'ai-je pas le pouvoir?
Si les filles d'Arles sont reines
Quand le plaisir les rassemble aux arènes
Si les filles d'Arles sont reines,
Les bouviers aussi, je crois,
Dans la lande en feu sont rois!
Oui là-bas ils sont rois!
Et s'ils veulent prendre femme…
La plus fière, au fond de l'âme…
Se soumet à leur choix!…
Mais fier à son tour de son doux servage,
Et quittant pour toi son désert sauvage,
Devant tous, ô belle! Ourrias vainqueur
Se courbe à tes pieds pour gagner ton coeur.
Ourrias, bouvier de Camargue,
N'est point de ceux qu'on dédaigne et qu'on nargue
Ourrias, bouvier de Camargue,
Son trident de fer en main,
Peut braver le genre humain,
Et suit droit son chemin!
Le dompteur que rien ne dompte,
Pour parler à qui l'affronte
N'attend pas à demain!…
Mais fier à son tour de son doux servage,
Et quittant pour toi son désert sauvage,
Devant tous, ô belle! Ourrias vainqueur
Se courbe à tes pieds pour gagner ton coeur!
MIREILLE
Adieu!… permettez-moi de fuir… ou de me taire.
OURRIAS
(avec dépit)
Pourquoi?… parmi tous ceux qui cherchent à te plaire,
Ton père m'a choisi, croyant sagement faire,
Et je veux…
MIREILLE
(ironique)
Vôtre demande et vos tendres aveux
Me semblent, beau galant, dictés par l'amour même.
Mais, croyez-moi, pour qu'on vous aime,
Ne dites jamais: je veux!
(Elle s'enfuit en riant)
Scène 7
OURRIAS
(seul)
Elle fait fi de moi, la belle!
Scène 8
RAMON
(s'approchant d'Ambroise et lui frappant sur l'épaule)
Eh bien?
OURRIAS
(avec dépit)
On me refuse!
RAMON
(gaiement)
Je m'en doutais, voyant cette mine confuse!
(Ambroise parait au fond avec Vincent et Vincenette. Il s'avance seul vers Ramon. Ourrias s'est écarté et semble chercher du regard Mireille. Vincenette et Vincent suivent, pleins d'anxiété, le récit d'Ambroise.)
Scène 9
AMBROISE
(touchant l'épaule de Ramon)
Je viens vous demander, compère, un bon avis…
(À Vincent et Vincenette.)
Venez!
(Ramon se lève, Ambroise l'entraîne à l'écart)
Depuis longtemps vous connaissez mon fils
Je lui croyais le coeur bon, l'âme honnête.
Mais savez-vous ce qu'il s'est mis en tête?
Il a, je ne sais où,
Vu, par hasard, je ne sais quelle fille;
De bon renom et de riche famille,
Dont il s'est fait amoureux comme un fou.
Le pauvre enfant, compère!
Le pauvre enfant pleure et se désespère!
D'un bon avis daignez me secourir.
RAMON
Bah! la fille ni lui n'en mourront, je vous jure!
Mais d'un refus certain épargnez-vous l'injure;
Et s'il ne suffit pas de parler terme et haut,
(Montrant le bâton qu'Ambroise tient à la main)
Pour lui guérir le coeur, vous avez ce qu'il faut.
AMBROISE
(indigné),
Quand votre chien demande à boire, qu'on l'assomme!
(Mireille parait au fond et s'arrête pour écouter. Vincent et Vincenette se rapprochent. Ourrias prend un air indifférent.)
Scène 10
RAMON
Un père parle en père, un homme agit en homme!
Le chef de famille autrefois
Était le maître et tout se courbait à sa voix!…
Et quand Noël voyait devant la table sainte
S'asseoir l'aïeul, avec sa génération,
Le doux vieillard calmait toute rébellion
Et faisait taire toute plainte,
En versant sur ses fils sa bénédiction!…
Mais que l'un deux osât braver sa loi suprême,
Dieu juste!… il l'eût tué peut-être!
MIREILLE
(s'élançant vers son père, pâle et agitée)
Tuez-moi!
(Montrant Vincent)
Je suis celle qu'il aime!…
Et devant Notre Dame et devant Dieu lui même,
Je vous jure que nul autre n'aura ma foi!…
(Ramon reste frappé de stupeur. Ambroise s'élance vers son fils comme pour le protéger. Ourrias se lève de table, les yeux fixés sur Vincent. Long moment de silence)
RAMON
Saints du ciel!
Sur mon front c'est la foudre qui tombe!
VINCENT
(avec désespoir, à Ambroise)
Avant peu dans la tombe,
Vos mains me descendront!
VINCENETTE
(bas, à Vincent)
Espère encore… Tes pleurs le toucheront!
AMBROISE
(cherchant à entraîner Vincent)
Viens! retournons là-bas puisqu'on nous fait affront!
OURRIAS
(à part, avec rage)
C'est pour ce bel amant qu'elle me fait affront!
RAMON
(saisissant Mireille par le bras)
Écoute!… il en est temps!…reprends cette parole!
Démens ce fol aveu!…
MIREILLE
Non, je ne suis pas folle,
Et l'aveu que je fais s'échappe de mon coeur.
RAMON
(la repoussant)
Eh bien va-t'en, brave la honte et le mépris moqueur!
Je ne te connais plus!… Adieu! ma fille est morte.
Suis ton amant, suis l'époux de ton choix!
Va mendier ton pain de porte en porte
Et chercher loin de nous un abri dans les bois!
(Lui saisissant de nouveau la main)
Mais non, tu resteras!.. Je le veux! Je l'ordonne!
Quand je devrais te lier pieds et mains
Pour t'empêcher de courir les chemins!
Quand je devrais…
(Il lève la main de Mireille)
MIREILLE
Frappez… et que Dieu vous pardonne!
(Tombant aux pieds de son père)
Hélas! à vos pieds me voilà!
Je suis sans défense et sans armes!
Si ma pauvre mère était là,
Elle aurait pitié de mes larmes!…
Son âme était clémente et bonne,
Mes pleurs se séchaient sous sa main,
Et dans les cieux elle pardonne.
À l'enfant qui vous prie en vain!…
(Ramon détourne la tête sans répondre.)
Ah! c'en est fait… je, désespère
Si Dieu ne vient me secourir!…
(Elle se relève avec effort et cherche à retenir les mains de Ramon dans les siennes.)
Vous voulez donc me voir mourir
Comme elle! Répondez, mon père!
(Retombant à genoux)
Hélas! à vos pieds me voilà!
Je suis sans défense et sans armes!
Si ma pauvre mère était là,
Elle aurait pitié de mes larmes!…
RAMON
Relève-toi! qu'attends-tu là?
Je suis insensible à tes larmes!
VINCENT
Hélas! à ses pieds là voilà
Il est insensible à ses larmes!
AMBROISE
Viens, viens! partons!… oublions la
Il est insensible à ses larmes!
VINCENETTE
Partons, Vincent, et plaignons-la!
Il est insensible à ses larmes!
OURRIAS
(à part)
Elle prie et pleure… et voilà
Le père qui cède à ses larmes!
(Quelques paysans passent au fond et s arrêtent pour écouter.)
RAMON
(repoussant Mireille et tournant sa colère contre Ambroise)
C'est toi, misérable vannier!
Toi, qui, traîtreusement, tu ne peux le nier,
As machiné ce rapt infâme!
AMBROISE
(se redressant avec colère)
Morbleu! la pauvreté n'avilit point notre âme,
Et, Dieu merci, ma vie est à l'abri du blâme!
RAMON
Quoi! j'aurai sans repos travaillé si longtemps
Pour assurer la paix de mes vieux ans,
Laisser mon bien à ceux de ma famille.
Et puis, ton fils me volera ma fille!
Tonnerre et sang!… c'est là ce que tu veux!
(Il saisit un bâton et menace Ambroise)
MIREILLE
(s'élançant vers Vincent)
Vincent!
VINCENT
(retenant Ambroise)
Mon père!
(Les deux hommes se mesurent un moment avec colère et semblent prêts à s'élancer l'un sur l'autre.)
RAMON
(jetant son bâton)
Allez au diable tous les deux.
(On accourt de tous côtés. La foule les entoure.)
Scène 11
RAMON
Oui, que l'enfer de vous s'empare!
Allons! Mordieu! Qu'on se sépare!
Et malheur à toi si demain…
Je te rencontre en mon chemin!
MIREILLE
(les bras tendus vers Vincent)
C'est en vain que l'on nous sépare!
Je t'appartiens! voici ma, main!
A bientôt, à demain!
AMBROISE
Garde ton trésor, vieil avare!…
C'est ton orgueil qui les sépare!
Puisses-tu rencontrer demain
Honte et malheur en ton chemin!
VINCENT
(a part; avec désespoir)
Il me refuse! il nous sépare!
Sa main repousse notre main!
Je ne la verrai plus demain!
VINCENETTE
Pauvres amants! on vous sépare!
Partons, Vincent! Donne ta main,
Il faut nous remettre en chemin!
OURRIAS
(à part)
Allons, mordieu! qu'on les sépare!
Et malheur à lui si demain
Je le rencontre en mon chemin!
LE CHŒUR
(à Ramon)
Père cruel! âme barbare!
C'est ton orgueil qui les sépare!
Pour eux nous t'implorons en vain!
Le ciel te punira demain!
(Ramon arrache Mireille des bras de Vincent. Mireille pousse un cri et s'affaisse entre les bras de son père. Ambroise entraîne Vincent. Les jeunes filles arlésiennes s'empressent autour de Mireille évanouie.)