PROLOGUE
(Le theatre represente l' antre de la Discorde, on y voit la Paix enchaînée : la Félicité,
l'Abondance, les Jeux et les Plaisirs y accompagnent la Paix, et sont enchaînés comme elle).

La Paix
Héros, dont la valeur estonne l' univers,
Ah ! Quand briserez-vous nos fers ?
La Discorde nous tient icy sous sa puissance ;
La barbare se plaist à voir couler nos pleurs ;
Soyez touché de nos malheurs,
Vous estes dans nos maux nostre unique esperance ;
Heros, dont la valeur estonne l' univers,
Ah! quand briserez-vous nos fers !

Le Chœur.
Heros, dont la valeur estonne l' univers,
Ah! quand briserez-vous nos fers !

(La Haine, la Rage, les Chagrins, la Jalousie, le Dépit, le Desespoir, et toute la suite de la Discorde, témoignent les douceurs qu' ils trouvent dans l' esclavage où ils ont reduit la Paix.)

La Discorde
Soupirez, triste paix, malheureuse captive,
Gemissez, et n' esperez-pas
Qu' un heros que j' engage en de nouveaux combats
Ecoute vostre voix plaintive.
Plus il moissonne de lauriers,
Plus j' offre de matiere à ses travaux guerriers.
J' anime les vaincus d' une nouvelle audace ;
J' oppose à la vive chaleur
De son indomptable valeur
Mille fleuves profonds, cent montagnes de glace.
La victoire empressée à conduire ses pas
Se prepare à voler aux plus lointains climas ;
Plus il la suit, plus il la trouve belle ;
Il oublie aisément pour elle
La Paix et ses plus doux appas.

La Paix et sa suite.
O rigueurs inhumaines !
Faut-il ne voir jamais finir le triste cours
De nos malheurs, et de nos peines ?

La Discorde et sa suite.
Vos plaintes seront vaines
N' esperez jamais de secours.

La Paix et sa suite.
Quel tourment de languir toûjours
Sous de cruelles chaînes !

La Discorde et sa suite.
Vos plaintes seront vaines
N' esperez jamais de secours.

(On entend un bruit de trompettes et de tymbales.)

La Discorde
Ce bruit que la Victoire en ces lieux fait entendre.
M' avertit qu' elle y va descendre.
Quel plaisir de luy faire voir
Mon ennemie au desespoir !

(La Victoire descend, elle est accompagnée d' un grand nombre de Victoires, et de Héros.)

La Victoire
Venez aimable paix, le vainqueur vous appelle,
La Victoire devient vostre guide fidelle ;
Venez dans un heureux sejour.
Vous, discorde affreuse et cruelle,
Portez ses fers à vostre tour.

La Victoire et sa suite.
Venez, aimable paix, le vainqueur vous appelle.

(La suite de la Victoire deschaîne la Paix et les divinitez qui l' accompagnent, et enchaîne la Discorde et sa suite.)

La Paix et sa suite.
Ah ! Quel bonheur charmant !

La Discorde et sa suite.
Ah ! Quel affreux tourment !

La Discorde enchaînée.
Orgueilleuse victoire, est-ce à toy d' entreprendre
De mettre la discorde aux fers ?
À quels honneurs sans moy peux-tu jamais prétendre ?

La Victoire
Ah ! Qu' il est beau de rendre
La Paix à l' univers.

La Discorde
Tes soins pour le vainqueur pouvoient plus loin s'étendre!
Que ne conduisois-tu le heros que tu sers,
Où cent lauriers nouveaux luy sont encore offerts ?
La gloire au bout du monde auroit esté l' attendre.

La Victoire
Ah ! Qu' il est beau de rendre
La Paix à l' univers.
Apres avoir vaincu mille peuples divers,
Quand on ne voit plus rien qui puisse se deffendre,
Ah ! Qu' il est beau de rendre
La Paix à l' univers.

(La suite de la victoire et la suite de la paix, repetent ces derniers vers.)

La Discorde
O! Cruel esclavage !
Je ne verray donc plus de sang et de carnage ?
Ah ! Pour mon desespoir faut-il que le vainqueur
Ait triomphé de son courage ?
Faut-il qu' il ne laisse à ma rage
Rien à devorer que mon coeur ?
O ! Cruel esclavage !

(La suite de la Dicorde repete ce dernier vers.)

La Victoire
Au fond d' un gouffre plein d' horreur,
Que sous des fers pesants la discorde gemisse.
Partagez son supplice
Vous qui partagez sa fureur.
Et vous triste sejour, changez, que tout ressente
Le pouvoir plein d' appas de la paix triomphante.

(La discorde et sa suite s'abîment dans des gouffres qui s'ouvrent sous leurs pas, et l'affreuse retraite de la Discorde se change en un palais agreable.)

La Paix et sa suite.
Ah! quel bonheur charmant !

La Discorde et sa suite en s' abismant.
Ah! Quel affreux tourment !

La Victoire et La Paix.
Le vainqueur est comblé de gloire,
On doit l' admirer à jamais :
Il s' est servy de la victoire
Pour faire triompher la paix.

(La suite de la victoire et la suite de la paix repetent ces quatre vers.)
(La suite de la paix témoigne sa joye en dançant et en chantant.)

La Felicité et l' Abondance chantent ensemble.
Il est temps que l'Amour nous enchaîne,
Il sçait vaincre les plus fiers vainqueurs.
Rendons-nous, la fuite est vaine,
Ce dieu charme tous les coeurs :
Il n'a point de bien sans peine,
Mais peut-on trop payer ses douceurs.
Dans les fers qu'Amour veut que l' on prenne,
Tout est doux jusqu' aux plus tristes pleurs.
Rendons-nous, la fuite est vaine,
Ce dieu charme tous les coeurs, etc.
Il n'a point de bien sans peine,
Mais peut-on trop payer ses douceurs.

La Paix
On a quitté les armes.
Voicy le temps heureux
Des plaisirs pleins de charmes,
Voicy le temps heureux
Des plaisirs et des jeux.
On ne versera plus de larmes,
Tous les coeurs seront sans allarmes ;
Et si l' on craint encor des tourments rigoureux
Ce sera seulement dans l' empire amoureux.
On a quitté les armes
Voicy le temps heureux
Des plaisirs pleins de charmes,
Voicy le temps heureux
Des plaisirs et des jeux.

(Le choeur repete ces derniers vers.)

La Felicité
Que l'Amour est doux à suivre !
Quel plaisir de s' enflammer !
Un jeune coeur ne commence de vivre
Que du moment qu' il commence d' aimer.
Malheureux qui se delivre
D' un tourment qui sçait charmer.
On reconnoist que l' on cesse de vivre
En mesme temps que l' on cesse d' aimer.

Le Choeur
On a quitté les armes
Voicy le temps heureux
Des plaisirs pleins de charmes,
Voicy le temps heureux
Des plaisirs et des jeux.

Fin du Prologue.


ACTE 1
(Le theatre represente le palais de Ceres.)

SCENE 1
Ceres, Cyané, Crinise.

Ceres
Goustons dans ces aimables lieux
Les douceurs d' une paix charmante.
Les superbes geants armez contre les dieux
Ne nous donnent plus d' espouvante :
Ils sont ensevelis sous la masse pesante
Des monts qu' ils entassoient pour attaquer les cieux
Nous avons veu tomber leur chef audacieux
Sous une montagne brulante ;
Jupiter la contraint de vomir à nos yeux
Les restes enflamez de sa rage mourante,
Jupiter est victorieux,
Et tout cede à l' effort de sa main foudroyante.
Goustons dans ces aimables lieux
Les douceurs d' une paix charmante.

Ceres, Cyané, et Crinise.
Goustons dans ces aimables lieux
Les douceurs d' une paix charmante.

Ceres
Prenez soin d' assembler tout ce qui suit mes loix,
Honnorons le vainqueur d' une commune voix.

Ceres, Cyané, et Crinise.
Honnorons le vainqueur d' une commune voix.

(Cyané et Crinise vont de deux costez differents appeller les divinitez et les peuples de la Sicile, pour venir ensemble celebrer la victoire de Jupiter.)

SCENE 2
(Mercure descend du ciel.)
Mercure, Ceres

Ceres
Mercure, quel dessein vous fait icy descendre ?

Mercure
Jupiter prés de vous m' ordonne de me rendre.

Ceres
Non, non, à vos discours je n' ose adjoûter foy.
Jupiter aprés sa victoire
Songe à tenir en paix l' univers sous sa loy ;
Il est trop occupé de sa nouvelle gloire,
Eh ! Le moyen de croire
Qu' il songe encore à moy ?

Mercure
Dans les soins les plus grands dont son ame est remplie,
Il se souvient toûjours que vous l' avez charmé ;
Il est mal-aisé qu' on oublie
Ce qu' on a tendrement aimé,
Il admire les dons que vous venez de faire
En cent climats divers,
L' abondante Sicile heureuse de vous plaire
De vos riches moissons voit tous ses champs couverts :
Mais la mere des dieux se plaint que la Phrygie
Qu’elle a toûjours cherie,
Ne se ressente pas de vos soins bien-faisants ;
Et c' est Jupiter qui vous prie
D' y porter vos divins presents.
Quelle gloire de voir qu' un dieu si grand implore
Vostre favorable secours !

Ceres
Peut-estre qu' il m' estime encore,
Mais il m' avoit promis qu' il m' aimeroit toûjours.
L'amour qui pour luy m' anime
Devient plus fort chaque jour,
Est-ce assez d' un peu d' estime
Pour le prix de tant d' amour?

Mercure
Il sent l' ardeur qu' un tendre amour inspire,
Avec plaisir il se laisse enflamer ;
Mais un amant chargé d' un grand empire
N'a pas toûjours le temps de bien aimer.

Ceres
Quand de son coeur je devins souveraine
N'avoit-il pas le monde à gouverner,
Et ne trouvoit-il pas sans peine
Du temps de reste à me donner.
Je l' ay veu sous mes loix ce dieu si redoutable.
Je l' ay veu plein d' empressement ;
Ah ! Qu' il seroit aimable,
S il aimoit constamment !

Mercure
Son amour craint de trop paraistre,
Dans le ciel on l' observe avec des yeux jaloux.

Ceres
De quels dieux n' est-il pas le maistre ?
Ne les fait-il pas trembler tous ?
Que vous l' excusez mal quand mon amour l' accuse ;
S' il pouvoit avoir quelque excuse,
Mon coeur la trouveroit mille fois mieux que vous.
Allez, à ses desirs il faut que je responde.
Je quitte une paix profonde,
Qui m' offre icy mille appas :
Que ne quitteroit-on pas
Pour plaire au maistre du monde ?

(Mercure repete ces deux derniers vers avec Ceres, et s' envole pour aller au ciel retrouver Jupiter.)

SCENE 3
Arethuse, Ceres

Ceres
La Phrygie a besoin de mes dons precieux,
Et je laisse avec vous Proserpine en ces lieux,
J' ay peine à la quitter, cette fille si chere...

Arethuse
Je suis dans la Sicile une nymphe estrangere,
Je viens vous conjurer de m' en laisser partir.

Ceres
Non, Arethuse, non, je n' y puis consentir.

Arethuse
Alphée à mon repos a declaré la guerre :
Diane propice à mes voeux,
En vain pour me cacher à ce fleuve amoureux,
Fit ouvrir le sein de la terre :
Il n' est point de détours dans l' ombre des enfers
Que son amour n' ait découverts :
Je l' ay trouvé par tout, et sous des mers profondes
J'ay veu ses flots brûlants suivre mes froides ondes ;
Je veux le fuïr encore au bout de l' univers.

Ceres
Les soins d' un amour extresme
Devroient moins vous allarmer :
Vous craignez trop qu' on vous aime,
Ne craignez vous point d' aimer ?
Vous rougissez, Arethuse ;
Vostre rougeur vous accuse.
Il est aisé de voir dans ce trouble fatal
Le peril où l' amour en ces lieux vous expose.

Arethuse
Le dangereux amour ! Que je luy veux de mal
Du trouble qu' il me cause !

Ceres
Avec Alphée icy je veux vous arrester.

Arethuse
Eh ! De grace, aidez-moy plutost à l' eviter.
Je crains enfin qu' il ne m' engage,
Et sa constance me fait peur :
Non, si je le vois davantage,
Je ne respons plus de mon coeur.

Ceres
Aimez sans vous contraindre,
Aimez à vostre tour.
C' est déja ressentir l' amour
Que de commencer à le craindre.

(Arethuse chante ces deux derniers vers avec Ceres.)

Ceres
Je vais voir Proserpine, et partir promptement.
Demeurez avec elle en un lieu si charmant
Pour fuïr l'Amour qui vous appelle
Ne cherchez plus de vains détours :
Aimez un amant fidelle,
On n' en trouve pas toujours

(Ceres va voir Proserpine avant que de partir pour aller en Phrygie. )

SCENE 4
Arethuse seule.
Vaine fierté, foible rigueur,
Que vous avez peu de puissance
Contre l' amour et la constance !
Vaine fierté, foible rigueur,
Ah ! Que vous gardez mal mon coeur !
En vain, par vos conseils je me fais violence :
Je combats vainement une douce langueur :
Helas ! Vous m' engagez à faire resistance,
Et vous me laissez sans deffence,
Au pouvoir de l' amour vainqueur.
Vaine fierté, foible rigueur,
Que vous avez peu de puissance
Contre l' amour et la constance !
Vaine fierté, foible rigueur,
Ah ! Que vous gardez mal mon coeur !
Je vois Alphée, ô dieux ! Où sera mon asile?
Mon coeur est déja charmé,
Et ma fuite est inutile ;
Helas ! Qu' il est difficile
De fuïr un amant aimé !
Il approche, je tremble. Ah faut-il qu' il jouisse
Du trouble honteux où je suis ?
Pardonne, Amour, si je le fuis,
J' en ressens un cruel supplice ;
Mais n' importe, je veux l' eviter si je puis.

SCENE 5
Alphée, Arethuse

Alphée
Arrestez, nymphe trop severe,
Ne fuyez plus d' une course legere
Les soins trop empressés de mon coeur amoureux ;
N' ayez plus contre moy ny chagrin ny colere,
J' ay resolu de ne vous plus déplaire,
Et je vais estouffer mon amour malheureux.

Arethuse
Alphée...

Alphée
Alphée enfin vous arreste, inhumaine!
Mais vous vous arrestez pour voir briser sa chaîne.
C'en est fait, mes fers sont rompus.

Arethuse
Alphée, est-il bien vray ?

Alphée
N' en doutez point, cruelle,
Je le reprends ce coeur trop tendre et trop fidelle,
Ce coeur trop rebutté par de cruels refus.

Arethuse
Alphée, est-il bien vray que vous ne m' aimiez plus ?

Alphée
Ingrate! il est trop vray, mon coeur rompt avec peine
Des noeuds qu' il a trouvé si beaux ;
Mais de peur qu' il ne les reprenne
Je le veux engager en des liens nouveaux.
J' ay veu l' aimable Proserpine :
On connoit à l' éclat de sa beauté divine
Que du maistre des dieux elle a receu le jour.
Rendez luy grace,
C' est elle qui vous débarasse
De mon facheux amour.

Arethuse
Si Proserpine est belle,
Son coeur est fier et rigoureux :
Vostre chaine nouvelle
Ne vous rendra pas plus heureux.

Alphée
N' importe je veux bien souffrir sous son empire.
Vous ne m' avez déja que trop accoustumé
Au rigoureux martire
D' aimer sans estre aimé.
Proserpine vous aime, et j' ose au moins pretendre
Que vous me servirez dans cet engagement.
Vous sçavez si mon coeur est tendre,
Vous avez éprouvé s' il aime constamment...

Arethuse,voulant fuir Alphée qui la suit.
Non je ne veux jamais entendre
Parler ny d' amour ny d' amant.
Me suivrez-vous sans cesse ?

Alphée
Me fuirez-vous toujours ?
L' ingrate Arethuse me laisse
Sans espoir de secours ?
C' est un feu nouveau qui me presse...

Arethuse
Me suivrez-vous sans cesse ?

Alphée
Me fuirez-vous toujours ?

SCENE 6
Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupes de divinitez et de peuples de Sicile. Nymphes & Divinités des bois & des eaux chantantes; Habitants de Sicile chantans; un Conducteur de la Fête & des Habitans de Sicile dansans.

Proserpine
Ceres va nous oster sa divine presence,
Ces lieux vont perdre leurs attraits,
Ceres, favorable Ceres,
Faites cesser bientost vostre cruelle absence,
Ceres, favorable Ceres
Écoutez nos tristes regrets.

(Le choeur repete ces derniers vers.)

SCENE 7
Ceres, Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupes de divinitez et de peuples.

Ceres, sur son char tiré par des dragons aîlés.
Vous qui voulez pour moy signaler vostre zele
Ne troublez point la paix de cet heureux sejour,
Je presse mon depart pour haster mon retour ;
Accompagnez ma fille avec un soin fidelle.
Changez vos tristes chants en de charmants concerts ;
Que j' entende en partant dans le milieu des airs
Esclater la gloire nouvelle
Du plus grand dieu de l' univers.

(Ceres fait partir son char volant.)

SCENE 8
Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupe de divinitez, troupe de peuples.

Proserpine et le choeur.
Celebrons la victoire
Du plus puissant des dieux.
Qu' un trophée eternel conserve la memoire
D'un triomphe si glorieux.
Celebrons la victoire
Du plus puissant des dieux ;
Faisons retentir jusqu' aux cieux
Le bruit éclattant de sa gloire :
Celebrons la victoire
Du plus puissant des dieux.

(On dance autour d' un trophée qu' on esleve à l' honneur de Jupiter, et que l' on forme du débris des armes monstrueuses des geans vaincus.)
(Sur la fin de cette feste on entend un tremblement de terre qui fait tomber une partie du palais de Ceres.)

Proserpine et le choeur.
Ce palais va tomber ; ô dieux ! La terre s' ouvre !
Quels tremblements affreux !
L' enfer decouvre
Ses gouffres tenebreux.
Jupiter, lancez le tonnerre,
Renversez par de nouveaux coups
Le chef audacieux des enfans de la terre :
Il veut se relever pour s' armer contre vous,
Achevez d' étoufer la guerre.
Jupiter : lancez le tonnere.

(Le tonnere tombe sur le mont Etna, qui paroist dans l' esloignement ; et ce coup acheve d' accabler le chef des geants, qui s' efforçoit de se relever.)

Fin du premier Acte.
PROLOGUE
(Le theatre represente l' antre de la Discorde, on y voit la Paix enchaînée : la Félicité,
l'Abondance, les Jeux et les Plaisirs y accompagnent la Paix, et sont enchaînés comme elle).

La Paix
Héros, dont la valeur estonne l' univers,
Ah ! Quand briserez-vous nos fers ?
La Discorde nous tient icy sous sa puissance ;
La barbare se plaist à voir couler nos pleurs ;
Soyez touché de nos malheurs,
Vous estes dans nos maux nostre unique esperance ;
Heros, dont la valeur estonne l' univers,
Ah! quand briserez-vous nos fers !

Le Chœur.
Heros, dont la valeur estonne l' univers,
Ah! quand briserez-vous nos fers !

(La Haine, la Rage, les Chagrins, la Jalousie, le Dépit, le Desespoir, et toute la suite de la Discorde, témoignent les douceurs qu' ils trouvent dans l' esclavage où ils ont reduit la Paix.)

La Discorde
Soupirez, triste paix, malheureuse captive,
Gemissez, et n' esperez-pas
Qu' un heros que j' engage en de nouveaux combats
Ecoute vostre voix plaintive.
Plus il moissonne de lauriers,
Plus j' offre de matiere à ses travaux guerriers.
J' anime les vaincus d' une nouvelle audace ;
J' oppose à la vive chaleur
De son indomptable valeur
Mille fleuves profonds, cent montagnes de glace.
La victoire empressée à conduire ses pas
Se prepare à voler aux plus lointains climas ;
Plus il la suit, plus il la trouve belle ;
Il oublie aisément pour elle
La Paix et ses plus doux appas.

La Paix et sa suite.
O rigueurs inhumaines !
Faut-il ne voir jamais finir le triste cours
De nos malheurs, et de nos peines ?

La Discorde et sa suite.
Vos plaintes seront vaines
N' esperez jamais de secours.

La Paix et sa suite.
Quel tourment de languir toûjours
Sous de cruelles chaînes !

La Discorde et sa suite.
Vos plaintes seront vaines
N' esperez jamais de secours.

(On entend un bruit de trompettes et de tymbales.)

La Discorde
Ce bruit que la Victoire en ces lieux fait entendre.
M' avertit qu' elle y va descendre.
Quel plaisir de luy faire voir
Mon ennemie au desespoir !

(La Victoire descend, elle est accompagnée d' un grand nombre de Victoires, et de Héros.)

La Victoire
Venez aimable paix, le vainqueur vous appelle,
La Victoire devient vostre guide fidelle ;
Venez dans un heureux sejour.
Vous, discorde affreuse et cruelle,
Portez ses fers à vostre tour.

La Victoire et sa suite.
Venez, aimable paix, le vainqueur vous appelle.

(La suite de la Victoire deschaîne la Paix et les divinitez qui l' accompagnent, et enchaîne la Discorde et sa suite.)

La Paix et sa suite.
Ah ! Quel bonheur charmant !

La Discorde et sa suite.
Ah ! Quel affreux tourment !

La Discorde enchaînée.
Orgueilleuse victoire, est-ce à toy d' entreprendre
De mettre la discorde aux fers ?
À quels honneurs sans moy peux-tu jamais prétendre ?

La Victoire
Ah ! Qu' il est beau de rendre
La Paix à l' univers.

La Discorde
Tes soins pour le vainqueur pouvoient plus loin s'étendre!
Que ne conduisois-tu le heros que tu sers,
Où cent lauriers nouveaux luy sont encore offerts ?
La gloire au bout du monde auroit esté l' attendre.

La Victoire
Ah ! Qu' il est beau de rendre
La Paix à l' univers.
Apres avoir vaincu mille peuples divers,
Quand on ne voit plus rien qui puisse se deffendre,
Ah ! Qu' il est beau de rendre
La Paix à l' univers.

(La suite de la victoire et la suite de la paix, repetent ces derniers vers.)

La Discorde
O! Cruel esclavage !
Je ne verray donc plus de sang et de carnage ?
Ah ! Pour mon desespoir faut-il que le vainqueur
Ait triomphé de son courage ?
Faut-il qu' il ne laisse à ma rage
Rien à devorer que mon coeur ?
O ! Cruel esclavage !

(La suite de la Dicorde repete ce dernier vers.)

La Victoire
Au fond d' un gouffre plein d' horreur,
Que sous des fers pesants la discorde gemisse.
Partagez son supplice
Vous qui partagez sa fureur.
Et vous triste sejour, changez, que tout ressente
Le pouvoir plein d' appas de la paix triomphante.

(La discorde et sa suite s'abîment dans des gouffres qui s'ouvrent sous leurs pas, et l'affreuse retraite de la Discorde se change en un palais agreable.)

La Paix et sa suite.
Ah! quel bonheur charmant !

La Discorde et sa suite en s' abismant.
Ah! Quel affreux tourment !

La Victoire et La Paix.
Le vainqueur est comblé de gloire,
On doit l' admirer à jamais :
Il s' est servy de la victoire
Pour faire triompher la paix.

(La suite de la victoire et la suite de la paix repetent ces quatre vers.)
(La suite de la paix témoigne sa joye en dançant et en chantant.)

La Felicité et l' Abondance chantent ensemble.
Il est temps que l'Amour nous enchaîne,
Il sçait vaincre les plus fiers vainqueurs.
Rendons-nous, la fuite est vaine,
Ce dieu charme tous les coeurs :
Il n'a point de bien sans peine,
Mais peut-on trop payer ses douceurs.
Dans les fers qu'Amour veut que l' on prenne,
Tout est doux jusqu' aux plus tristes pleurs.
Rendons-nous, la fuite est vaine,
Ce dieu charme tous les coeurs, etc.
Il n'a point de bien sans peine,
Mais peut-on trop payer ses douceurs.

La Paix
On a quitté les armes.
Voicy le temps heureux
Des plaisirs pleins de charmes,
Voicy le temps heureux
Des plaisirs et des jeux.
On ne versera plus de larmes,
Tous les coeurs seront sans allarmes ;
Et si l' on craint encor des tourments rigoureux
Ce sera seulement dans l' empire amoureux.
On a quitté les armes
Voicy le temps heureux
Des plaisirs pleins de charmes,
Voicy le temps heureux
Des plaisirs et des jeux.

(Le choeur repete ces derniers vers.)

La Felicité
Que l'Amour est doux à suivre !
Quel plaisir de s' enflammer !
Un jeune coeur ne commence de vivre
Que du moment qu' il commence d' aimer.
Malheureux qui se delivre
D' un tourment qui sçait charmer.
On reconnoist que l' on cesse de vivre
En mesme temps que l' on cesse d' aimer.

Le Choeur
On a quitté les armes
Voicy le temps heureux
Des plaisirs pleins de charmes,
Voicy le temps heureux
Des plaisirs et des jeux.

Fin du Prologue.


ACTE 1
(Le theatre represente le palais de Ceres.)

SCENE 1
Ceres, Cyané, Crinise.

Ceres
Goustons dans ces aimables lieux
Les douceurs d' une paix charmante.
Les superbes geants armez contre les dieux
Ne nous donnent plus d' espouvante :
Ils sont ensevelis sous la masse pesante
Des monts qu' ils entassoient pour attaquer les cieux
Nous avons veu tomber leur chef audacieux
Sous une montagne brulante ;
Jupiter la contraint de vomir à nos yeux
Les restes enflamez de sa rage mourante,
Jupiter est victorieux,
Et tout cede à l' effort de sa main foudroyante.
Goustons dans ces aimables lieux
Les douceurs d' une paix charmante.

Ceres, Cyané, et Crinise.
Goustons dans ces aimables lieux
Les douceurs d' une paix charmante.

Ceres
Prenez soin d' assembler tout ce qui suit mes loix,
Honnorons le vainqueur d' une commune voix.

Ceres, Cyané, et Crinise.
Honnorons le vainqueur d' une commune voix.

(Cyané et Crinise vont de deux costez differents appeller les divinitez et les peuples de la Sicile, pour venir ensemble celebrer la victoire de Jupiter.)

SCENE 2
(Mercure descend du ciel.)
Mercure, Ceres

Ceres
Mercure, quel dessein vous fait icy descendre ?

Mercure
Jupiter prés de vous m' ordonne de me rendre.

Ceres
Non, non, à vos discours je n' ose adjoûter foy.
Jupiter aprés sa victoire
Songe à tenir en paix l' univers sous sa loy ;
Il est trop occupé de sa nouvelle gloire,
Eh ! Le moyen de croire
Qu' il songe encore à moy ?

Mercure
Dans les soins les plus grands dont son ame est remplie,
Il se souvient toûjours que vous l' avez charmé ;
Il est mal-aisé qu' on oublie
Ce qu' on a tendrement aimé,
Il admire les dons que vous venez de faire
En cent climats divers,
L' abondante Sicile heureuse de vous plaire
De vos riches moissons voit tous ses champs couverts :
Mais la mere des dieux se plaint que la Phrygie
Qu’elle a toûjours cherie,
Ne se ressente pas de vos soins bien-faisants ;
Et c' est Jupiter qui vous prie
D' y porter vos divins presents.
Quelle gloire de voir qu' un dieu si grand implore
Vostre favorable secours !

Ceres
Peut-estre qu' il m' estime encore,
Mais il m' avoit promis qu' il m' aimeroit toûjours.
L'amour qui pour luy m' anime
Devient plus fort chaque jour,
Est-ce assez d' un peu d' estime
Pour le prix de tant d' amour?

Mercure
Il sent l' ardeur qu' un tendre amour inspire,
Avec plaisir il se laisse enflamer ;
Mais un amant chargé d' un grand empire
N'a pas toûjours le temps de bien aimer.

Ceres
Quand de son coeur je devins souveraine
N'avoit-il pas le monde à gouverner,
Et ne trouvoit-il pas sans peine
Du temps de reste à me donner.
Je l' ay veu sous mes loix ce dieu si redoutable.
Je l' ay veu plein d' empressement ;
Ah ! Qu' il seroit aimable,
S il aimoit constamment !

Mercure
Son amour craint de trop paraistre,
Dans le ciel on l' observe avec des yeux jaloux.

Ceres
De quels dieux n' est-il pas le maistre ?
Ne les fait-il pas trembler tous ?
Que vous l' excusez mal quand mon amour l' accuse ;
S' il pouvoit avoir quelque excuse,
Mon coeur la trouveroit mille fois mieux que vous.
Allez, à ses desirs il faut que je responde.
Je quitte une paix profonde,
Qui m' offre icy mille appas :
Que ne quitteroit-on pas
Pour plaire au maistre du monde ?

(Mercure repete ces deux derniers vers avec Ceres, et s' envole pour aller au ciel retrouver Jupiter.)

SCENE 3
Arethuse, Ceres

Ceres
La Phrygie a besoin de mes dons precieux,
Et je laisse avec vous Proserpine en ces lieux,
J' ay peine à la quitter, cette fille si chere...

Arethuse
Je suis dans la Sicile une nymphe estrangere,
Je viens vous conjurer de m' en laisser partir.

Ceres
Non, Arethuse, non, je n' y puis consentir.

Arethuse
Alphée à mon repos a declaré la guerre :
Diane propice à mes voeux,
En vain pour me cacher à ce fleuve amoureux,
Fit ouvrir le sein de la terre :
Il n' est point de détours dans l' ombre des enfers
Que son amour n' ait découverts :
Je l' ay trouvé par tout, et sous des mers profondes
J'ay veu ses flots brûlants suivre mes froides ondes ;
Je veux le fuïr encore au bout de l' univers.

Ceres
Les soins d' un amour extresme
Devroient moins vous allarmer :
Vous craignez trop qu' on vous aime,
Ne craignez vous point d' aimer ?
Vous rougissez, Arethuse ;
Vostre rougeur vous accuse.
Il est aisé de voir dans ce trouble fatal
Le peril où l' amour en ces lieux vous expose.

Arethuse
Le dangereux amour ! Que je luy veux de mal
Du trouble qu' il me cause !

Ceres
Avec Alphée icy je veux vous arrester.

Arethuse
Eh ! De grace, aidez-moy plutost à l' eviter.
Je crains enfin qu' il ne m' engage,
Et sa constance me fait peur :
Non, si je le vois davantage,
Je ne respons plus de mon coeur.

Ceres
Aimez sans vous contraindre,
Aimez à vostre tour.
C' est déja ressentir l' amour
Que de commencer à le craindre.

(Arethuse chante ces deux derniers vers avec Ceres.)

Ceres
Je vais voir Proserpine, et partir promptement.
Demeurez avec elle en un lieu si charmant
Pour fuïr l'Amour qui vous appelle
Ne cherchez plus de vains détours :
Aimez un amant fidelle,
On n' en trouve pas toujours

(Ceres va voir Proserpine avant que de partir pour aller en Phrygie. )

SCENE 4
Arethuse seule.
Vaine fierté, foible rigueur,
Que vous avez peu de puissance
Contre l' amour et la constance !
Vaine fierté, foible rigueur,
Ah ! Que vous gardez mal mon coeur !
En vain, par vos conseils je me fais violence :
Je combats vainement une douce langueur :
Helas ! Vous m' engagez à faire resistance,
Et vous me laissez sans deffence,
Au pouvoir de l' amour vainqueur.
Vaine fierté, foible rigueur,
Que vous avez peu de puissance
Contre l' amour et la constance !
Vaine fierté, foible rigueur,
Ah ! Que vous gardez mal mon coeur !
Je vois Alphée, ô dieux ! Où sera mon asile?
Mon coeur est déja charmé,
Et ma fuite est inutile ;
Helas ! Qu' il est difficile
De fuïr un amant aimé !
Il approche, je tremble. Ah faut-il qu' il jouisse
Du trouble honteux où je suis ?
Pardonne, Amour, si je le fuis,
J' en ressens un cruel supplice ;
Mais n' importe, je veux l' eviter si je puis.

SCENE 5
Alphée, Arethuse

Alphée
Arrestez, nymphe trop severe,
Ne fuyez plus d' une course legere
Les soins trop empressés de mon coeur amoureux ;
N' ayez plus contre moy ny chagrin ny colere,
J' ay resolu de ne vous plus déplaire,
Et je vais estouffer mon amour malheureux.

Arethuse
Alphée...

Alphée
Alphée enfin vous arreste, inhumaine!
Mais vous vous arrestez pour voir briser sa chaîne.
C'en est fait, mes fers sont rompus.

Arethuse
Alphée, est-il bien vray ?

Alphée
N' en doutez point, cruelle,
Je le reprends ce coeur trop tendre et trop fidelle,
Ce coeur trop rebutté par de cruels refus.

Arethuse
Alphée, est-il bien vray que vous ne m' aimiez plus ?

Alphée
Ingrate! il est trop vray, mon coeur rompt avec peine
Des noeuds qu' il a trouvé si beaux ;
Mais de peur qu' il ne les reprenne
Je le veux engager en des liens nouveaux.
J' ay veu l' aimable Proserpine :
On connoit à l' éclat de sa beauté divine
Que du maistre des dieux elle a receu le jour.
Rendez luy grace,
C' est elle qui vous débarasse
De mon facheux amour.

Arethuse
Si Proserpine est belle,
Son coeur est fier et rigoureux :
Vostre chaine nouvelle
Ne vous rendra pas plus heureux.

Alphée
N' importe je veux bien souffrir sous son empire.
Vous ne m' avez déja que trop accoustumé
Au rigoureux martire
D' aimer sans estre aimé.
Proserpine vous aime, et j' ose au moins pretendre
Que vous me servirez dans cet engagement.
Vous sçavez si mon coeur est tendre,
Vous avez éprouvé s' il aime constamment...

Arethuse,voulant fuir Alphée qui la suit.
Non je ne veux jamais entendre
Parler ny d' amour ny d' amant.
Me suivrez-vous sans cesse ?

Alphée
Me fuirez-vous toujours ?
L' ingrate Arethuse me laisse
Sans espoir de secours ?
C' est un feu nouveau qui me presse...

Arethuse
Me suivrez-vous sans cesse ?

Alphée
Me fuirez-vous toujours ?

SCENE 6
Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupes de divinitez et de peuples de Sicile. Nymphes & Divinités des bois & des eaux chantantes; Habitants de Sicile chantans; un Conducteur de la Fête & des Habitans de Sicile dansans.

Proserpine
Ceres va nous oster sa divine presence,
Ces lieux vont perdre leurs attraits,
Ceres, favorable Ceres,
Faites cesser bientost vostre cruelle absence,
Ceres, favorable Ceres
Écoutez nos tristes regrets.

(Le choeur repete ces derniers vers.)

SCENE 7
Ceres, Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupes de divinitez et de peuples.

Ceres, sur son char tiré par des dragons aîlés.
Vous qui voulez pour moy signaler vostre zele
Ne troublez point la paix de cet heureux sejour,
Je presse mon depart pour haster mon retour ;
Accompagnez ma fille avec un soin fidelle.
Changez vos tristes chants en de charmants concerts ;
Que j' entende en partant dans le milieu des airs
Esclater la gloire nouvelle
Du plus grand dieu de l' univers.

(Ceres fait partir son char volant.)

SCENE 8
Proserpine, Alphée, Arethuse, Cyané, Crinise, troupe de divinitez, troupe de peuples.

Proserpine et le choeur.
Celebrons la victoire
Du plus puissant des dieux.
Qu' un trophée eternel conserve la memoire
D'un triomphe si glorieux.
Celebrons la victoire
Du plus puissant des dieux ;
Faisons retentir jusqu' aux cieux
Le bruit éclattant de sa gloire :
Celebrons la victoire
Du plus puissant des dieux.

(On dance autour d' un trophée qu' on esleve à l' honneur de Jupiter, et que l' on forme du débris des armes monstrueuses des geans vaincus.)
(Sur la fin de cette feste on entend un tremblement de terre qui fait tomber une partie du palais de Ceres.)

Proserpine et le choeur.
Ce palais va tomber ; ô dieux ! La terre s' ouvre !
Quels tremblements affreux !
L' enfer decouvre
Ses gouffres tenebreux.
Jupiter, lancez le tonnerre,
Renversez par de nouveaux coups
Le chef audacieux des enfans de la terre :
Il veut se relever pour s' armer contre vous,
Achevez d' étoufer la guerre.
Jupiter : lancez le tonnere.

(Le tonnere tombe sur le mont Etna, qui paroist dans l' esloignement ; et ce coup acheve d' accabler le chef des geants, qui s' efforçoit de se relever.)

Fin du premier Acte.


最終更新:2014年06月05日 11:12