ACTE 2
(Le theatre change et represente les jardins de Ceres.)

SCENE 1
Crinise, Alphée.

Crinise
Jupiter a dompté les geans pour jamais.
Ce beau sejour brille de nouveaux charmes,
Tout y ressent le retour de la paix :
Ah ! Que le repos a d' attraits
Apres de mortelles allarmes.

Alphée
La paix dans ces beaux lieux m' offre en vain mille appas.
L'amour en rend pour moy la douceur inutile ;
Cruel Amour, helas !
Que me sert-il de voir tout le monde tranquille
Si mon coeur ne l' est pas ?

Crinise
Vous changez, vous quittez une nymphe inhumaine.
Vostre coeur ne risque rien
A choisir une autre chaîne,
C' est toujours un bien
De changer de peine.

Alphée
Heureux qui peut estre inconstant !
Rebutté des rigueurs d' une haine éternelle,
J' ay voulu la quitter cette beauté cruelle,
Et j' esprouve qu' en la quittant
Mon coeur est encor moins content.
J' ay feint de ressentir une flamme nouvelle,
J' ay fait voir à ses yeux un dépit éclatant ;
Mais helas ! Dans le mesme instant
Je brûlois en secret, je languissois pour elle,
Et je ne l' aimay jamais tant.
Qu' il couste cher d' estre fidelle !
Heureux qui peut estre inconstant !

(Crinise et Alphée repettent ensemble ces deux derniers vers.)

Crinise
Quelqu' un vient, gardez le silence.

Alphée
C' est Ascalaphe qui s' avance
Pour quelque soin pressant il quitte les enfers :
Il n' a de mon amour que trop de connoissance,
Où n' ay-je point porté la honte de mes fers ?

SCENE 2
Ascalaphe, Alphée

Alphée
Venez goûter icy le doux air qu' on respire.

Ascalaphe
Je dois suivre le dieu de l' infernal empire.
La terre par ses tremblements
Vient d' ébranler les fondements
De nos demeures sombres :
Pluton a voulu voir si la clarté des cieux
Ne s' ouvre point de passage en ces lieux
Pour aller aux enfers effaroucher les ombres.
Il me permet de voir Arethuse un moment.

Alphée
D' où vous vient tant d' empressement ?

Ascalaphe
Je l' ay veuë aux enfers ; que je la trouvois belle !

Alphée
L' ingrate me fuyoit, elle est toujours cruelle.

Ascalaphe
Ses cruautés pour vous, ses soins pour fuir vos pas
Ont encore à mes yeux augmenté ses appas.

Alphée
Les flammes amoureuses
Descendent-elles jusqu' à vous ?
L'Amour veut un sejour plus doux
Que vos demeures tenebreuses.

Ascalaphe
L' astre brillant qui vous luit
Finit son cours dans les ondes,
Il ne peut percer la nuit
De nos demeures profondes ;
Mais il n' est point de sejour
Impenetrable à l'Amour.

Alphée
Qu' esperez-vous d' une ame si severe ?
Mon amour ne peut l' émouvoir.

Ascalaphe
Si vous ne sçavez pas le secret de luy plaire
Un autre pourra le sçavoir.

Alphée
Sçaurez-vous de son coeur vaincre la resistance ?
Est-ce aux enfers qu' on apprend ce secret ?

Ascalaphe
On aprend aux enfers à garder le silence,
Et l' on y sçait estre discret ;
La nymphe que je cherche avec soin vous évite,
Pour la trouver, il faut que je vous quitte.

SCENE 3
Alphée seul.
Amants qui n' estes point jaloux,
Que vostre sort est doux !
L'Amour m' a fait gêmir sous une dure chaîne ;
Mais quand je me plaignois de ses funestes coups
Je ne connoissois pas le plus cruel de tous.
Un autre aime Arethuse et ne craint point sa haine ;
Et je voy sur moy seul tomber tout son courroux :
C' estoit peu du malheur d' aimer une inhumaine,
Le bonheur d' un rival a redoublé ma peine.
Amants qui n' estes point jaloux,
Que vostre sort est doux !

SCENE 4
Alphée, Arethuse

Alphée
Ingrate, escoutez-moy, je ne veux plus me plaindre,
Je ne vous diray rien qui vous puisse allarmer.

Arethuse
Vous cessez de m' aimer,
Je cesse de vous craindre.

Alphée
Ascalaphe vous cherche icy,
Bien-tost vous le verrez paraistre ;
Arethuse, peut-estre,
Vous le cherchez aussi.

Arethuse
L' aimable Proserpine en vostre ame a fait naistre
Une nouvelle ardeur ;
Si vous ne m' aimez plus, que vous sert de connaistre
Le secret de mon coeur ?

Alphée
Faut-il que vostre coeur à l' amour moins rebelle
Recompense un amant sans esprouver sa foy ?
Si ce bien eust esté le prix du plus fidele,
Ah ! Vous sçavez, cruelle,
Qu' il n' estoit dû qu' à moy.

Arethuse
Vostre nouvelle chaîne est si belle et si forte !
Pourquoy songer encore à des liens rompus.
Que vous importe
Qu' un autre emporte
Un prix qui ne vous touche plus ?

Alphée
Vous avez fuy les soins de mon amour extresme,
Vous m' avez osté tout espoir :
Si je disois que je vous aime,
Vous m' osteriez encor le plaisir de vous voir.

Arethuse et Alphée.
C' est une (C’est un) autre que moy qui regne dans vostre ame,
Vous trouvez d' autres noeuds plus doux :
En vain je veux cacher ma flâme,
Mon amour paroist trop dans mes transports jaloux ;
Non, je ne puis aimer que vous.

SCENE 5
Ascalaphe, Arethuse, Alphée

Arethuse
Est-il vray que mon coeur soit en vostre puissance ?

Ascalaphe
Je vous aime sans esperance ;
J' ay voulu soulager mon mal
Par le chagrin de mon rival.
Dans les enfers, c' est ainsi qu' on en use :
Mes maux n' ont pû trouver d' autre adoucissement.
Pardonnez-moy, belle arethuse,
Je ne suis pas le seul qui se vante en aimant
De posseder un coeur qu' on luy refuse.
Mais Alphée aujourd' huy n' est plus tant rebutté ;
Vous ne fuyez plus sa presence.

Arethuse
Pour punir vostre vanité
Je veux que vous voyez triompher sa constance.

Ascalaphe
En luy donnant la preference,
Vous me rendez la liberté.
C’est goûter la félicité
Que d’Amour braver la puissance.

Alphée et Arethuse.
Pour estre heureux, il faut qu' on aime bien.

Ascalaphe
Pour estre heureux il faut qu' on n' aime rien.
Mais Pluton va bien-tost rentrer dans son empire :
Il passe en ces lieux, il admire
Les charmes d' un sejour si doux.

SCENE 6
Pluton, Arethuse, Ascalaphe, Alphée

Pluton
Demeurez Arethuse, Alphée esloignez-vous.
(Alphée se retire, et Pluton continue à parler.)
Les efforts d' un geant qu' on croyoit accablé
Ont fait encor frémir le ciel, la terre, et l' onde
Mon empire s' en est troublé ;
Jusqu' au centre du monde
Mon trosne en a tremblé.
L' affreux Typhon avec sa vaine rage
Trébuche enfin dans des gouffres sans fonds.
L' éclat du jour ne s' ouvre aucun passage
Pour penetrer les royaumes profonds
Qui me sont échus en partage.
Le ciel ne craindra plus que ses fiers ennemis
Se relevent jamais de leur chûte mortelle,
Et du monde esbranlé par leur fureur rebelle
Les fondemens sont raffermis :
Je puis faire goûter une paix eternelle
Aux peuples souterrains que le sort m' a soumis.
Mais par vos soins puis-je voir Proserpine
Avant que de quitter cet aimable sejour ?

Arethuse
Cette fiere beauté s' obstine
A fuir les amants et l' amour.
Dans l' innocent repos de cette solitude
Elle évite les dieux
De la terre et des cieux :
Jugez de son inquietude
Si le dieu des enfers paroissoit à ses yeux.
Caché sous cét espais feuillage
Vous pourriez la voir un moment.

Pluton
Allez, il suffira que vostre soin l' engage
A venir dans ce lieu charmant,
Et si je puis la voir il n' importe comment.

SCENE 7
Pluton, Ascalaphe

Ascalaphe
J' ay peine à concevoir d' où vient le trouble extrême
Où le coeur de Pluton semble s' abandonner.

Pluton
Tu peux t' en estonner,
J' en suis surpris moy-mesme
J' ay trouvé Proserpine en visitant ces lieux.
Les pleurs couloient de ses beaux yeux :
Elle fuyoit, interdite, et tremblante ;
Pour implorer l' assistance des dieux
Elle tournoit ses regards vers les cieux :
Sa douleur et son espouvante
Rendoient encor sa beauté plus touchante.
Les accens plaintifs de sa voix
Ont ému mon coeur inflexible ;
Qu' un coeur fier est troublé quand il devient sensible
Ppour la premiere fois !

Ascalaphe
Contre l'Amour quel coeur peut se deffendre ?
Le temps d' aymer n' est pas connu,
Il faut l' attendre ;
Quand ce temps fatal est venu,
Il faut se rendre.
Contre l' amour quel coeur peut se deffendre ?

Pluton
De ce dieu si puissant je mesprisois les feux,
J' esprouve enfin sa vengeance cruelle.
Je l' ay veu, ce dieu dangereux,
Il suivoit Proserpine; il voloit après elle.
J' ay veu de sa fatale main
Partir un trait de flamme,
J' ay voulu l' éviter en vain,
Le coup a penetré jusqu' au fond de mon ame.

Ascalaphe
L'Amour a surmonté le maistre des enfers ;
Il n' a plus rien à vaincre après cette victoire.

Pluton et Ascalaphe.
L'Amour comblé de gloire
Triomphe de tout l' univers.

SCENE 8
Proserpine, Cyané, Arethuse, Pluton, Ascalaphe, Troupe de nymphes. Quatorze nymphes de la suitte de Proserpine chantantes. Huit nymphes dançantes.

Proserpine et ses nymphes.
Les beaux jours et la paix
Sont revenus ensemble.

Pluton
La troupe des nymphes s' assemble,
Retirons-nous sous ce feuillage espais.

(Pluton et Ascalaphe se retirent et se cachent, et Proserpine et ses nymphes s' avancent en dançant et en chantant.) :

Proserpine et ses nymphes.
Les beaux jours et la paix
Sont revenus ensemble.
On ne voit plus de coeur qui tremble,
Tout rit dans ces lieux pleins d' attraits.
Les beaux jours et la paix
Sont revenus ensemble.

(Proserpine et ses nymphes continuent leurs dances et leurs chants.)

Proserpine
Belles fleurs, charmant ombrage
Il ne faut aimer que vous.

Le Choeur
On ne trouve rien de doux
Quand on est dans l' esclavage.

Proserpine
Belles fleurs, charmant ombrage
Il ne faut aimer que vous.

Le Choeur
Les amants n' ont en partage
Que langueurs, que soins jaloux.

Proserpine
Belles fleurs, charmant ombrage
Il ne faut aimer que vous.

Choeur
Belles fleurs charmant ombrage,
Il ne faut aimer que vous.

Proserpine
Quand un coeur est trop sensible,
Rien ne peut le rendre heureux.

Le Choeur
Dans les plus aimables noeuds
On n' a point de bien paisible.

Proserpine
Quand un coeur est trop sensible,
Rien ne peut le rendre heureux.

Le Choeur
C' est toujours un mal terrible
Que l' ardeur des plus beaux feux.

Proserpine
Quand un coeur est trop sensible,
Rien ne peut le rendre heureux.

Le Choeur
Quand un coeur est trop sensible
Rien ne peut le rendre heureux.

Proserpine
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.
Le jour n' esclaire
Que pour nous plaire,
Ces arbres verds
Ont leur plus beau feuillage,
Et mille oyseaux divers
Dans ce boccage
Imittent nos concerts
Par leur ramage ;
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.
Tout s' interesse
Dans nos desirs,
Jamais l' amour ne nous blesse,
Les doux plaisirs
Sont pour les coeurs sans foiblesse.
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.

Le Choeur
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.
Pour nous deffendre
D' un amour tendre,
Avec fierté,
Nous avons pris les armes :
Nos biens n' ont point coûté
De tristes larmes,
La liberté
N' a jamais que des charmes :
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.

Proserpine
Nous reverrons bien-tost Ceres dans ces beaux lieux,
Il faut luy preparer des guirlandes nouvelles.
Separons-nous ; voyons qui sçait le mieux
Assortir les fleurs les plus belles.

Choeur De Nymphes
Voyons qui sçait le mieux
Assortir les fleurs les plus belles.

(Les nymphes s' écartent, Proserpine et Cyané cüeillent des fleurs.)

SCENE 9
Pluton, Proserpine, Ascalaphe, Cyané, troupe de divinitez des enfers. Huit divinitez infernalles chantantes.

Pluton
Infernales divinitez
Secondez mon amour, sortez.

(Une troupe de divinitez infernales sort de la terre, et le char de Pluton paroist en mesme temps.)

Proserpine
Ciel ! Prenez ma deffence !

Proserpine et Cyané.
O ciel ! Protegez l' innocence !

Pluton, Ascalaphe, et les divinitez infernales.
Proserpine ne craignez pas
Un dieu charmé de vos appas.

Cyané, retenant Proserpine.
Quelle barbare violence !

Pluton
Nymphe, crains ma vengeance :
Sur peine de perdre la voix.
Garde-toy de parler de tout ce que tu vois.

(L' escharpe de Proserpine demeure dans les mains de Cyané, et Pluton fait placer Proserpine prés de luy sur son char.)

Proserpine
Ciel ! Prenez ma deffence !

Proserpine et Cyané.
O ciel ! Protegez l' innocence !

Pluton, Ascalaphe, et les divinitez infernales descendans aux enfers avec Proserpine.
Proserpine, ne craignez pas,
Un dieu charmé de vos appas.

Fin du deuxième Acte.
ACTE 2
(Le theatre change et represente les jardins de Ceres.)

SCENE 1
Crinise, Alphée.

Crinise
Jupiter a dompté les geans pour jamais.
Ce beau sejour brille de nouveaux charmes,
Tout y ressent le retour de la paix :
Ah ! Que le repos a d' attraits
Apres de mortelles allarmes.

Alphée
La paix dans ces beaux lieux m' offre en vain mille appas.
L'amour en rend pour moy la douceur inutile ;
Cruel Amour, helas !
Que me sert-il de voir tout le monde tranquille
Si mon coeur ne l' est pas ?

Crinise
Vous changez, vous quittez une nymphe inhumaine.
Vostre coeur ne risque rien
A choisir une autre chaîne,
C' est toujours un bien
De changer de peine.

Alphée
Heureux qui peut estre inconstant !
Rebutté des rigueurs d' une haine éternelle,
J' ay voulu la quitter cette beauté cruelle,
Et j' esprouve qu' en la quittant
Mon coeur est encor moins content.
J' ay feint de ressentir une flamme nouvelle,
J' ay fait voir à ses yeux un dépit éclatant ;
Mais helas ! Dans le mesme instant
Je brûlois en secret, je languissois pour elle,
Et je ne l' aimay jamais tant.
Qu' il couste cher d' estre fidelle !
Heureux qui peut estre inconstant !

(Crinise et Alphée repettent ensemble ces deux derniers vers.)

Crinise
Quelqu' un vient, gardez le silence.

Alphée
C' est Ascalaphe qui s' avance
Pour quelque soin pressant il quitte les enfers :
Il n' a de mon amour que trop de connoissance,
Où n' ay-je point porté la honte de mes fers ?

SCENE 2
Ascalaphe, Alphée

Alphée
Venez goûter icy le doux air qu' on respire.

Ascalaphe
Je dois suivre le dieu de l' infernal empire.
La terre par ses tremblements
Vient d' ébranler les fondements
De nos demeures sombres :
Pluton a voulu voir si la clarté des cieux
Ne s' ouvre point de passage en ces lieux
Pour aller aux enfers effaroucher les ombres.
Il me permet de voir Arethuse un moment.

Alphée
D' où vous vient tant d' empressement ?

Ascalaphe
Je l' ay veuë aux enfers ; que je la trouvois belle !

Alphée
L' ingrate me fuyoit, elle est toujours cruelle.

Ascalaphe
Ses cruautés pour vous, ses soins pour fuir vos pas
Ont encore à mes yeux augmenté ses appas.

Alphée
Les flammes amoureuses
Descendent-elles jusqu' à vous ?
L'Amour veut un sejour plus doux
Que vos demeures tenebreuses.

Ascalaphe
L' astre brillant qui vous luit
Finit son cours dans les ondes,
Il ne peut percer la nuit
De nos demeures profondes ;
Mais il n' est point de sejour
Impenetrable à l'Amour.

Alphée
Qu' esperez-vous d' une ame si severe ?
Mon amour ne peut l' émouvoir.

Ascalaphe
Si vous ne sçavez pas le secret de luy plaire
Un autre pourra le sçavoir.

Alphée
Sçaurez-vous de son coeur vaincre la resistance ?
Est-ce aux enfers qu' on apprend ce secret ?

Ascalaphe
On aprend aux enfers à garder le silence,
Et l' on y sçait estre discret ;
La nymphe que je cherche avec soin vous évite,
Pour la trouver, il faut que je vous quitte.

SCENE 3
Alphée seul.
Amants qui n' estes point jaloux,
Que vostre sort est doux !
L'Amour m' a fait gêmir sous une dure chaîne ;
Mais quand je me plaignois de ses funestes coups
Je ne connoissois pas le plus cruel de tous.
Un autre aime Arethuse et ne craint point sa haine ;
Et je voy sur moy seul tomber tout son courroux :
C' estoit peu du malheur d' aimer une inhumaine,
Le bonheur d' un rival a redoublé ma peine.
Amants qui n' estes point jaloux,
Que vostre sort est doux !

SCENE 4
Alphée, Arethuse

Alphée
Ingrate, escoutez-moy, je ne veux plus me plaindre,
Je ne vous diray rien qui vous puisse allarmer.

Arethuse
Vous cessez de m' aimer,
Je cesse de vous craindre.

Alphée
Ascalaphe vous cherche icy,
Bien-tost vous le verrez paraistre ;
Arethuse, peut-estre,
Vous le cherchez aussi.

Arethuse
L' aimable Proserpine en vostre ame a fait naistre
Une nouvelle ardeur ;
Si vous ne m' aimez plus, que vous sert de connaistre
Le secret de mon coeur ?

Alphée
Faut-il que vostre coeur à l' amour moins rebelle
Recompense un amant sans esprouver sa foy ?
Si ce bien eust esté le prix du plus fidele,
Ah ! Vous sçavez, cruelle,
Qu' il n' estoit dû qu' à moy.

Arethuse
Vostre nouvelle chaîne est si belle et si forte !
Pourquoy songer encore à des liens rompus.
Que vous importe
Qu' un autre emporte
Un prix qui ne vous touche plus ?

Alphée
Vous avez fuy les soins de mon amour extresme,
Vous m' avez osté tout espoir :
Si je disois que je vous aime,
Vous m' osteriez encor le plaisir de vous voir.

Arethuse et Alphée.
C' est une (C’est un) autre que moy qui regne dans vostre ame,
Vous trouvez d' autres noeuds plus doux :
En vain je veux cacher ma flâme,
Mon amour paroist trop dans mes transports jaloux ;
Non, je ne puis aimer que vous.

SCENE 5
Ascalaphe, Arethuse, Alphée

Arethuse
Est-il vray que mon coeur soit en vostre puissance ?

Ascalaphe
Je vous aime sans esperance ;
J' ay voulu soulager mon mal
Par le chagrin de mon rival.
Dans les enfers, c' est ainsi qu' on en use :
Mes maux n' ont pû trouver d' autre adoucissement.
Pardonnez-moy, belle arethuse,
Je ne suis pas le seul qui se vante en aimant
De posseder un coeur qu' on luy refuse.
Mais Alphée aujourd' huy n' est plus tant rebutté ;
Vous ne fuyez plus sa presence.

Arethuse
Pour punir vostre vanité
Je veux que vous voyez triompher sa constance.

Ascalaphe
En luy donnant la preference,
Vous me rendez la liberté.
C’est goûter la félicité
Que d’Amour braver la puissance.

Alphée et Arethuse.
Pour estre heureux, il faut qu' on aime bien.

Ascalaphe
Pour estre heureux il faut qu' on n' aime rien.
Mais Pluton va bien-tost rentrer dans son empire :
Il passe en ces lieux, il admire
Les charmes d' un sejour si doux.

SCENE 6
Pluton, Arethuse, Ascalaphe, Alphée

Pluton
Demeurez Arethuse, Alphée esloignez-vous.
(Alphée se retire, et Pluton continue à parler.)
Les efforts d' un geant qu' on croyoit accablé
Ont fait encor frémir le ciel, la terre, et l' onde
Mon empire s' en est troublé ;
Jusqu' au centre du monde
Mon trosne en a tremblé.
L' affreux Typhon avec sa vaine rage
Trébuche enfin dans des gouffres sans fonds.
L' éclat du jour ne s' ouvre aucun passage
Pour penetrer les royaumes profonds
Qui me sont échus en partage.
Le ciel ne craindra plus que ses fiers ennemis
Se relevent jamais de leur chûte mortelle,
Et du monde esbranlé par leur fureur rebelle
Les fondemens sont raffermis :
Je puis faire goûter une paix eternelle
Aux peuples souterrains que le sort m' a soumis.
Mais par vos soins puis-je voir Proserpine
Avant que de quitter cet aimable sejour ?

Arethuse
Cette fiere beauté s' obstine
A fuir les amants et l' amour.
Dans l' innocent repos de cette solitude
Elle évite les dieux
De la terre et des cieux :
Jugez de son inquietude
Si le dieu des enfers paroissoit à ses yeux.
Caché sous cét espais feuillage
Vous pourriez la voir un moment.

Pluton
Allez, il suffira que vostre soin l' engage
A venir dans ce lieu charmant,
Et si je puis la voir il n' importe comment.

SCENE 7
Pluton, Ascalaphe

Ascalaphe
J' ay peine à concevoir d' où vient le trouble extrême
Où le coeur de Pluton semble s' abandonner.

Pluton
Tu peux t' en estonner,
J' en suis surpris moy-mesme
J' ay trouvé Proserpine en visitant ces lieux.
Les pleurs couloient de ses beaux yeux :
Elle fuyoit, interdite, et tremblante ;
Pour implorer l' assistance des dieux
Elle tournoit ses regards vers les cieux :
Sa douleur et son espouvante
Rendoient encor sa beauté plus touchante.
Les accens plaintifs de sa voix
Ont ému mon coeur inflexible ;
Qu' un coeur fier est troublé quand il devient sensible
Ppour la premiere fois !

Ascalaphe
Contre l'Amour quel coeur peut se deffendre ?
Le temps d' aymer n' est pas connu,
Il faut l' attendre ;
Quand ce temps fatal est venu,
Il faut se rendre.
Contre l' amour quel coeur peut se deffendre ?

Pluton
De ce dieu si puissant je mesprisois les feux,
J' esprouve enfin sa vengeance cruelle.
Je l' ay veu, ce dieu dangereux,
Il suivoit Proserpine; il voloit après elle.
J' ay veu de sa fatale main
Partir un trait de flamme,
J' ay voulu l' éviter en vain,
Le coup a penetré jusqu' au fond de mon ame.

Ascalaphe
L'Amour a surmonté le maistre des enfers ;
Il n' a plus rien à vaincre après cette victoire.

Pluton et Ascalaphe.
L'Amour comblé de gloire
Triomphe de tout l' univers.

SCENE 8
Proserpine, Cyané, Arethuse, Pluton, Ascalaphe, Troupe de nymphes. Quatorze nymphes de la suitte de Proserpine chantantes. Huit nymphes dançantes.

Proserpine et ses nymphes.
Les beaux jours et la paix
Sont revenus ensemble.

Pluton
La troupe des nymphes s' assemble,
Retirons-nous sous ce feuillage espais.

(Pluton et Ascalaphe se retirent et se cachent, et Proserpine et ses nymphes s' avancent en dançant et en chantant.) :

Proserpine et ses nymphes.
Les beaux jours et la paix
Sont revenus ensemble.
On ne voit plus de coeur qui tremble,
Tout rit dans ces lieux pleins d' attraits.
Les beaux jours et la paix
Sont revenus ensemble.

(Proserpine et ses nymphes continuent leurs dances et leurs chants.)

Proserpine
Belles fleurs, charmant ombrage
Il ne faut aimer que vous.

Le Choeur
On ne trouve rien de doux
Quand on est dans l' esclavage.

Proserpine
Belles fleurs, charmant ombrage
Il ne faut aimer que vous.

Le Choeur
Les amants n' ont en partage
Que langueurs, que soins jaloux.

Proserpine
Belles fleurs, charmant ombrage
Il ne faut aimer que vous.

Choeur
Belles fleurs charmant ombrage,
Il ne faut aimer que vous.

Proserpine
Quand un coeur est trop sensible,
Rien ne peut le rendre heureux.

Le Choeur
Dans les plus aimables noeuds
On n' a point de bien paisible.

Proserpine
Quand un coeur est trop sensible,
Rien ne peut le rendre heureux.

Le Choeur
C' est toujours un mal terrible
Que l' ardeur des plus beaux feux.

Proserpine
Quand un coeur est trop sensible,
Rien ne peut le rendre heureux.

Le Choeur
Quand un coeur est trop sensible
Rien ne peut le rendre heureux.

Proserpine
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.
Le jour n' esclaire
Que pour nous plaire,
Ces arbres verds
Ont leur plus beau feuillage,
Et mille oyseaux divers
Dans ce boccage
Imittent nos concerts
Par leur ramage ;
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.
Tout s' interesse
Dans nos desirs,
Jamais l' amour ne nous blesse,
Les doux plaisirs
Sont pour les coeurs sans foiblesse.
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.

Le Choeur
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.
Pour nous deffendre
D' un amour tendre,
Avec fierté,
Nous avons pris les armes :
Nos biens n' ont point coûté
De tristes larmes,
La liberté
N' a jamais que des charmes :
Que nostre vie
Doit faire envie !
Le vray bonheur
Est de garder son coeur.

Proserpine
Nous reverrons bien-tost Ceres dans ces beaux lieux,
Il faut luy preparer des guirlandes nouvelles.
Separons-nous ; voyons qui sçait le mieux
Assortir les fleurs les plus belles.

Choeur De Nymphes
Voyons qui sçait le mieux
Assortir les fleurs les plus belles.

(Les nymphes s' écartent, Proserpine et Cyané cüeillent des fleurs.)

SCENE 9
Pluton, Proserpine, Ascalaphe, Cyané, troupe de divinitez des enfers. Huit divinitez infernalles chantantes.

Pluton
Infernales divinitez
Secondez mon amour, sortez.

(Une troupe de divinitez infernales sort de la terre, et le char de Pluton paroist en mesme temps.)

Proserpine
Ciel ! Prenez ma deffence !

Proserpine et Cyané.
O ciel ! Protegez l' innocence !

Pluton, Ascalaphe, et les divinitez infernales.
Proserpine ne craignez pas
Un dieu charmé de vos appas.

Cyané, retenant Proserpine.
Quelle barbare violence !

Pluton
Nymphe, crains ma vengeance :
Sur peine de perdre la voix.
Garde-toy de parler de tout ce que tu vois.

(L' escharpe de Proserpine demeure dans les mains de Cyané, et Pluton fait placer Proserpine prés de luy sur son char.)

Proserpine
Ciel ! Prenez ma deffence !

Proserpine et Cyané.
O ciel ! Protegez l' innocence !

Pluton, Ascalaphe, et les divinitez infernales descendans aux enfers avec Proserpine.
Proserpine, ne craignez pas,
Un dieu charmé de vos appas.

Fin du deuxième Acte.


最終更新:2014年06月05日 11:10