Une place de village. — À gauche la maison de Guillot ; à droite, l’entrée d’une grange devant laquelle se trouve un gros arbre dont le pied forme banc de gazon ; une petite table rustique devant la maison.


Scène PREMIÈRE

GUILLOT, DENISE
Denise est debout auprès de l’arbre, elle est pensive. — Guillot entre par la gauche.

GUILLOT, brusquement.
Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là, plantée comme une image ?

DENISE
Moi, mon cousin, je ne fais rien.

GUILLOT
Je le vois bien !… à quoi que tu penses ?

DENISE
Dame ! mon cousin…

GUILLOT
À pas grand’chose de bon, bien sûr. Les poules ont-elles à manger seulement ? je parie que tu ne leur z’as pas encore donné leur grain d’aujourd’hui !

DENISE
Non, mon cousin, mais…

GUILLOT
Là ! qu’est-ce que je disais !… As-tu fini de tricoter la paire de bas que tu as commencée avant-z’hier ?

DENISE
Oh ! pour ça non, mon cousin…

GUILLOT
J’en étais sûr ! et il est déjà sept heures du matin ! — Mais quoi que t’as fait aujourd’hui, je vous le demande ?… À quoi que tu passes ton temps ? à dormir debout, à rêvasser comme une demoiselle !… ça n’peut pas marcher comme ça, d’abord !… avec ta mine triste à porter le diable en terre…

DENISE
Oui, mon cousin…

RONDEAU.

GUILLOT
Que dirait l’oncle Mathurin,
S’il te voyait l’air si chagrin ?
Toi qui jadis toujours rieuse,
Étais d’ici la plus joyeuse !
Allons, je veux te voir soudain
Riante, gaie, heureuse, enfin !

GUILLOT
À quoi passes-tu la journée ?
Trouverai-je en rentrant la basse-cour gavée ?

DENISE
Oui, mon cousin.

GUILLOT
As-tu rentré dans l’écurie
Le foin ? As-tu mené les bœufs dans la prairie ?

DENISE
Oui, mon cousin.

GUILLOT
Et la soupe est-elle trempée ?
As-tu mis au grenier la luzerne coupée ?

DENISE
Oui, mon cousin.

GUILLOT
Trouverai-je enfin, je te prie,
Tout en ordre en rentrant dans notre métairie ?

DENISE
Oui, mon cousin.

GUILLOT
Alors, tu dois être contente ?
Pourquoi donc n’as-tu plus la mine souriante ?
Que dirait l’oncle Mathurin
S’il te voyait, etc., etc., etc.

GUILLOT
Tu ne fais rien depuis deux heures
Eh bien !… en vérité, l’on dirait que tu pleures !

DENISE, s’essuyant les yeux.
Non, mon cousin.

GUILLOT
Ne suis-je pas la bonté même ?
Et, pour toi, ma douceur n’est-elle pas extrême ?

DENISE
Si, mon cousin.

GUILLOT
Alors, tâche donc de me dire
Pourquoi jamais chez nous l’on ne te voit sourire ?

DENISE
Dame, mon cousin.

GUILLOT
Allons, j’entends que tout de suite
Tu sois gaie, et je veux te voir rire au plus vite,

DENISE, souriant.
Oui, mon cousin.

GUILLOT
Je suis content, à la bonne heure !
Mais je me fâcherai désormais si l’on pleure.
Que dirait l’oncle Mathurin,
Etc., etc., etc.

GUILLOT
Voyons, dépêche-toi… va donner la becquée aux poules et puis finis ta paire de bas, et puis repasse le linge de la lessive, et plus vite que ça, ou sinon…

DENISE, effrayée.
Oui, mon cousin…
Elle se sauve.


Scène II

GUILLOT, seul.
Quand Denise est partie, Gaillet se met à rire en regardant le public — puis d’une voix très-douce.
J’ai l’air de croquemitaine, n’est-ce pas ? quand je parle à cette jeunesse… c’est exprès… c’est pour de rire ! Je tâche de l’échigner à force de la faire travailler… c’est bon pour les filles, ça… il n’y a rien qui les abrutit comme la fatigue ! et ça les empêche de penser à mal… et celle-là, je serais si désolé de la voir mal tourner !… car enfin c’est ma petite cousine, puisqu’elle est la nièce de mon oncle Mathurin ; c’est comme mon enfant, puisqu’elle est orpheline, et que son oncle, le mien, le père Mathurin, me l’a confiée quand il est parti pour Paris… Jusqu’à présent je n’en avais jamais eu que de la satisfaction, quand, il y a quinze jours, en passant du côté de la poste, je la vois qui mettait une lettre dans la boîte… Je me dis tout de suite : bien sûr, c’est à Grévin qu’elle écrit. Il a dansé neuf rondes avec elle, dimanche soir à l’assemblée, avant de retourner à son village… Bien sûr, c’est à Grévin qu’elle écrit !… aussi, je vous demande un peu pourquoi qu’on y a appris à écrire !… Est-ce qu’une fille devrait savoir de ces choses-là ? mais c’était une lubie de notre oncle Mathurin, il a tenu à ce que j’avions de l’instruction !… Enfin, v’là Denise qui rentre ; j’étais furieux… je lui fais des misères… elle se met à pleurer… moi, je ne sais pas résister à ses pleurs d’abord, mais n’importe, je prends mon courage à quatre mains, et je lui dis bravement : Mademoiselle, vous avez écrit à Grévin !… Elle me dit que non… je lui dis que si, et que j’ai vu la lettre ! Ah !… eh bien, croiriez-vous que je n’ai jamais pu faire avouer à cette obstinée-là qu’elle avait écrit à Grévin ?… Oh ! c’est menteur, ces petites filles !… Et puis, faut-il qu’elle soit godiche de se mettre à avoir des idées pour un gueux comme ça ?… car c’est un gueux, Grévin, savez-vous, un vrai gueux, un plat gueux, pas autre chose qu’un gueux ! Si, encore autre chose, un enjoleux. Et je ne veux pas qu’elle soit malheureuse, moi, parce qu’enfin c’est une brave fille, et c’est elle qu’a soigné ma pauvre mère dans sa dernière maladie, pendant que j’étais garçon de ferme, à cinq lieues d’ici ; et ces choses- là ça ne s’oublie pas ; aussi si jamais… je ne te dis que, ça… vois-tu, Denise… Voyons un peu si elle a fait ce que je lui ai dit.

Il rentre dans la grange.


Scène III
CATHERINE, FANCHETTE

Elles entrent bras dessus, bras dessous, par le fond à gauche.

FANCHETTE
Et alors donc, vous me disiez ?…

CATHERINE
Je vous disais que je voudrais devenir une madame.

FANCHETTE
Et moi donc ! si je pouvais trouver un riche parti, pour me dédommager un peu de feu mon époux !

CATHERINE
Tu l’aimais bien, pourtant…

FANCHETTE
Sans doute, mais ce n’était qu’un paysan. Crois-moi, ma chère, n’épouse jamais qu’un homme huppé.

CATHERINE
Oh ! si un monsieur voulait de moi !…

FANCHETTE
C’est pas les amoureux qui nous manquent.

CATHERINE
Non… c’est l’argent qui manque aux amoureux.

FANCHETTE
Ainsi, il y a ce grand dadais de Guillot…

CATHERINE
Le neveu du père Mathurin ?

FANCHETTE
Je suis sûre qu’il est amoureux de moi !

CATHERINE
Tiens, franchement, je crois plutôt que c’est de moi…

FANCHETTE
Pourtant, c’est bien à moi qu’il fait la cour !

CATHERINE
A moi aussi, toujours ! A preuve que, l’autre matin, tandis que j’étions à l’abreuvoir, il m’a flanqué un grand coup de poing dans le dos, que j’ai manqué de dévaler dans l’eau… C’est ça, une marque d’amour !

FANCHETTE
Eh bien ! et moi donc, l’autre soir, à la veillée, comme j’allais pour m’asseoir, il m’a retiré ma chaise et je suis tombée sur… le plancher, ah ! qu’est-ce que tu dis d’çà, toi. Oh ! après ça, va, je n’y tiens pas… si tu le veux, je te le cède.

CATHERINE
Pas du tout, moi, je t’en fais cadeau.

FANCHETTE
Qu’est-ce que j’en ferais ? Il n’a pas le sou !

CATHERINE
C’est bien pour ça que je ne l’encourage point.

FANCHETTE
Et puis, il est trop doux : on n’aurait pas de plaisir à le battre.

CATHERINE
Le fait est qu’il ne ressemble guère à mon premier mari, qui, hélas ! me…

FANCHETTE
Ah bah !… est-ce que ?…

I

CATHERINE
Mon cher mari quelquefois s’emportait,
Il me battait, me battait, me battait. (Bis.)
Moi, je pleurais, je pleurais, je pleurais,
Et jour et nuit, hélas je soupirais…

Voyant mes pleurs couler,
Dans sa rage inhumaine,
Loin de me consoler
Il riait de ma peine,

Et plus je pleurais, plus il me battait ! (Bis.)

FANCHETTE, parlé.
Ah bien, chez nous, c’était tout le contraire !

II

Soir et matin, c’est moi qui m’emportais,
Je le battais, le battais, le battais.
Il suppliait, il tremblait, il jurait,
Et jour et nuit à mes pieds soupirait.

En vain pour m’apaiser
Il devenait plus tendre,
Je gardais le baiser
Qu’il eût voulu reprendre,

Et plus il criait, plus je le battais !


Scène IV
Les Mêmes, GUILLOT.

Il sort de la grange tenant un broc de vin.

GUILLOT
Mais où diable peut-elle être, cette enragée-là ? je vous le demande… la v’là encore partie… C’est égal, il est bon le petit vin du père Mathurin, il se laisse boire.

CATHERINE
Tiens ! quand on parle du soleil… Bonjour, Guillot.

GUILLOT
Bonjour, Catherine ; bonjour, Fanchette.

FANCHETTE
Qu’est-ce que vous avez donc, Guillot ? (Bas à Catherine.) Il a l’air plus bête que de coutume.

Elles rient.

GUILLOT, riant, à part.
C’est gai, les jeunesses !

CATHERINE
C’est l’effet du vin.

GUILLOT
Le vin ? Oh ! non, c’est l’inquiétude.

Il pose son broc sur la table.

FANCHETTE
Et de quoi donc ?

GUILLOT
Voilà plus de quinze jours que j’ai écrit à mon oncle Mathurin, et je ne vois pas arriver sa réponse…

Il passe entre les deux femmes.

FANCHETTE
Dame ! vous ne lui écrivez jamais que pour lui demander quelque chose…

GUILLOT
Oh ! ça… bien sûr que quand je lui écris, c’est pas pour lui faire des cadeaux !

CATHERINE
Lui en avez-vous soutiré de l’argent, à ce pauvre homme !

GUILLOT
Pauvre, lui ! (Riant bêtement.) Oh ! oh ! oh !

FANCHETTE, l’imitant en se moquant de lui.
Oh ! oh ! Rit-il bêtement, ce gaillard-là !

GUILLOT, à part.
C’est gai, les jeunesses !… (Haut.) Mais, mes pauvres chattes, mon oncle est plus riche, à lui tout seul, que tout le village réuni.

FANCHETTE
IL n’a pas de biens au soleil.

GUILLOT
C’est vrai… mais il a des écus, ce qui vaut mieux… et il faut croire que son sac n’a pas de fond… car ce qu’il y a de sûr, c’est que jusqu’à présent, il ne m’en a jamais refusé… Après ça, c’est tout naturel : il a de quoi, moi, je n’ai rien… mais c’est égal, cette fois, je ne sais pas s’il m’accordera…
CATHERINE
Vous lui avez encore demandé quelque chose !

GUILLOT
Toujours !… mais ce coup-ci, la demande est forte et je crains bien…

CATHERINE
S’il pouvait vous donner de l’esprit, mon garçon, ça serait un fameux cadeau !…

GUILLOT
Ah ! que vous êtes drôle, Catherine !

CATHERINE
L’est pas comme vous, alors ; car vous ne l’êtes guère !

GUILLOT
C’est gai, les jeunesses !…


Scène V
Les Mêmes, DENISE.

DENISE
Mon cousin !…mon cousin !…

GUILLOT, durement.
Ah ! te voilà, toi !… d’où que tu viens encore ? qu’est-ce que tu veux ?… voyons, parleras-tu ?…

DENISE
Comme je passais du côté de la poste…

GUILLOT
Du côté de la poste !… tu y passes ben souvent, du côté de la poste ! qu’est-ce que tu y allais faire ?

DENISE
Dame ! mon cousin…

GUILLOT
Hum ! mauvaise herbe ! après, voyons ?

DENISE
Eh ! bien, il y a l’homme qui m’a appelée pour me remettre une lettre…

GUILLOT
De Grévin, je parie !…

DENISE
Non, mon cousin…

GUILLOT
Ah ! petite menteuse !.. oùs qu’elle est cette lettre ?… je veux la voir !

DENISE
La v’là, mon cousin, je vous l’apporte… elle est pour vous…

GUILLOT
Pour moi ?… ah ! c’est différent !

FANCHETTE
C’est de votre oncle, peut-être ?

GUILLOT, ému.
Oui, ça vient de Paris !

DENISE, à part.
De mon oncle Mathurin ! Oh ! mon Dieu ! il lui écrit à lui aussi… pourvu qu’il ne lui dise pas… Sauvons-nous.
Elle entre dans la grange.


Scène VI
Les Mêmes, moins DENISE.

TRIO.

FANCHETTE
Eh bien, Guillot, quoi !… vous ne lisez pas ?

CATHERINE
Mais d’où vient donc tant d’embarras ?

GUILLOT, à part.
Je n’ose !… Si dans cette lettre
Pour le consentement que j’osais me promettre,
J’allais rencontrer un refus !

FANCHETTE
Assurez-vous-en donc, vous ne tremblerez plus.

GUILLOT
C’est juste, ouvrons !

Il ouvre la lettre et lit :

« Mon cher neveu, »

Ah quelle chance !
Cela commence
Comme un aveu !

Lisant. « Mon cher neveu, dans ta lettre dernière,
» Tu me demandes… » — Dieu ! que vois-je là ?

CATHERINE
Quoi donc ?

GUILLOT
Ah ! c’est mon second père !
Il m’accorde encore cela !

FANCHETTE
Mais quoi donc ?

GUILLOT
Tenez, lisez !

Ou plutôt, non, écoutez ! Il lit.

« A tes désirs toujours docile,
» Je t’ai souvent donné de l’or.

» Ta demande serait désormais inutile,
» Et pour qu’à l’avenir tu me laisses tranquille.
» Je te donne en ce jour…

FANCHETTE, CATHERINE.
Il vous donne ?

GUILLOT
Un trésor. »

FANCHETTE
Un trésor !

CATHERINE
Un trésor !

GUILLOT
Je ne changerais pas mon sort,

Contre celui du seigneur du village,

Et ma femme, dans son ménage,
Sera, comme une reine, heureuse et plus encore :

CATHERINE
Un trésor !

FANCHETTE
Un trésor !

ENSEMBLE.

FANCHETTE, CATHERINE
Un trésor ! le voilà, ma foi,
En ce jour plus heureux qu’un roi !

Ah ! que ne suis-je la nièce
De ce donneur de trésor !
Peut-être que sa tendresse
Eût sur moi fait pleuvoir l’or !

Un trésor !

GUILLOT
Quel trésor ! me voilà, ma foi,
En ce jour plus heureux qu’un roi !

Ah ! que je me sens de tendresse
Pour ce précieux trésor !

Je préfère ma richesse
A toutes les mines d’or !

Un trésor !

GUILLOT
Ah ! le cher oncle !… un trésor à moi ! un vrai trésor ! c’est à ne pas y croire !

FANCHETTE
Un trésor !… Vraiment ce garçon n’a pas l’air si bête qu’on le croirait d’abord.

CATHERINE
Un trésor !… Quand on le considère, ce brave Guillot, il n’est vraiment pas si laid…

FANCHETTE
Il a les yeux vifs.

CATHERINE
Il a quelque chose dans le nez…

GUILLOT
Mais, alors, je vais pouvoir me marier comme je l’entends.

FANCHETTE
C’est ce que j’allais vous dire…

CATHERINE
Quand on est riche, n’est-ce pas, on choisit.

GUILLOT
C’est bien mon avis, et mon choix ne sera pas long.

FANCHETTE
Si on aime une blonde, on prend une blonde…

CATHERINE
Si on préfère les brunes, on prend une brune.

GUILLOT
Vous ne me laissez pas finir ma lettre. Il faut pourtant bien que je sache où il est, ce trésor… (Lisant.) « Sous le gros arbre, devant ta porte, ce soir, quand sonnera l’angelus… (Voyant les deux femmes qui le guettent.) Eh bien, sont-elles curieuses, donc !… ah ! le cher trésor ! et maintenant je veux boire à la santé de l’oncle Mathurin, et vous aussi vous boirez, et vous aussi. Eh ! Denise, des verres !

FANCHETTE, à part.
Sous le gros arbre… on y sera !…

CATHERINE, à part.
Quand l’angelus sonnera… on y serai…

GUILLOT, à part.
Ce soir, ici, avec ma bêche… (Haut.) Eh ben, Denise ! des verres !

DENISE, entrant.
Voilà, mon cousin !


Scène VII
Les Mêmes, DENISE.

Elle apporte trois gobelets.

FANCHETTE et CATHERINE
Donne !… c’est moi qui verserai !

FANCHETTE
C’est moi !

CATHERINE
C’est moi !

GUILLOT
Allons, allons, ne nous disputons pas ! (Tendant son verre Denise.) Verse, Denise !

CHANSON A BOIRE.

I
Quand les moutons sont dans l’étable,
Quand les poules sont au perchoir,
Le dos au feu, le ventre à table,
Près d’un ami, j’aime à m’asseoir.
Si Dieu nous défendait de boire,
Aurait-il fait le vin si bon ?

Non !

Si l’eau nous pousse à l’humeur noire,
Le vin dissipe notre ennui !

Oui !

Allons donc !
Buvons donc !

Si Dieu nous défendait de boire,
Aurait-il fait le vin si bon ?

Non !

II
Quand j’ai soif, j’ai l’esprit morose ;
Je suis stupid’, gauche et poltron ;
Quand j’ai bu, je vois tout en rose,
Quand j’ai bu, je suis un luron !

Il prend la taille de Catherine et celle de Fanchette.

Si Dieu nous défendait de boire,

Etc., etc.

GUILLOT, un peu gris.
Eh bien ! qu’est-ce que vous dites de ma chanson ?… Et mon vin, comment le trouvez-vous ? Ah ! ah ! ah ! je crois que j’en ai trop bu ! faut que j’aille faire quelques courses dans le village… Adieu, Fanchette ! (Il l’embrasse.) je ne te dis que ça !… Adieu, Catherine ! (Il l’embrasse.) je ne te dis que ça !… Ah ! ah ! ah !…

Il sort.

DENISE
Il s’en va sans m’embrasser !

Elle rentre tristement dans la maison.


Scène VIII
CATHERINE, FANCHETTE.

CATHERINE
Ah ! vous vous laissez embrasser comme ça, vous !

FANCHETTE
Ah ! c’est comme ça que vous vous défendez, vous !

CATHERINE
Il paraît que vous en tenez pour Guillot, depuis qu’il est riche !

FANCHETTE
On voit bien que son magot vous donne dans l’œil !

CATHERINE
Parlez pour vous !

FANCHETTE
Mais non !

CATHERINE
Mais si !

FANCHETTE
Mais non ! c’est-y pas vous qui me disiez tout à l’heure que vous voudriez être une madame !

CATHERINE
Et vous donc qui demandiez un homme huppé.

FANCHETTE
Comme si on ne lisait point dans votre jeu !

CATHERINE
Comme si je ne devinais point que c’est le trésor qui vous tente !

FANCHETTE
Vous trouviez Guillot si bête !

CATHERINE
C’est vous !…

FANCHETTE
C’est vous !

CATHERINE
Mais non !

FANCHETTE
Mais si !

CATHERINE
Mais non !

TOUTES DEUX.
Ah ! ah !

DUETTO.

ENSEMBLE.

Ah ! la fine mouche !
La sainte-nitouche !
Quel air innocent !
Je me tiens à quatre
Pour ne pas la battre !

C’est irritant,
C’est déplaisant,
C’est agaçant !

CATHERINE
Quand Guillot vous agace,
Vous lui tendez la face !

FANCHETTE
S’il vous prend dans ses bras,
Vous n’le maltraitez pas !

CATHERINE
Je vois bien que madame
Voudrait d’venir sa femme.

FANCHETTE
Madame aurait l’esprit
De l’choisir pour mari !

REPRISE DE L’ENSEMBLE.

Ah ! la fine mouche !
La sainte-nitouche !
Quel air innocent !
Je me tiens à quatre
Pour ne pas la battre !

C’est irritant,
C’est déplaisant,
C’est agaçant !

CATHERINE
Vous aurez beau dire,
Il faut, pour l’séduire,
De certains attraits
Qu’vous n’aurez jamais !

FANCHETTE
Vous aurez beau faire,
Il faut pour lui plaire,
De certains appas,
Que vous n’avez pas !

CATHERINE
Guillot n’est point bête,

La noce n’est point faite.

FANCHETTE
Et s’il a d’bons yeux,
Il peut choisir mieux.

CATHERINE
Guillot, quoi qu’on dise,
N’f’ra pas la sottise
D’vous donner dès d’main
Son cœur et sa main.

ENSEMBLE.
Elle enrage ! elle enrage !

Se montrant le poing.

N’ajoute plus un mot
Ou bien j’te dévisage !

Se jetant leurs sabots dans les jambes.

Tiens ! tiens ! V’là mon sabot !

Se prenant aux cheveux.

Quand on m’fâche,
Moi j’arrache
Les cheveux
Et les yeux !

Tiens ! tiens ! tiens !

Elles s’arrachent leurs cornettes et leurs fichas et les jettent en l’air ; le garde champêtre parait au fond.


Scène IX
Les Mêmes, LE GARDE CHAMPÊTRE.

LE GARDE CHAMPÊTRE, s’interposant et recevant les coups des deux côtés.
Eh ben ! eh ben ! eh ben ! Deux femmes qui se disputent, ça ne s’est jamais vu dans la commune.

CATHERINE et FANCHETTE
Le garde champêtre !

CATHERINE, très-vite.
Vous saurez, père Mathias…

FANCHETTE, id.
Faut que je vous dise…

CATHERINE
Que Guillot…

FANCHETTE
A reçu de son oncle Mathurin…

CATHERINE
Une lettre qui lui apprend…

FANCHETTE
Que sous le gros arbre qui est là…

CATHERINE
Devant sa porte…

FANCHETTE
Il trouvera ce soir.

CATHERINE
A l’heure de l’angelus…

LE GARDE CHAMPÊTRE
Quoi ?

CATHERINE et FANCHETTE
Chut ! on vient.

FANCHETTE
Venez avec nous, je vous dirai le reste !

Elles entraînent le garde champêtre, et tous trois sortent par la droite au fond.


Scène X

DENISE, seule. – Elle tient une lettre à la main et lit.
« Je sais d’où vient ton chagrin, ma chère Denise… « c’est un mari qu’il te faut, un bon mari… » (Soupirant.) un mari ! — « Je me charge de te l’envoyer. — Viens t’asseoir au pied du gros arbre qui est devant votre porte, et quand l’angelus du soir sonnera… » — L’oncle Mathurin se moque de moi ! — Ce n’est pas un mari que je demande… à moins que… mais non, c’est Fanchette ou Catherine qu’il aime ! moi, je vois bien que je lui déplais ! (Regardant autour d’elle.) Voici la nuit et la cloche de l’angelus va sonner… j’ai bien envie de m’asseoir au pied de l’arbre pour voir si l’oncle Mathurin tiendra sa promesse !…

On entend sonner la cloche de l’angelus. — Nuit complète.

FINALE.

DENISE
Voici l’angelus qui sonne ;
Le jour s’enfuit,
Voici la nuit…

Elle regarde autour d’elle.

Je ne vois encore personne,
Ne disons rien,
Écoutons bien.

Elle s’assied au pied de l’arbre.

GUILLOT, sortant du hangar avec une bêche et une lanterne.
Voici l’angelus qui sonne ;
Le jour s’enfuit,
Voici la nuit.

Dirigeant la lumière de sa lanterne vers le fond du théâtre.

Tout dort — je ne vois personne ;

Ne disons rien :
Tout ira bien !

Il remonte vers le fond.

FANCHETTE et CATHERINE, paraissant, l’une à droite et l’autre à gauche du théâtre, une lanterne à la main.
Voici l’angelus qui sonne ;

Le jour s’enfuit,
Voici la nuit…

Ne disons rien à personne,

Écoutons bien !
Tout ira bien !

DENISE, s’endormant peu à peu.
Ah ! comme je suis lasse !

GUILLOT, s’approchant de l’arbre.
Voici la bonne place !

CATHERINE et FANCHETTE, cachant leurs lanternes sons leurs tabliers et se retirant sous le feuillage.
C’est lui, gardons la place !

DENISE
Malgré moi, je m’endors.

GUILLOT, posant sa lanterne à terre et commençant à bêcher derrière l’arbre.
C’est le nid aux trésors !
Denise s’est endormie.
Corbleu ! morbleu ! j’ai beau creuser la terre,
Je ne vois rien encor !

Il s’arrête et s’essuie le front.

CATHERINE et FANCHETTE.
Sachons nous taire !

GUILLOT
Maudit trésor !
Où peut-il être ?
Cherchons encor,
Ici peut-être.

Il s’approche près du banc.

Que vois-je ? c’est Denise !

CATHERINE et FANCHETTE, à part.
Comment ! voilà Denise !

GUILLOT
Elle dort !

CATHERINE et FANCHETTE
Elle dort !

GUILLOT.
Et près d’elle peut-être est caché le trésor !
Il va pour l’éveiller.
Mais la pauvre enfant repose.
La réveiller… hélas ! je n’ose !

DENISE, rêvant.
Guillot ! mon cher Guillot !

GUILLOT
Elle me voit en rêve !

DENISE
Mon bon Guillot !

GUILLOT, se penchant vers Denise.
Achève !

CATHERINE, à part.
Ah ! j’enrage !

FANCHETTE, à part.
Je crève !

GUILLOT, apercevant la lettre.
Mais quel est ce papier ?

CATHERINE et FANCHETTE
Un papier ?

GUILLOT
De Grévin !
C’est quelque billet doux, peut-être !… Ah ! le gredin :Lisons vite !

Il tire doucement le papier des doigts de Denise et le parcourt à la lueur de sa lanterne.

CATHERINE et FANCHETTE, à part et se rapprochant.
Ecoutons

GUILLOT
Ciel ! que viens-je de lire !
C’est un billet de l’oncle Mathurin !…

Lisant.

« L’époux que ton cœur désire,
» Quand l’angelus sonnera,
» A tes côtés apparaîtra ! »

On entend de nouveau la cloche de l’angelus.

CATHERINE et FANCHETTE
Voici l’angelus qui sonne !

GUILLOT
Voici l’angelus qui sonne !

DENISE, s’éveillant à demi.
Voici l’angelus qui sonne.

GUILLOT, lisant.
Parlé. « En te donnant à lui, mignonne,
» C’est un trésor que je lui donne. »
Un trésor ! — Je comprends !

DENISE, s’éveillant.
Hein plaît-il ? qui est là ? Est-ce vous, mon mari ?

GUILLOT
Oui, Denise, c’est moi !

DENISE
Guillot !

GUILLOT, se mettant à genoux devant Denise.
Guillot qui t’aime, ma petite Denise, et qui te demande de vouloir bien être sa femme.

CATHERINE et FANCHETTE
Ah bah !

GUILLOT, se retournant.
Tiens ! Catherine et Fanchette ! Bonsoir, Fanchette ; bonsoir, Catherine, je vous présente ma femme.


Scène XI
Les Mêmes, LE GARDE CHAMPÊTRE, puis Les Paysans et Les Paysannes, avec des lanternes.

Le garde champêtre entre d’abord par la gauche, puis il appelle les paysans qui viennent de différents côtés.

CATHERINE et FANCHETTE
Sa femme ! Et le trésor ?

GUILLOT
Je le tiens.

CATHERINE
Part à deux.

FANCHETTE
Part à trois.

GUILLOT, riant.
Part à quatre, ah ! ah ! ah !

LE GARDE CHAMPÊTRE, s’approchant.
Part à cinq.

CATHERINE, parlé sur la musique.
Ah ! voilà le garde champêtre avec tout le village !

FANCHETTE
Approchez ! approchez ! Guillot a trouvé un trésor !

TOUS.
Ah !

CATHERINE
Il appartient à la commune ! Faut le forcer à le rendre !

FANCHETTE
Ou bien à partager avec nous !

GUILLOT
Partager ! — Allons donc ! (Montrant Denise.) Le v’’là, mon trésor, et je le garde pour moi seul ! quant au magot, cherchez si vous voulez, je vous le cède ! (Aux paysans.) Merci, les amis, d’être venus éclairer nos fiançailles… (Tous les paysans lèvent leurs lanternes.) Ce mariage-là pourra s’appeler le mariage aux lanternes.

FINALE.

GUILLOT
Messieurs, la pièce est terminée,
Nous vous quittons jusqu’à demain,

DENISE
Mais, hélas ! notre destinée
Est encore dans votre main.

FANCHETTE
Pour une pièce si légère,
Faut-il se fâcher tout de bon ?
Non.

CATHERINE
Demain, nous ferons mieux, j’espère,
Applaudissez tous aujourd’hui,
Oui.

ENSEMBLE
Allons donc ! allons donc !
Pour une pièce aussi légère
Faut-il se fâcher tout de bon ?
Non.


FIN
Une place de village. — À gauche la maison de Guillot ; à droite, l’entrée d’une grange devant laquelle se trouve un gros arbre dont le pied forme banc de gazon ; une petite table rustique devant la maison.


Scène PREMIÈRE

GUILLOT, DENISE
Denise est debout auprès de l’arbre, elle est pensive. — Guillot entre par la gauche.

GUILLOT, brusquement.
Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là, plantée comme une image ?

DENISE
Moi, mon cousin, je ne fais rien.

GUILLOT
Je le vois bien !… à quoi que tu penses ?

DENISE
Dame ! mon cousin…

GUILLOT
À pas grand’chose de bon, bien sûr. Les poules ont-elles à manger seulement ? je parie que tu ne leur z’as pas encore donné leur grain d’aujourd’hui !

DENISE
Non, mon cousin, mais…

GUILLOT
Là ! qu’est-ce que je disais !… As-tu fini de tricoter la paire de bas que tu as commencée avant-z’hier ?

DENISE
Oh ! pour ça non, mon cousin…

GUILLOT
J’en étais sûr ! et il est déjà sept heures du matin ! — Mais quoi que t’as fait aujourd’hui, je vous le demande ?… À quoi que tu passes ton temps ? à dormir debout, à rêvasser comme une demoiselle !… ça n’peut pas marcher comme ça, d’abord !… avec ta mine triste à porter le diable en terre…

DENISE
Oui, mon cousin…

RONDEAU.

GUILLOT
Que dirait l’oncle Mathurin,
S’il te voyait l’air si chagrin ?
Toi qui jadis toujours rieuse,
Étais d’ici la plus joyeuse !
Allons, je veux te voir soudain
Riante, gaie, heureuse, enfin !

GUILLOT
À quoi passes-tu la journée ?
Trouverai-je en rentrant la basse-cour gavée ?

DENISE
Oui, mon cousin.

GUILLOT
As-tu rentré dans l’écurie
Le foin ? As-tu mené les bœufs dans la prairie ?

DENISE
Oui, mon cousin.

GUILLOT
Et la soupe est-elle trempée ?
As-tu mis au grenier la luzerne coupée ?

DENISE
Oui, mon cousin.

GUILLOT
Trouverai-je enfin, je te prie,
Tout en ordre en rentrant dans notre métairie ?

DENISE
Oui, mon cousin.

GUILLOT
Alors, tu dois être contente ?
Pourquoi donc n’as-tu plus la mine souriante ?
Que dirait l’oncle Mathurin
S’il te voyait, etc., etc., etc.

GUILLOT
Tu ne fais rien depuis deux heures
Eh bien !… en vérité, l’on dirait que tu pleures !

DENISE, s’essuyant les yeux.
Non, mon cousin.

GUILLOT
Ne suis-je pas la bonté même ?
Et, pour toi, ma douceur n’est-elle pas extrême ?

DENISE
Si, mon cousin.

GUILLOT
Alors, tâche donc de me dire
Pourquoi jamais chez nous l’on ne te voit sourire ?

DENISE
Dame, mon cousin.

GUILLOT
Allons, j’entends que tout de suite
Tu sois gaie, et je veux te voir rire au plus vite,

DENISE, souriant.
Oui, mon cousin.

GUILLOT
Je suis content, à la bonne heure !
Mais je me fâcherai désormais si l’on pleure.
Que dirait l’oncle Mathurin,
Etc., etc., etc.

GUILLOT
Voyons, dépêche-toi… va donner la becquée aux poules et puis finis ta paire de bas, et puis repasse le linge de la lessive, et plus vite que ça, ou sinon…

DENISE, effrayée.
Oui, mon cousin…
Elle se sauve.


Scène II

GUILLOT, seul.
Quand Denise est partie, Gaillet se met à rire en regardant le public — puis d’une voix très-douce.
J’ai l’air de croquemitaine, n’est-ce pas ? quand je parle à cette jeunesse… c’est exprès… c’est pour de rire ! Je tâche de l’échigner à force de la faire travailler… c’est bon pour les filles, ça… il n’y a rien qui les abrutit comme la fatigue ! et ça les empêche de penser à mal… et celle-là, je serais si désolé de la voir mal tourner !… car enfin c’est ma petite cousine, puisqu’elle est la nièce de mon oncle Mathurin ; c’est comme mon enfant, puisqu’elle est orpheline, et que son oncle, le mien, le père Mathurin, me l’a confiée quand il est parti pour Paris… Jusqu’à présent je n’en avais jamais eu que de la satisfaction, quand, il y a quinze jours, en passant du côté de la poste, je la vois qui mettait une lettre dans la boîte… Je me dis tout de suite : bien sûr, c’est à Grévin qu’elle écrit. Il a dansé neuf rondes avec elle, dimanche soir à l’assemblée, avant de retourner à son village… Bien sûr, c’est à Grévin qu’elle écrit !… aussi, je vous demande un peu pourquoi qu’on y a appris à écrire !… Est-ce qu’une fille devrait savoir de ces choses-là ? mais c’était une lubie de notre oncle Mathurin, il a tenu à ce que j’avions de l’instruction !… Enfin, v’là Denise qui rentre ; j’étais furieux… je lui fais des misères… elle se met à pleurer… moi, je ne sais pas résister à ses pleurs d’abord, mais n’importe, je prends mon courage à quatre mains, et je lui dis bravement : Mademoiselle, vous avez écrit à Grévin !… Elle me dit que non… je lui dis que si, et que j’ai vu la lettre ! Ah !… eh bien, croiriez-vous que je n’ai jamais pu faire avouer à cette obstinée-là qu’elle avait écrit à Grévin ?… Oh ! c’est menteur, ces petites filles !… Et puis, faut-il qu’elle soit godiche de se mettre à avoir des idées pour un gueux comme ça ?… car c’est un gueux, Grévin, savez-vous, un vrai gueux, un plat gueux, pas autre chose qu’un gueux ! Si, encore autre chose, un enjoleux. Et je ne veux pas qu’elle soit malheureuse, moi, parce qu’enfin c’est une brave fille, et c’est elle qu’a soigné ma pauvre mère dans sa dernière maladie, pendant que j’étais garçon de ferme, à cinq lieues d’ici ; et ces choses- là ça ne s’oublie pas ; aussi si jamais… je ne te dis que, ça… vois-tu, Denise… Voyons un peu si elle a fait ce que je lui ai dit.

Il rentre dans la grange.


Scène III
CATHERINE, FANCHETTE

Elles entrent bras dessus, bras dessous, par le fond à gauche.

FANCHETTE
Et alors donc, vous me disiez ?…

CATHERINE
Je vous disais que je voudrais devenir une madame.

FANCHETTE
Et moi donc ! si je pouvais trouver un riche parti, pour me dédommager un peu de feu mon époux !

CATHERINE
Tu l’aimais bien, pourtant…

FANCHETTE
Sans doute, mais ce n’était qu’un paysan. Crois-moi, ma chère, n’épouse jamais qu’un homme huppé.

CATHERINE
Oh ! si un monsieur voulait de moi !…

FANCHETTE
C’est pas les amoureux qui nous manquent.

CATHERINE
Non… c’est l’argent qui manque aux amoureux.

FANCHETTE
Ainsi, il y a ce grand dadais de Guillot…

CATHERINE
Le neveu du père Mathurin ?

FANCHETTE
Je suis sûre qu’il est amoureux de moi !

CATHERINE
Tiens, franchement, je crois plutôt que c’est de moi…

FANCHETTE
Pourtant, c’est bien à moi qu’il fait la cour !

CATHERINE
A moi aussi, toujours ! A preuve que, l’autre matin, tandis que j’étions à l’abreuvoir, il m’a flanqué un grand coup de poing dans le dos, que j’ai manqué de dévaler dans l’eau… C’est ça, une marque d’amour !

FANCHETTE
Eh bien ! et moi donc, l’autre soir, à la veillée, comme j’allais pour m’asseoir, il m’a retiré ma chaise et je suis tombée sur… le plancher, ah ! qu’est-ce que tu dis d’çà, toi. Oh ! après ça, va, je n’y tiens pas… si tu le veux, je te le cède.

CATHERINE
Pas du tout, moi, je t’en fais cadeau.

FANCHETTE
Qu’est-ce que j’en ferais ? Il n’a pas le sou !

CATHERINE
C’est bien pour ça que je ne l’encourage point.

FANCHETTE
Et puis, il est trop doux : on n’aurait pas de plaisir à le battre.

CATHERINE
Le fait est qu’il ne ressemble guère à mon premier mari, qui, hélas ! me…

FANCHETTE
Ah bah !… est-ce que ?…

I

CATHERINE
Mon cher mari quelquefois s’emportait,
Il me battait, me battait, me battait. (Bis.)
Moi, je pleurais, je pleurais, je pleurais,
Et jour et nuit, hélas je soupirais…

Voyant mes pleurs couler,
Dans sa rage inhumaine,
Loin de me consoler
Il riait de ma peine,

Et plus je pleurais, plus il me battait ! (Bis.)

FANCHETTE, parlé.
Ah bien, chez nous, c’était tout le contraire !

II

Soir et matin, c’est moi qui m’emportais,
Je le battais, le battais, le battais.
Il suppliait, il tremblait, il jurait,
Et jour et nuit à mes pieds soupirait.

En vain pour m’apaiser
Il devenait plus tendre,
Je gardais le baiser
Qu’il eût voulu reprendre,

Et plus il criait, plus je le battais !


Scène IV
Les Mêmes, GUILLOT.

Il sort de la grange tenant un broc de vin.

GUILLOT
Mais où diable peut-elle être, cette enragée-là ? je vous le demande… la v’là encore partie… C’est égal, il est bon le petit vin du père Mathurin, il se laisse boire.

CATHERINE
Tiens ! quand on parle du soleil… Bonjour, Guillot.

GUILLOT
Bonjour, Catherine ; bonjour, Fanchette.

FANCHETTE
Qu’est-ce que vous avez donc, Guillot ? (Bas à Catherine.) Il a l’air plus bête que de coutume.

Elles rient.

GUILLOT, riant, à part.
C’est gai, les jeunesses !

CATHERINE
C’est l’effet du vin.

GUILLOT
Le vin ? Oh ! non, c’est l’inquiétude.

Il pose son broc sur la table.

FANCHETTE
Et de quoi donc ?

GUILLOT
Voilà plus de quinze jours que j’ai écrit à mon oncle Mathurin, et je ne vois pas arriver sa réponse…

Il passe entre les deux femmes.

FANCHETTE
Dame ! vous ne lui écrivez jamais que pour lui demander quelque chose…

GUILLOT
Oh ! ça… bien sûr que quand je lui écris, c’est pas pour lui faire des cadeaux !

CATHERINE
Lui en avez-vous soutiré de l’argent, à ce pauvre homme !

GUILLOT
Pauvre, lui ! (Riant bêtement.) Oh ! oh ! oh !

FANCHETTE, l’imitant en se moquant de lui.
Oh ! oh ! Rit-il bêtement, ce gaillard-là !

GUILLOT, à part.
C’est gai, les jeunesses !… (Haut.) Mais, mes pauvres chattes, mon oncle est plus riche, à lui tout seul, que tout le village réuni.

FANCHETTE
IL n’a pas de biens au soleil.

GUILLOT
C’est vrai… mais il a des écus, ce qui vaut mieux… et il faut croire que son sac n’a pas de fond… car ce qu’il y a de sûr, c’est que jusqu’à présent, il ne m’en a jamais refusé… Après ça, c’est tout naturel : il a de quoi, moi, je n’ai rien… mais c’est égal, cette fois, je ne sais pas s’il m’accordera…
CATHERINE
Vous lui avez encore demandé quelque chose !

GUILLOT
Toujours !… mais ce coup-ci, la demande est forte et je crains bien…

CATHERINE
S’il pouvait vous donner de l’esprit, mon garçon, ça serait un fameux cadeau !…

GUILLOT
Ah ! que vous êtes drôle, Catherine !

CATHERINE
L’est pas comme vous, alors ; car vous ne l’êtes guère !

GUILLOT
C’est gai, les jeunesses !…


Scène V
Les Mêmes, DENISE.

DENISE
Mon cousin !…mon cousin !…

GUILLOT, durement.
Ah ! te voilà, toi !… d’où que tu viens encore ? qu’est-ce que tu veux ?… voyons, parleras-tu ?…

DENISE
Comme je passais du côté de la poste…

GUILLOT
Du côté de la poste !… tu y passes ben souvent, du côté de la poste ! qu’est-ce que tu y allais faire ?

DENISE
Dame ! mon cousin…

GUILLOT
Hum ! mauvaise herbe ! après, voyons ?

DENISE
Eh ! bien, il y a l’homme qui m’a appelée pour me remettre une lettre…

GUILLOT
De Grévin, je parie !…

DENISE
Non, mon cousin…

GUILLOT
Ah ! petite menteuse !.. oùs qu’elle est cette lettre ?… je veux la voir !

DENISE
La v’là, mon cousin, je vous l’apporte… elle est pour vous…

GUILLOT
Pour moi ?… ah ! c’est différent !

FANCHETTE
C’est de votre oncle, peut-être ?

GUILLOT, ému.
Oui, ça vient de Paris !

DENISE, à part.
De mon oncle Mathurin ! Oh ! mon Dieu ! il lui écrit à lui aussi… pourvu qu’il ne lui dise pas… Sauvons-nous.
Elle entre dans la grange.


Scène VI
Les Mêmes, moins DENISE.

TRIO.

FANCHETTE
Eh bien, Guillot, quoi !… vous ne lisez pas ?

CATHERINE
Mais d’où vient donc tant d’embarras ?

GUILLOT, à part.
Je n’ose !… Si dans cette lettre
Pour le consentement que j’osais me promettre,
J’allais rencontrer un refus !

FANCHETTE
Assurez-vous-en donc, vous ne tremblerez plus.

GUILLOT
C’est juste, ouvrons !

Il ouvre la lettre et lit :

« Mon cher neveu, »

Ah quelle chance !
Cela commence
Comme un aveu !

Lisant. « Mon cher neveu, dans ta lettre dernière,
» Tu me demandes… » — Dieu ! que vois-je là ?

CATHERINE
Quoi donc ?

GUILLOT
Ah ! c’est mon second père !
Il m’accorde encore cela !

FANCHETTE
Mais quoi donc ?

GUILLOT
Tenez, lisez !

Ou plutôt, non, écoutez ! Il lit.

« A tes désirs toujours docile,
» Je t’ai souvent donné de l’or.

» Ta demande serait désormais inutile,
» Et pour qu’à l’avenir tu me laisses tranquille.
» Je te donne en ce jour…

FANCHETTE, CATHERINE.
Il vous donne ?

GUILLOT
Un trésor. »

FANCHETTE
Un trésor !

CATHERINE
Un trésor !

GUILLOT
Je ne changerais pas mon sort,

Contre celui du seigneur du village,

Et ma femme, dans son ménage,
Sera, comme une reine, heureuse et plus encore :

CATHERINE
Un trésor !

FANCHETTE
Un trésor !

ENSEMBLE.

FANCHETTE, CATHERINE
Un trésor ! le voilà, ma foi,
En ce jour plus heureux qu’un roi !

Ah ! que ne suis-je la nièce
De ce donneur de trésor !
Peut-être que sa tendresse
Eût sur moi fait pleuvoir l’or !

Un trésor !

GUILLOT
Quel trésor ! me voilà, ma foi,
En ce jour plus heureux qu’un roi !

Ah ! que je me sens de tendresse
Pour ce précieux trésor !

Je préfère ma richesse
A toutes les mines d’or !

Un trésor !

GUILLOT
Ah ! le cher oncle !… un trésor à moi ! un vrai trésor ! c’est à ne pas y croire !

FANCHETTE
Un trésor !… Vraiment ce garçon n’a pas l’air si bête qu’on le croirait d’abord.

CATHERINE
Un trésor !… Quand on le considère, ce brave Guillot, il n’est vraiment pas si laid…

FANCHETTE
Il a les yeux vifs.

CATHERINE
Il a quelque chose dans le nez…

GUILLOT
Mais, alors, je vais pouvoir me marier comme je l’entends.

FANCHETTE
C’est ce que j’allais vous dire…

CATHERINE
Quand on est riche, n’est-ce pas, on choisit.

GUILLOT
C’est bien mon avis, et mon choix ne sera pas long.

FANCHETTE
Si on aime une blonde, on prend une blonde…

CATHERINE
Si on préfère les brunes, on prend une brune.

GUILLOT
Vous ne me laissez pas finir ma lettre. Il faut pourtant bien que je sache où il est, ce trésor… (Lisant.) « Sous le gros arbre, devant ta porte, ce soir, quand sonnera l’angelus… (Voyant les deux femmes qui le guettent.) Eh bien, sont-elles curieuses, donc !… ah ! le cher trésor ! et maintenant je veux boire à la santé de l’oncle Mathurin, et vous aussi vous boirez, et vous aussi. Eh ! Denise, des verres !

FANCHETTE, à part.
Sous le gros arbre… on y sera !…

CATHERINE, à part.
Quand l’angelus sonnera… on y serai…

GUILLOT, à part.
Ce soir, ici, avec ma bêche… (Haut.) Eh ben, Denise ! des verres !

DENISE, entrant.
Voilà, mon cousin !


Scène VII
Les Mêmes, DENISE.

Elle apporte trois gobelets.

FANCHETTE et CATHERINE
Donne !… c’est moi qui verserai !

FANCHETTE
C’est moi !

CATHERINE
C’est moi !

GUILLOT
Allons, allons, ne nous disputons pas ! (Tendant son verre Denise.) Verse, Denise !

CHANSON A BOIRE.

I
Quand les moutons sont dans l’étable,
Quand les poules sont au perchoir,
Le dos au feu, le ventre à table,
Près d’un ami, j’aime à m’asseoir.
Si Dieu nous défendait de boire,
Aurait-il fait le vin si bon ?

Non !

Si l’eau nous pousse à l’humeur noire,
Le vin dissipe notre ennui !

Oui !

Allons donc !
Buvons donc !

Si Dieu nous défendait de boire,
Aurait-il fait le vin si bon ?

Non !

II
Quand j’ai soif, j’ai l’esprit morose ;
Je suis stupid’, gauche et poltron ;
Quand j’ai bu, je vois tout en rose,
Quand j’ai bu, je suis un luron !

Il prend la taille de Catherine et celle de Fanchette.

Si Dieu nous défendait de boire,

Etc., etc.

GUILLOT, un peu gris.
Eh bien ! qu’est-ce que vous dites de ma chanson ?… Et mon vin, comment le trouvez-vous ? Ah ! ah ! ah ! je crois que j’en ai trop bu ! faut que j’aille faire quelques courses dans le village… Adieu, Fanchette ! (Il l’embrasse.) je ne te dis que ça !… Adieu, Catherine ! (Il l’embrasse.) je ne te dis que ça !… Ah ! ah ! ah !…

Il sort.

DENISE
Il s’en va sans m’embrasser !

Elle rentre tristement dans la maison.


Scène VIII
CATHERINE, FANCHETTE.

CATHERINE
Ah ! vous vous laissez embrasser comme ça, vous !

FANCHETTE
Ah ! c’est comme ça que vous vous défendez, vous !

CATHERINE
Il paraît que vous en tenez pour Guillot, depuis qu’il est riche !

FANCHETTE
On voit bien que son magot vous donne dans l’œil !

CATHERINE
Parlez pour vous !

FANCHETTE
Mais non !

CATHERINE
Mais si !

FANCHETTE
Mais non ! c’est-y pas vous qui me disiez tout à l’heure que vous voudriez être une madame !

CATHERINE
Et vous donc qui demandiez un homme huppé.

FANCHETTE
Comme si on ne lisait point dans votre jeu !

CATHERINE
Comme si je ne devinais point que c’est le trésor qui vous tente !

FANCHETTE
Vous trouviez Guillot si bête !

CATHERINE
C’est vous !…

FANCHETTE
C’est vous !

CATHERINE
Mais non !

FANCHETTE
Mais si !

CATHERINE
Mais non !

TOUTES DEUX.
Ah ! ah !

DUETTO.

ENSEMBLE.

Ah ! la fine mouche !
La sainte-nitouche !
Quel air innocent !
Je me tiens à quatre
Pour ne pas la battre !

C’est irritant,
C’est déplaisant,
C’est agaçant !

CATHERINE
Quand Guillot vous agace,
Vous lui tendez la face !

FANCHETTE
S’il vous prend dans ses bras,
Vous n’le maltraitez pas !

CATHERINE
Je vois bien que madame
Voudrait d’venir sa femme.

FANCHETTE
Madame aurait l’esprit
De l’choisir pour mari !

REPRISE DE L’ENSEMBLE.

Ah ! la fine mouche !
La sainte-nitouche !
Quel air innocent !
Je me tiens à quatre
Pour ne pas la battre !

C’est irritant,
C’est déplaisant,
C’est agaçant !

CATHERINE
Vous aurez beau dire,
Il faut, pour l’séduire,
De certains attraits
Qu’vous n’aurez jamais !

FANCHETTE
Vous aurez beau faire,
Il faut pour lui plaire,
De certains appas,
Que vous n’avez pas !

CATHERINE
Guillot n’est point bête,

La noce n’est point faite.

FANCHETTE
Et s’il a d’bons yeux,
Il peut choisir mieux.

CATHERINE
Guillot, quoi qu’on dise,
N’f’ra pas la sottise
D’vous donner dès d’main
Son cœur et sa main.

ENSEMBLE.
Elle enrage ! elle enrage !

Se montrant le poing.

N’ajoute plus un mot
Ou bien j’te dévisage !

Se jetant leurs sabots dans les jambes.

Tiens ! tiens ! V’là mon sabot !

Se prenant aux cheveux.

Quand on m’fâche,
Moi j’arrache
Les cheveux
Et les yeux !

Tiens ! tiens ! tiens !

Elles s’arrachent leurs cornettes et leurs fichas et les jettent en l’air ; le garde champêtre parait au fond.


Scène IX
Les Mêmes, LE GARDE CHAMPÊTRE.

LE GARDE CHAMPÊTRE, s’interposant et recevant les coups des deux côtés.
Eh ben ! eh ben ! eh ben ! Deux femmes qui se disputent, ça ne s’est jamais vu dans la commune.

CATHERINE et FANCHETTE
Le garde champêtre !

CATHERINE, très-vite.
Vous saurez, père Mathias…

FANCHETTE, id.
Faut que je vous dise…

CATHERINE
Que Guillot…

FANCHETTE
A reçu de son oncle Mathurin…

CATHERINE
Une lettre qui lui apprend…

FANCHETTE
Que sous le gros arbre qui est là…

CATHERINE
Devant sa porte…

FANCHETTE
Il trouvera ce soir.

CATHERINE
A l’heure de l’angelus…

LE GARDE CHAMPÊTRE
Quoi ?

CATHERINE et FANCHETTE
Chut ! on vient.

FANCHETTE
Venez avec nous, je vous dirai le reste !

Elles entraînent le garde champêtre, et tous trois sortent par la droite au fond.


Scène X

DENISE, seule. – Elle tient une lettre à la main et lit.
« Je sais d’où vient ton chagrin, ma chère Denise… « c’est un mari qu’il te faut, un bon mari… » (Soupirant.) un mari ! — « Je me charge de te l’envoyer. — Viens t’asseoir au pied du gros arbre qui est devant votre porte, et quand l’angelus du soir sonnera… » — L’oncle Mathurin se moque de moi ! — Ce n’est pas un mari que je demande… à moins que… mais non, c’est Fanchette ou Catherine qu’il aime ! moi, je vois bien que je lui déplais ! (Regardant autour d’elle.) Voici la nuit et la cloche de l’angelus va sonner… j’ai bien envie de m’asseoir au pied de l’arbre pour voir si l’oncle Mathurin tiendra sa promesse !…

On entend sonner la cloche de l’angelus. — Nuit complète.

FINALE.

DENISE
Voici l’angelus qui sonne ;
Le jour s’enfuit,
Voici la nuit…

Elle regarde autour d’elle.

Je ne vois encore personne,
Ne disons rien,
Écoutons bien.

Elle s’assied au pied de l’arbre.

GUILLOT, sortant du hangar avec une bêche et une lanterne.
Voici l’angelus qui sonne ;
Le jour s’enfuit,
Voici la nuit.

Dirigeant la lumière de sa lanterne vers le fond du théâtre.

Tout dort — je ne vois personne ;

Ne disons rien :
Tout ira bien !

Il remonte vers le fond.

FANCHETTE et CATHERINE, paraissant, l’une à droite et l’autre à gauche du théâtre, une lanterne à la main.
Voici l’angelus qui sonne ;

Le jour s’enfuit,
Voici la nuit…

Ne disons rien à personne,

Écoutons bien !
Tout ira bien !

DENISE, s’endormant peu à peu.
Ah ! comme je suis lasse !

GUILLOT, s’approchant de l’arbre.
Voici la bonne place !

CATHERINE et FANCHETTE, cachant leurs lanternes sons leurs tabliers et se retirant sous le feuillage.
C’est lui, gardons la place !

DENISE
Malgré moi, je m’endors.

GUILLOT, posant sa lanterne à terre et commençant à bêcher derrière l’arbre.
C’est le nid aux trésors !
Denise s’est endormie.
Corbleu ! morbleu ! j’ai beau creuser la terre,
Je ne vois rien encor !

Il s’arrête et s’essuie le front.

CATHERINE et FANCHETTE.
Sachons nous taire !

GUILLOT
Maudit trésor !
Où peut-il être ?
Cherchons encor,
Ici peut-être.

Il s’approche près du banc.

Que vois-je ? c’est Denise !

CATHERINE et FANCHETTE, à part.
Comment ! voilà Denise !

GUILLOT
Elle dort !

CATHERINE et FANCHETTE
Elle dort !

GUILLOT.
Et près d’elle peut-être est caché le trésor !
Il va pour l’éveiller.
Mais la pauvre enfant repose.
La réveiller… hélas ! je n’ose !

DENISE, rêvant.
Guillot ! mon cher Guillot !

GUILLOT
Elle me voit en rêve !

DENISE
Mon bon Guillot !

GUILLOT, se penchant vers Denise.
Achève !

CATHERINE, à part.
Ah ! j’enrage !

FANCHETTE, à part.
Je crève !

GUILLOT, apercevant la lettre.
Mais quel est ce papier ?

CATHERINE et FANCHETTE
Un papier ?

GUILLOT
De Grévin !
C’est quelque billet doux, peut-être !… Ah ! le gredin :Lisons vite !

Il tire doucement le papier des doigts de Denise et le parcourt à la lueur de sa lanterne.

CATHERINE et FANCHETTE, à part et se rapprochant.
Ecoutons

GUILLOT
Ciel ! que viens-je de lire !
C’est un billet de l’oncle Mathurin !…

Lisant.

« L’époux que ton cœur désire,
» Quand l’angelus sonnera,
» A tes côtés apparaîtra ! »

On entend de nouveau la cloche de l’angelus.

CATHERINE et FANCHETTE
Voici l’angelus qui sonne !

GUILLOT
Voici l’angelus qui sonne !

DENISE, s’éveillant à demi.
Voici l’angelus qui sonne.

GUILLOT, lisant.
Parlé. « En te donnant à lui, mignonne,
» C’est un trésor que je lui donne. »
Un trésor ! — Je comprends !

DENISE, s’éveillant.
Hein plaît-il ? qui est là ? Est-ce vous, mon mari ?

GUILLOT
Oui, Denise, c’est moi !

DENISE
Guillot !

GUILLOT, se mettant à genoux devant Denise.
Guillot qui t’aime, ma petite Denise, et qui te demande de vouloir bien être sa femme.

CATHERINE et FANCHETTE
Ah bah !

GUILLOT, se retournant.
Tiens ! Catherine et Fanchette ! Bonsoir, Fanchette ; bonsoir, Catherine, je vous présente ma femme.


Scène XI
Les Mêmes, LE GARDE CHAMPÊTRE, puis Les Paysans et Les Paysannes, avec des lanternes.

Le garde champêtre entre d’abord par la gauche, puis il appelle les paysans qui viennent de différents côtés.

CATHERINE et FANCHETTE
Sa femme ! Et le trésor ?

GUILLOT
Je le tiens.

CATHERINE
Part à deux.

FANCHETTE
Part à trois.

GUILLOT, riant.
Part à quatre, ah ! ah ! ah !

LE GARDE CHAMPÊTRE, s’approchant.
Part à cinq.

CATHERINE, parlé sur la musique.
Ah ! voilà le garde champêtre avec tout le village !

FANCHETTE
Approchez ! approchez ! Guillot a trouvé un trésor !

TOUS.
Ah !

CATHERINE
Il appartient à la commune ! Faut le forcer à le rendre !

FANCHETTE
Ou bien à partager avec nous !

GUILLOT
Partager ! — Allons donc ! (Montrant Denise.) Le v’’là, mon trésor, et je le garde pour moi seul ! quant au magot, cherchez si vous voulez, je vous le cède ! (Aux paysans.) Merci, les amis, d’être venus éclairer nos fiançailles… (Tous les paysans lèvent leurs lanternes.) Ce mariage-là pourra s’appeler le mariage aux lanternes.

FINALE.

GUILLOT
Messieurs, la pièce est terminée,
Nous vous quittons jusqu’à demain,

DENISE
Mais, hélas ! notre destinée
Est encore dans votre main.

FANCHETTE
Pour une pièce si légère,
Faut-il se fâcher tout de bon ?
Non.

CATHERINE
Demain, nous ferons mieux, j’espère,
Applaudissez tous aujourd’hui,
Oui.

ENSEMBLE
Allons donc ! allons donc !
Pour une pièce aussi légère
Faut-il se fâcher tout de bon ?
Non.


FIN


最終更新:2017年05月14日 10:24