PRÉLUDE
La Maison du Bailli (Juillet 178...)
(A gauche, la maison à large baie vitrée, avec une terrasse praticable, couverte de feuillages, précédée d'un escalier en bois. A droite, le jardin. Au fond, une petite porte à claire voie. Au loin, les maisons du bourg et la campagne. Au premier plan, une fontaine. Au lever du rideau, le Bailli est assis sur la terrasse, au milieu de ses six enfants qu'il fait chanter. Le rideau se lève sur un grand éclat de rire, très prolongé des Enfants.)
LE BAILLI
(grondant)
Assez! Assez!
M'écoutera-t-on cette fois?
Recommençons! recommençons!
Surtout pas trop de voix! pas trop de voix!
LES ENFANTS
(chantant avec brusquerie, très fort et sans nuances)
Noël! Noël! Noël!
Jésus vient de naître,
Voici notre divin maître...
LE BAILLI
(se fâchant)
Mais non! ce n'est pas ça!
Non! Non! ce n'est pas ça!
(sévèrement)
Osez-vous chanter de la sorte
Quand votre soeur Charlotte est là!
Elle doit tout entendre au travers de la porte!
(Les Enfants ont paru tout émus, au nom de Charlotte: ils reprennent le Noël avec gravité.)
LES ENFANTS
Noël! Noël!
LE BAILLI
(avec satisfaction)
C'est bien! C'est bien!
LES ENFANTS
Jésus vient de naître
Voici notre divin maître
Rois et bergers d'Israël!
Dans le firmament
Des anges gardiens fidèles
Ont ouvert grandes leurs ailes
Et s'en vont partout chantant: Noël!
LES ENFANTS et LE BAILLI
Noël!
LES ENFANTS
Jésus vient de naître!
Voici notre divin maître,
Rois et bergers d'Israël!
Noël! Noël! Noël! Noël! Noël!
LE BAILLI
C'est bien cela!
Noël! Noël! Noël! Noël! Noël!
(Johann et Schmidt qui s'étaient arrêtés à la porte du jardin pour écouter le choeur d'enfants derrière la haie, sont entrés dans la cour.)
JOHANN
Bravo pour les enfants!
SCHMIDT
Bravo pour le couplet!
LES ENFANTS
(accourant joyeusement)
Ah! monsieur Schmidt!
Ah! monsieur Johann!
(Schmidt et Johann embrassent les Enfants et les félicitent.)
JOHANN
(au Bailli)
Eh! mais, j'y pense vous chantez Noël en Juillet.
Bailli, c'est s'y prendre à l'avance!
LE BAILLI
(qui est descendu et serre la main à ses amis)
Cela te fait rire, Johann!
Mais quoi?
Tout le monde n'est pas artiste comme toi.
Et ce ne sont point bagatelles
Que d'apprendre le chant
(avec importance)
le chant! à ces jeunes cervelles!
SCHMIDT
(à Sophie qui vient d'entrer)
Bonjour, Sophie!
Eh! Eh! Charlotte n'est pas loin...
SOPHIE
(lui faisant une révérence)
En effet, monsieur Schmidt! puisque nous prenons soin,
Charlotte et moi, de la famille.
JOHANN
(au Bailli)
Hein, le superbe temps!
Viens-tu?
LE BAILLI
(à Johann)
Dans un instant.
SOPHIE
(à Johann, continuant la conversation)
Ma soeur s'habille pour le bal...
LE BAILLI
(à Schmidt)
Oui, ce bal d'amis et de parents
Que l'on donne à Wetzlar.
On vient prendre Charlotte.
SCHMIDT
C'est donc cela!
Koffel a mis sa redingote,
Steiner a retenu le cheval du brasseur,
Hoffmann a sa calèche et Goulden sa berline;
enfin, monsieur Werther m'a paru moins rêveur!
LE BAILLI
(à ses deux amis)
Fort bien, ce jeune homme.
JOHANN
Oui; mais pas fort en cuisine...
LE BAILLI
(insistant)
Il est instruit... très distingué...
SCHMIDT
(vivement)
Un peu mélancolique...
JOHANN
Ah! certes! jamais gai!
LE BAILLI
(poursuivant son idée)
Le Prince lui promet, dit-on, une ambassade,
Il l'estime et lui veut du bien...
JOHANN
(avec mépris)
Un diplomate!
Bah! ça ne vaut rien à table!
SCHMIDT
(de même)
Ça ne sait pas boire une rasade!
JOHANN
(au Bailli en lui tendant les mains)
A Tout à l'heure au Raisin d'or.
SCHMIDT
(de même)
Oui, tu nous dois une revanche.
LE BAILLI
(se récriant)
Encor!
JOHANN
(revenant sur ses pas)
Dame! Et puis, c'est le jour des écrevisses!
Grosses comme le bras
Gretchen nous l'a promis...
LE BAILLI
O les gourmands! les deux complices!
(Les deux hommes font mine de se retirer.)
Vous n'attendez donc pas Charlotte, mes amis?
SCHMIDT
(à Johann)
Nous la verrons ce soir.
Nous voulons faire un petit tour sur le rempart.
LE BAILLI
(souriant, à Johann)
Pour t'ouvrir l'appétit?
JOHANN
(un peu grognon, à Schmidt)
Toujours il exagère...
Allons, viens, il est tard!
SCHMIDT
(revenant au Bailli)
A propos!
Quand Albert revient-il?
LE BAILLI
(simplement)
Je l'ignore, il ne m'en parle pas encore,
mais il m'écrit que ses affaires vont au mieux.
SCHMIDT
Parfait! Albert est un garçon brave et fidèle,
c'est un mari modèle pour ta Charlotte,
et nous, les vieux,
nous danserons à perdre haleine à la noce prochaine!
(Les deux hommes s'en allant bras dessus bras dessous.)
(gaîment)
Eh! bonsoir, les enfants!
JOHANN
(gaîment)
Bonsoir, les enfants!
SCHMIDT
(au Bailli; plus bas)
A tantôt!
JOHANN
(de même)
A tantôt!
LE BAILLI
Oui! Bonsoir! Bonsoir
SOPHIE, JOHANN et LES ENFANTS
Bonsoir! Bonsoir!
JOHANN et SCHMIDT
(à pleine voix)
Vivat Bacchus! semper vivat!
LE BAILLI
(aux Enfants)
Rentrez! nous redirons notre Noël ce soir,
avant goûter, note par note!
(Le Bailli a remonté l'escalier et une fois dans la maison.)
Sophie, il faut aller voir ce que fait Charlotte.
(Sophie sort. Le Bailli s'installe dans le fauteuil de cuir à crémaillère; les plus jeunes de ses enfants se blottissent sur ses genoux, et écoutant religieusement la leçon qu'il leur donne. La baie vitrée est à demi fermée. Werther, accompagné d'un jeune paysan, s'avance dans la cour et regarde curieusement la maison.)
WERTHER
(au paysan)
Alors, c'est bien ici la maison du Bailli?
(congédiant son guide)
Merci.
(seul, Werther pénètre plus avant dans la cour
et s'arrête devant la fontaine.)
Je ne sais si je veille ou si je rêve encore!
Tout ce qui m'environne a l'air d'un paradis;
le bois soupire ainsi qu'une harpe sonore,
Un monde se révèle à mes yeux éblouis!
O nature, pleine de grâce,
Reine du temps et de l'espace
Daigne accueillir celui qui passe et te salue,
Humble mortel!
Mystérieux silence!
O calme solennel!
Tout m'attire et me plaît!
Ce mur, et ce coin sombre...
Cette source limpide et la fraîcheur de l'ombre;
il n'est pas une haie, il n'est pas un buisson où n'éclose unefleur,
où ne passe un frisson!
O nature! enivre-moi de parfums,
Mère éternellement jeune, adorable et pure!
O nature!
Et toi, soleil, viens m'inonder de tes rayons!
LES ENFANTS
(dans l'intérieur de la maison)
Jésus vient de naître!
Voici notre divin maître,
Rois et bergers d'Israël!
Dans le firmament des anges gardiens fidèles
ont ouvert grandes leurs ailes
et s'en vont partout chantant: Noël!
WERTHER
(écoutant)
Chers enfants!
(à lui-même)
Ici-bas rien ne vaut les enfants!
Chers enfants!
Autant notre vie est amère...
autant leurs jours sont pleins de foi,
leur âmes pleine de lumière!
ah! Comme ils sont meilleurs que moi!
(Werther va jusqu'à la fontaine et reste un instant dans une calme contemplation. Charlotte entre: le enfants quittent les bras de Bailli et sautent au devant d'elle.)
LES ENFANTS
Charlotte! Charlotte!
CHARLOTTE
(au Bailli)
Eh! bien père, es-tu content d'eux?
LE BAILLI
Content, content! ce n'est pas merveilleux!
LES ENFANTS
(entourant Charlotte)
Si, père est très content! très content! très content!
LE BAILLI
(embrassant sa fille et admirant sa toilette)
Comme te voilà belle, Mignonne!
LES ENFANTS
Oh! mais c'est vrai!
LE BAILLI
Venez, mademoiselle, qu'on vous regarde!
Nos amis seront jaloux!
CHARLOTTE
(souriante)
Nos amis ne sont pas exacts
au rendez-vous voilà ce dont je suis bien sûre!
Et j'en vais profiter pour donner
le goûter aux enfants.
(Charlotte va chercher sur le buffet un immense pain rond qu'elle se dispose à couper en tartines et qu'elle va distribuer aux Enfants. On entend dans le lointain les grelots d'un cheval et le bruit d'une voiture.)
LE BAILLI
Hâte-toi, car j'entends la voiture!
(Les Enfants se pressent autour de Charlotte les mains tendues vers elle. Werther qui a monté l'escalier, s'arrête et contemple un moment ce spectacle sans être vu.)
LES ENFANTS
(à mesure qu'ils reçoivent leur goûter les Enfants s'en vont en sautant)
HANS
Merci!
GRETEL
Merci!
HANS et GRETEL
Merci, grande soeur!
KARL
Merci!
CLARA
Merci!
KARL et CLARA
Merci!, grande soeur!
MAX
Merci!
FRITZ
Merci!
LE BAILLI
(apercevant Werther et allant au devant de lui)
Ah! monsieur Werther!
Vous venez visiter mon petit ermitage...
mieux mon petit royaume, et j'en suis vraiment fier.
(lui présentant Charlotte)
Ma fille, qui prend soin de ce ménage
et de tous ces enfants gâtés...
depuis le jour où leur même nous a quittés!
CHARLOTTE
(simplement)
Pardonnez-moi, monsieur, de m'être fait attendre,
mais je suis en effet une maman très tendre,
et mes enfants exigent que ma main
leur coupe chaque jour leur pain!
(Les invités entrent dans la cour. Le Bailli va à leur rencontre ainsi que Sophie qui reparaît toute rieuse.)
LE BAILLI
Arrivez donc, Brühlmann!
Charlotte est prête! On vous attend!
(Brühlmann marche côte à côte avec Kätchen; ils vont les yeux dans les yeux et ne font même pas attention au Bailli qui les suit en riant.)
BRÜHLMANN
(avec un soupir d'extase)
Klopstock!
KÄTCHEN
(avec ravissement)
Divin Klopstock!
LE BAILLI
(riant, à Brühlmann)
Bavards! Vous direz le reste à la fête...
un aussi long discours vous mettrait en retard!
(Werther est resté muet et interdit en regardant Charlotte, et quand la jeune fille se tourne vers la glace pour mettre son écharpe, il saisit le plus jeune des Enfants et l'embrasse. L'Enfant a peur de cet élan de tendresse.)
CHARLOTTE
(à l'Enfant que Werther a saisi dans ses bras)
Embrasse ton cousin!
WERTHER
(se relevant, étonné)
Cousin? Suis-je bien digne de ce nom?
CHARLOTTE
(enjouée)
En effet, cousin! c'est un honneur insigne... Mais...
nous en avons tant qu'il serait bien fâcheux
que vous fussiez le plus mauvais d'entre eux!
(Werther s'éloigne en regardant Charlotte.)
(à Sophie, avec autorité, sans sévérité, en lui montrant les Enfants)
Tu me remplaceras, Sophie, tu sais, je te les confie!
(aux Enfants)
Vous serez sages comme avec moi?
SOPHIE
Oui, mais ils aimeraient bien mieux que ce fût toi!
WERTHER
(avec extase,
tandis que Charlotte embrasse les Enfants)
O spectacle idéal d'amour et d'innocence.
Où mes yeux et mon coeur sont ravis à la fois!
Quel rêve... de passer... une entière existence...
Calmé par ses regards et bercé par sa voix!
(La plupart des invités est déjà presque sortie; restent encore Brühlmann et Kätchen, absorbés et silencieux, près de la fontaine. Charlotte est prête maintenant, elle descend dans la cour. Werther va à sa rencontre. Sophie et les Enfants forment un groupe sur la terrasse et envoient des baisers à leur grande soeur.)
LE BAILLI
(saluant Werther)
Monsieur Werther!
CHARLOTTE
Adieu... père!
LE BAILLI
(à Charlotte)
Adieu, ma chérie...
(Charlotte et Werther s'éloignent suivis d'un groupe d'invités. Brühlmann et Kätchen s'en vont les derniers sans avoir dit une parole.)
LE BAILLI
(avec bonhomie, les regardant en souriant)
A ceux-là ne souhaitons rien! Klopstock!
Divin Klopstock! l'extase magnétique!
cela me paraît sans réplique!
(Sophie a fait rentrer les enfants dans la maison.)
LE BAILLI
(tout en fredonnant, va chercher sa longue pipe en porcelaine qu'il a décrochée du râtelier.)
Vivat Bacchus! semper vivat!
(en fredonnant)
Vivat Bacchus! semper vivat Bacchus!
(Il s'installe toujours fredonnant et d'un air un peu gêné, dans son large fauteuil et se dispose à fumer.)
Vivat Bacchus! semper vivat!
SOPHIE
(a reparu et sourit en voyant le Bailli; elle a été tout doucement prendre dans le coin de la chambre la canne et le chapeau du Bailli qu'elle lui apporte gentiment; avec malice)
Et qui donc a promis d'aller au Raisin d'or?
LE BAILLI
(d'un ton embarrassé)
Qui? Moi? te laisser seule?
SOPHIE
Eh bien?
LE BAILLI
(fredonnant entre ses dents)
La la la la la la la la la la la! Non!
SOPHIE
(gravement)
Je l'exige! Schmidt et Johann doivent t'attendre encor.
LE BAILLI
(se laissant convaincre et prenant le chapeau et la canne des mains de Sophie)
Rien qu'un moment... alors...
(Il s'éloigne; se retournant, à Sophie)
au fait promesse oblige!
(Sophie accompagne le Bailli et ferme la porte de la rue sur lui. La nuit tombe peu à peu. Albert paraît; il vient du jardin, un manteau sur le bras; il est entré doucement et interroge la maison du regard; il s'approche et aperçoit Sophie qui redescend.)
ALBERT
Sophie!
SOPHIE
(reconnaissant Albert)
Albert! Toi de retour?
ALBERT
Oui, moi, petite soeur, bonjour!
(Il l'embrasse.)
SOPHIE
Que Charlotte sera contente de te revoir!
ALBERT
Elle est ici?
SOPHIE
Non, pas ce soir! Elle qui jamais s'absente.
(plus accentué)
Aussi, pourquoi n'as-tu pas prévenu?
ALBERT
(simplement)
J'ai voulu vous surprendre...
Parle-moi d'elle, au moins!
Il me tarde d'apprendre si de moi l'on s'est souvenu?
car c'est bien long, six mois d'absence...
SOPHIE
(avec simplicité)
Chez nous, aux absents
(tendrement)
chacun pense, et d'ailleurs, n'es-tu pas son fiancé?
ALBERT
(joyeux)
A chère enfant! Et que s'est-il passé?
SOPHIE
Rien... on s'est occupé de votre mariage...
ALBERT
De notre mariage!
SOPHIE
On y dansera... dis?
ALBERT
Beaucoup... et davantage!
(avec chaleur)
Oui, je veux que pour tous il y ait du bonheur...
j'en ai tant au fond du coeur!
(reconduisant Sophie jusqu'au perron)
Va, rentre: J'ai peur qu'on t'appelle
et qu'on apprenne mon retour; n'en dis rien,
je serai près d'elle dès le lever du jour.
SOPHIE
(rentrant)
A demain, à demain, à demain...
(gentiment)
Monsieur mon beau frère.
(Elle ferme la porte vitrée.)
ALBERT
(seul)
Elle m'aime! Elle pense à moi!
Quelle prière de reconnaissance
et d'amour monte de mon coeur à ma bouche!
Oh! comme à l'heure du retour un rien nous émeut et nous touche...
et comme tout possède un charme pénétrant!
Ah! je voudrais qu'en rentrant Charlotte
retrouvât les pensers que je laisse:
Tout mon espoir et toute ma tendresse!
(Il s'éloigne lentement. La nuit est venue; la lune éclaire la maison peu à peu. Charlotte et Werther paraissent à la porte du jardin; ils viennent lentement, se tenant par le bras, et ne s'arrêtent qu'au bas du perron où tous deux restent un moment silencieux.)
CHARLOTTE
(simplement)
Il faut nous séparer. Voici notre maison,
c'est l'heure du sommeil.
WERTHER
(plus accentué)
Ah! pourvu que je voie ces yeux toujours ouverts,
ces yeux mon horizon, ces doux yeux:
mon espoir et mon unique joie...
Que m'importe à moi le sommeil?
Les étoiles et le soleil peuvent bien dans le ciel tour
à tour reparaître, j'ignore s'il est jour...
j'ignore s'il est nuit!
(doux et calme)
Mon être demeure indifférent à ce qui n'est pas toi!
CHARLOTTE
(souriant)
Mais, vous ne savez rien de moi.
WERTHER
(pénétré)
Mon âme a reconnu votre âme, Charlotte,
et je vous ai vue assez pour savoir
quelle femme vous êtes!
CHARLOTTE
(souriant)
Vous me connaissez?
WERTHER
(grave et tendre)
Vous êtes la meilleure ainsi que la plus belle des créatures!
CHARLOTTE
(confuse)
Non!
WERTHER
Faut-il que j'en appelle à ceux
que vous nommez vos enfants?
CHARLOTTE
(pensive et se rapprochant de Werther)
Hélas! oui, mes enfants...
(simplement et attendri)
Vous avez dit vrai!
C'est que l'image de ma mère
est présente à tout le monde ici.
Et pour moi, je crois voir
(plus accentué)
sourire son visage quand
je prends soin de ses enfants... de mes enfants!
(tendrement)
Ah! je souhaiterais que dans cette demeure elle revint!
et vit au moins quelques instants si je tiens
les serments faits à la dernière heure!
(très attendrie)
Chère, chère maman, que ne peux-tu nous voir?
WERTHER
O Charlotte! ange du devoir,
La bénédiction du ciel sur toi repose!
CHARLOTTE
Si vous l'aviez connue!
Ah! la cruelle chose de voir ainsi partir
ce qu'on a de plus cher!
Quels tendres souvenirs... et quel regret amer!
Pourquoi tout est-il périssable?
Les enfants ont senti cela très vivement;
ils demandent souvent d'un ton inconsolable:
Pourquoi les hommes noirs ont emporté maman?
WERTHER
Rêve! Extase! Bonheur!
Je donnerais ma vie pour garder à jamais ces yeux,
ce front charmant, cette bouche adorable, étonnée et ravie...
Sans que nul à son tour les contemple un moment!
Le céleste sourire! oh! Charlotte! je vous aime...
je vous aime... et je vous admire!
CHARLOTTE
(revenant à elle; gravit rapidement le marches du perron)
Nous somme fous! rentrons...
WERTHER
(d'une voix altérée, et la retenant)
Mais... nous nous reverrons?
LE BAILLI
(dans la maison, en rentrant, à haute voix; parlé)
Charlotte! Charlotte! Albert est de retour!
CHARLOTTE
(défaillante)
Albert?
WERTHER
(interrogeant Charlotte)
Albert?
CHARLOTTE
(bas et tristement à Werther)
Oui, celui que ma mère m'a fait jurer
d'accepter pour époux...
(encore à voix basse, et comme s'accusant)
Dieux m'est témoin qu'un instant près de vous...
j'avais oublié le serment qu'on me rappelle!
(Werther se cache le visage avec sas mains, comme s'il sanglotait.)
WERTHER
(avec effort)
A ce serment... restez fidèle! Moi...
j'en mourrai! Charlotte!
(Charlotte se retourne une dernière fois.)
WERTHER
(seul, désespérée, lorsque Charlotte a disparu)
Un autre! son époux!