PREMIER ACTE
Une place publique dans la ville de Gaza, en Palestine
CHOEUR DES HÉBREUX
derrière le rideau
Dieu!
Dieu d'Israël! Ecoute la prière
De tes enfants t'implorant à genoux.
Prends en pitié ton peuple et sa misère!
Que sa douleur désarme ton courroux!
LES FEMMES
derrière le rideau
Un jour, de nous tu détournas ta face,
Et de ce jour ton peuple fut vaincu!
SCÈNE I
Samson, les Hébreux.
A gauche le portique du temple de Dagon.
Une foule d'Hébreux, hommes et femmes, sont réunis sur la place dans l'attitude de la douleur et de la prière. Samson est parmi eux. Il fait nuit.
LES HÉBREUX
Quoi! veux-tu donc qu'à jamais on efface
Des nations celle qui t'a connu?
Mais vainement tout le jour je l'implore;
Sourd à ma voix, il ne me répond pas!
Et cependant, du soir jusqu'à l'aurore,
J'implore ici le secours de son bras!
Nous avons vu nos cités renversées,
Et les Gentils profanant ton autel;
Et sous leur joug nos tribus dispersées
Ont tout perdu, jusqu'au nom d'Israël! Ah!
N'es-tu donc plus ce Dieu de délivrance
Qui de l'Egypte arrachait nos tribus?
Dieu!
As-tu rompu cette sainte alliance,
Divins serments, par nos aïeux reçus?
SAMSON
sortant de la foule
Arrêtez, ô mes frères!
Et bénissez le nom
Du Dieu saint de nos pères!
Car l'heure du pardon
Est peut-être arrivée!
Oui, j'entends dans mon cour
Une voix élevée!
C'est la voix du Seigneur
Qui parle par ma bouche.
Ce Dieu plein de bonté,
Que la prière touche,
Promet la liberté!
Frères, brisons nos chaînes,
Et relevons l'autel
Du seul Dieu d'Israël!
LES HÉBREUX
Hélas! paroles vaines!
Pour marcher aux combats,
Où donc trouver des armes?
Comment armer nos bras?
Nous n'avons que nos larmes!
SAMSON
L'as-tu donc oublié,
Celui dont la puissance
Se fit ton allié?
Lui qui, plein de clémence,
A si souvent pour toi
Fait parler ses oracles
Et rallumé ta foi
Au feu de ses miracles?
Lui qui, dans l'Océan,
Sut frayer un passage
A nos pères fuyant
Un honteux esclavage?
LES HÉBREUX
Ils ne sont plus, ces temps
Où le Dieu de nos pères
Protégeait ses enfants,
Entendait leurs prières!
SAMSON
Malheureux, taisez-vous!
Le doute est un blasphème!
Implorons à genoux
Le Seigneur qui nous aime!
Remettons dans ses mains
Le soin de notre gloire,
Et puis ceignons nos reins,
Certains de la victoire!
C'est le Dieu des combats,
C'est le Dieu des armées!
Il armera vos bras
D'invincibles épées!
LES HÉBREUX
Ah! le souffle du Seigneur
A passé dans son âme!
Ah! chassons de notre coeur
Une terreur infâme!
Et marchons avec lui
Pour notre délivrance!
Jéhovah le conduit
Et nous rend l'espérance!
SCÈNE II
Les mêmes, Abimélech, Satrape de Gaza, Philistins.
Abimélech entre, suivi de plusieurs soldais et guerriers philistins.
ABIMÉLECH
Qui donc élève ici la voix?
Encor ce vil troupeau d'esclaves,
Osant toujours braver nos lois
Et voulant briser leurs entraves!
Cachez vos soupirs et vos pleurs
Qui lassent notre patience;
Invoquez plutôt la clémence
De ceux qui furent vos vainqueurs!
Ce Dieu que votre voix implore
Est demeuré sourd à vos cris,
Et vous l'osez prier encore,
Quand il vous livre à nos mépris?
Si sa puissance n'est pas vaine,
Qu'il montre sa divinité!
Qu'il vienne briser votre chaîne,
Qu'il vous rende la liberté!
Croyez-vous ce Dieu comparable
A Dagon, le plus grand des dieux,
Guidant de son bras redoutable
Nos guerriers victorieux?
Votre divinité craintive,
Tremblante fuyait devant lui,
Comme la colombe plaintive
Fuit le vautour qui la poursuit!
SAMSON
C'est toi que sa bouche invective,
Et la terre n'a point tremblé?
O Seigneur, l'abîme est comblé!
Je vois aux mains des anges
Briller l'arme de feu,
Et du ciel les phalanges
Accourent venger Dieu.
Oui, l'ange des ténèbres,
En passant devant eux,
Pousse des cris funèbres
Qui font frémir les cieux!
Enfin, l'heure est venue,
L'heure du Dieu vengeur,
Et j'entends dans la nue
Eclater sa fureur.
Oui, devant sa colère
Tout s'épouvante et fuit!
On sent trembler la terre,
Aux cieux la foudre luit!
LES HÉBREUX
Oui, devant sa colère
Tout s'épouvante et fuit!
On sent trembler la terre;
Aux cieux la foudre luit!
ABIMÉLECH
Arrête! insensé, téméraire,
Ou crains d'exciter ma colère!
SAMSON
Israël! romps ta chaîne!
O peuple, lève-toi!
Viens assouvir ta haine!
Le Seigneur est en moi!
O toi, Dieu de lumière,
Comme aux jours d'autrefois
Exauce ma prière
Et combats pour tes lois!
LES HÉBREUX
Israël! romps ta chaîne!
O peuple, lève-toi!
Viens assouvir ta haine!
Le Seigneur est en moi!
O toi, Dieu de lumière,
Comme aux jours d'autrefois
Exauce ma prière
Et combats pour tes lois!
SAMSON
Oui, devant sa colère
Tout s'épouvante et fuit!
On sent trembler la terre,
Aux cieux la foudre luit!
Il déchaîne l'orage,
Commande à l'ouragan,
On voit sur son passage
Reculer l'Océan!
LES HÉBREUX, SAMSON
Israël! romps ta chaîne!
O peuple, lève-toi!
Viens assouvir ta haine!
Le Seigneur est en moi!
O toi, Dieu de lumière,
Comme aux jours d'autrefois
Exauce ma prière
Et combats pour tes lois!
Israël! lève-toi! lève-toi!
Abimélech se précipite sur Samson l'épée à la mainpour le frapper; Samson lui arrache l'épée des mainset le frappe. -
Abimélech tombe en criant: «A moi!»
Les Philistins qui accompagnent le Satrapeveulent le secourir; Samson, brandissant son épée,les éloigne. La plus grande confusion règne parmiles Philistins.
Samson et les Hébreux sortent.
SCÈNE III
Les mêmes, le Grand-Prêtre, serviteurs, gardes.
Les portes du temple de Dagon s'ouvrent; le Grand-Prêtre, suivi de nombreux serviteurs et gardes,descend les degrés du portique; il s'arrête devantle cadavre d 'Abimélech; les Philistins s'écartent devant lui.
LE GRAND-PRÊTRE
Que vois-je? Abimélech! frappé par des esclaves!
Pourquoi les laisser fuir'? Courons, courons, mes braves!
Pour venger votre Prince, écrasez sous vos coups
Ce peuple révolté bravant votre courroux!
PREMIER PHILISTIN
J'ai senti dans mes veines
Tout mon sang se glacer;
Il semble que des chaînes
Soudain vont m'enlacer.
DEUXIÈME PHILISTIN
Je cherche en vain mes armes,
Mes bras sont impuissants,
Mon cour est plein d'alarmes,
Mes genoux sont tremblants.
LE GRAND-PRÊTRE
Lâches! Plus lâches que des femmes!
Vous fuyez devant les combats!
De leur Dieu craignez-vous les flammes
Qui doivent dessécher vos bras?
SCÈNE IV
Les mêmes, un messager philistin
LE MESSAGER
Seigneur! la troupe furieuse
Que conduit et guide Samson
Dans sa révolte audacieuse
Accourt, ravageant a moisson!
LES DEUX PHILISTINS, LE MESSAGER
Fuyons un danger inutile!
Quittons au plus vite ces lieux;
Seigneur, abandonnons la ville
Et cachons notre honte aux yeux.
LE GRAND-PRÊTRE
Maudite à jamais soit a race
Des enfants d'Israël!
Je veux en effacer la trace,
Les abreuver de fiel!
Maudit soit celui qui lesguide!
J'écraserai du pied
Ses os brisés, sa gorge aride
Sans frémir de pitié!
Maudit soit le sein de lafemme
Qui lui donna le jour!
Qu'enfin une compagneinfâme
Trahisse son amour!
Maudit soit le Dieu qu'iladore,
Ce Dieu, son seul espoir
Et dont ma haine insulte encore
L'autel et le pouvoir!
LE MESSAGER, DEUX PHILISTINS
Fuyons dans les montagnes,
Abandonnons ces lieux,
Nos maisons, nos compagnes,
Et jusques à nos dieux!
LE GRAND-PRÊTRE
Qu'Israël soit maudit par nos dieux!
Ils sortent, emportant le cadavre d'Abimélech.
Au moment où les Philistins quittent la scène suivis du Grand-Prêtre, les Hébreux, vieillards et
femmes, entrent.
SCÈNE V
Les femmes et les vieillards hébreux - puis Samson, suivi des Hébreux victorieux.
Le jour se lève progressivement.
Le soleil est complètement levé.
VIEILLARDS HÉBREUX
Hymne de joie, hymne de délivrance,
Montez vers l'Eternel!
Il a daigné dans sa toute-puissance
Secourir Israël!
Par lui le faible est devenu le maître
Du fort qui l'opprimait!
Il a vaincu l'orgueilleux et le traître
Dont la voix l'insultait!
Les jeunes Hébreux conduits par Samson entrent.
UN VIEILLARD HÉBREU
Il nous frappait dans sa colère,
Car nous avions bravé ses lois.
Plus tard, le front dans la poussière,
Vers lui nous élevions la voix.
Il dit à ses tribus aimées:
Levez-vous, marchez aux combats!
Je suis le Seigneur des armées,
Je suis la force dc vos bras!
VIEILLARDS HÉBREUX
Il est venu vers nous dans la détresse,
Car ses fils lui sont chers.
Que l'univers tressaille d'allégresse!
Il a rompu nos fers!
Hymne de joie, hymne de délivrance,
Montez vers l'Eternel!
Il a daigné dans sa toute-puissance
Secourir Israël!
SCÈNE VI
Samson, Dalila, les Philistines, le vieillard hébreu,les Hébreux.
Les portes du temple de Dagon s'ouvrent.
Dalila sortdu temple avec les femmes philistines tenant dansleurs mains des guirlandes de fleurs.
LES PHILISTINES
Voici le printemps nous portant des fleurs
Pour orner le front des guerriers vainqueurs!
Mêlons nos accents aux parfums des roses
A peine écloses!
Avec l'oiseau chantons, mes sours!
Beauté, don du ciel, printemps de nos jours,
Doux charme des yeux, espoir des amours,
Pénètre les coeurs, verse dans les âmes
Tes douces flammes!
Aimons, mes soeurs, aimons toujours!
DALILA
s'adressant à Samson
Je viens célébrer la victoire
De celui qui règne en mon coeur.
Dalila veut pour son vainqeur
Encor plus d'amour que de gloire!
O mon bien-aimé, suis mes pas
Vers Soreck, la douce vallée,
Dans cette demeure isolée
Où Dalila t'ouvre ses bras!
SAMSON
à part
Ô Dieu! Toi qui vois ma faiblesse,
Prends pitié de ton serviteur!
Ferme mes yeux, ferme mon coeur
A la douce voix qui me presse!
DALILA
Pour toi, j'ai couronné mon front
Des grappes noires du troène,
Et mis des roses de Saron
Dans ma chevelure d'ébène!
LE VIEILLARD HÉBREU
Détourne-toi, mon fils, de son chemin!
Evite et crains cette fille étrangère!
Ferme l'oreille à sa voix mensongère,
Et du serpent évite le venin!
SAMSON
à part
Voile ses traits dont la beauté
Trouble mes sens, trouble mon âme!
Et de ses yeux éteins a flamme
Qui me ravit la liberté!
DALILA
Doux est le muguet parfumé;
Mes baisers le sont plus encore;
Et le suc de la mandragore
Est moins suave, ô bien-aimé!
Ouvre tes bras à ton amante,
Et dépose-la sur ton coeur,
Comme un sachet de douce odeur
Dont la senteur est enivrante!
Ah! viens!
SAMSON
à part
Flamme ardente qui me dévore,
Et qu'elle ravive en ce lieu,
Apaise-toi devant mon Dieu!
Pitié, Seigneur, pour celui qui t'implore!
LE VIEILLARD HÉBREU
Malheur à toi, situ subis les charmes
De cette voix plus douce que e miel!
Jamais tes yeux n'auront assez de larmes
Pour désarmer la colère du ciel'
Danse des Prêtresses de Dagon
Les jeunes filles qui accompagnent Dalila dansenten agitant des guirlandes de fleurs et semblent provoquer les guerriers Hébreux qui accompagnent Samson.
Ce dernier, profondément troublé, chercheen vain à éviter les regards de Dalila; ses yeux, malgré lui, suivent tous les mouvements del'enchanteresse qui reste au milieu des jeunes Philistines prenant part à leurs poses et à leurs gestes voluptueux.
DALILA
Printemps qui commence,
Portant l'espérance
Aux coeurs amoureux,
Ton souffle qui passe,
De la terre efface
Les jours malheureux.
Tout brûle en notre âme,
Et ta douce flamme
Vient sécher nos pleurs;
Tu rends à la terre,
Par un doux mystère,
Les fruits et les fleurs.
En vain je suis belle!
Mon coeur plein d'amour,
Pleurant l'infidèle,
Attend sou retour!
Vivant d'espérance,
Mon coeur désolé
Garde souvenance
Du bonheur passé!
A la nuit tombante,
J'irai, triste amante,
M'asseoir au torrent,
L'attendre en pleurant!
Chassant ma tristesse,
S'il revient un jour,
A lui ma tendresse
Et la douce ivresse
Qu'un brûlant amour
Garde à son retour!
LE VIEILLARD HÉBREU
L'esprit du mal a conduit cette femme
Sur ou chemin pour troubler ton repos.
De ses regards fuis la brûlante flamme!
C'est un poison qui consume les os!
DALILA
Chassant ma tristesse,
S'il revient un jour,
A lui ma tendresse
Et la douce ivresse
Qu'un brûlant amour
Garde à son retour!
Dalila regagne en chantant les degrés du temple et provoque Samson du regard; celui-ci semble sousle charme. Il hésite, il lutte et trahit le trouble de son âme.