PREMIÈRE PARTIE
Le songe d'Hérode
N° 1
LE RÉCITANT
Dans la crèche, en ce temps, Jésus venait de naître.
Mais nul prodige encor ne l'avait fait connaître;
Et déjà les puissants tremblaient,
Déjà les faibles espéraient.
Tous attendaient …
Or apprenez, chrétiens, quel crime épouvantable
Au roi des Juifs alors suggéra la terreur,
Et le céleste avis que, dans leur humble étable
Aux parents de Jésus envoya le Seigneur.
SCÈNE I
Une rue de Jérusalem. Un corps de garde. Soldats romains faisant une ronde de nuit.
N° 2 – Marche nocturne
UN CENTURION
Qui vient ?
POLYDORUS
(le commandant de la patrouille)
Rome!
CENTURION
Avancez!
POLYDORUS
Halte!
CENTURION
Polydorus!
Je te croyais déjà, soldat, aux bords du Tibre.
POLYDORUS
J'y serais en effet si Gallus
Notre illustre préteur, m'eut enfin laissé libre.
Mais il m'a sans raison
Imposé pour prison
Cette triste cité, pour y voir ses folies
Et d'un roitelet juif garder les insomnies.
CENTURION
Que fait Hérode?
POLYDORUS
Il rêve, il tremble,
Il voit partout des traîtres, il assemble
Son conseil chaque jour;
Et du soir au matin
Il faut sur lui veiller;
Il nous obsède enfin.
CENTURION
Ridicule tyran!
Mais va, poursuis ta ronde.
POLYDORUS
Il le faut bien. Adieu ! Jupiter le confonde !
La patrouille se remet en marche et s'éloigne.
SCÈNE II
L'intérieur du palais d'Hérode. Hérode seul.
N° 3 – Air d'Hérode
HÉRODE
Toujours ce rêve! encore cet enfant
Qui doit me détrôner.
Et ne savoir que croire
De ce présage menaçant
Pour ma vie et ma gloire!
Ô misère des rois!
Régner et ne pas vivre,
A tous donner des lois,
Et désirer de suivre
Le chevrier au fond des bois!
Ô nuit profonde
Qui tient le monde
Dans le repos plongé,
A mon sein ravagé
Donne la paix une heure,
Et que ton voile effleure
Mon front d'ennuis chargé …
O misère des rois, etc.
Effort stérile!
Le sommeil fuit;
Et ma plainte inutile
Ne hâte point ton cours, interminable nuit.
SCÈNE III
POLYDORUS
Seigneur!
HÉRODE
Lâches, tremblez!
Je sais tenir encore
Une épée …
POLYDORUS
Arrêtez!
HÉRODE
(le reconnaissant)
Ah! c'est toi, Polydore.
Que viens-tu m'annoncer?
POLYDORUS
Seigneur, les devins juifs
Viennent de s'assembler
Par vos ordres.
HÉRODE
Enfin!
POLYDORUS
Ils sont là.
HÉRODE
Qu'ils paraissent!
SCÈNE IV
Les devins entrent.
N° 4
CHŒUR DE DEVINS
Les sages de Judée,
Ô roi, te reconnaissent
Pour un prince savant et généreux;
Ils te sont dévoués.
Parle, qu'attends-tu d'eux?
HÉRODE
Qu'ils veuillent m'éclairer,
Est-il quelque remède
Au souci dévorant
Qui dès longtemps m'obsède?
DEVINS
Quel est-il?
HÉRODE
Chaque nuit
Le même songe m'épouvante;
Toujours une voix grave et lente
Me répète ces mots: "Ton heureux temps s'enfuit!
Un enfant vient de naître
Qui fera disparaître
Ton trône et ton pouvoir."
Puis-je de vous savoir
Si cette terreur qui m'accable
Est fondée,
Et comment ce danger redoutable
Peut être détourné?
DEVINS
Les esprits le sauront,
Et par nous consultés
Bientôt ils répondront.
(Les devins font des évolutions cabalistiques et procèdent à la conjuration.)
DEVINS
La voix dit vrai, seigneur.
Un enfant vient de naître
Qui fera disparaître
Ton trône et ton pouvoir.
Mais nul ne peut savoir
Ni son nom, ni sa race.
HÉRODE
Que faut-il que je fasse?
DEVINS
Tu tomberas, à moins que l'on ne satisfasse
Les noirs esprits, et si, pour conjurer le sort,
Des enfants nouveaux-nés tu n'ordonnes la mort.
HÉRODE
Eh bien! par le fer qu'ils périssent!
Je ne puis hésiter.
Que dans Jérusalem,
A Nazareth, à Bethléem,
Sur tous les nouveaux-nés
Mes coups s'appesantissent!
Malgré les cris, malgré les pleurs
De tant de mères éperdues,
Des rivières de sang vont être répandues.
Je serai sourd à ces douleurs.
La beauté, la grâce, ni l'âge
Ne feront faiblir mon courage
Il faut un terme à mes terreurs.
DEVINS
Oui ! oui ! par le fer qu'ils périssent!
N'hésite pas.
Que dans Jérusalem,
A Nazareth, à Bethléem,
Sur tous les nouveaux-nés
Tes coups s'appesantissent !
Oui, malgré les cris, malgré les pleurs
De tant de mères éperdues,
Les rivières de sang qui seront répandues,
Demeure sourd à ces douleurs!
Que rien n'ébranle ton courage!
Et vous, pour attiser sa rage,
Esprits, redoublez ses terreurs!
HÉRODE
Non, non! Que dans Jérusalem, etc.
SCÈNE V
L'étable de Bethléem
N° 5 – Duo
MARIE
Ô mon cher fils, donne cette herbe tendre
A ces agneaux qui vers toi vont bêlant;
Ils sont si doux ! laisse, laisse-les prendre.
Ne les fais pas languir, ô mon enfant.
Mon cher enfant, donne cette herbe tendre, etc.
MARIE, JOSEPH
Répands encor ces fleurs sur leur litière.
Ils sont heureux de tes dons, cher enfant;
Vois leur gaîté, vois leurs jeux, vois leur mère
Tourner vers toi son regard caressant.
MARIE
Oh! sois béni, mon cher et tendre enfant!
JOSEPH
Oh! sois béni, divin enfant!
SCÈNE VI
N° 6
CHŒUR D'ANGES INVISIBLES
Joseph! Marie!
Écoutez-nous.
MARIE, JOSEPH
Esprits de vie,
Est-ce bien vous?
ANGES
Il faut sauver ton fils
Qu'un grand péril menace,
Marie.
MARIE
Ô ciel, mon fils!
ANGES
Oui, vous devez partir
Et de vos pas bien dérober la trace;
Dès ce soir au désert vers l'Égypte il faut fuir.
MARIE, JOSEPH
A vos ordres soumis, purs esprits de lumière,
Avec Jésus au désert nous fuirons.
Mais accordez à notre humble prière
La prudence, la force, et nous le sauverons.
ANGES
La puissance céleste
Saura de vos pas écarter
Toute rencontre funeste.
MARIE, JOSEPH
En hâte, allons tout préparer.
ANGES
Hosanna! Hosanna!