[Variante pour les Théâtres qui n'ont pas de Ballet]

MANON
(revenant subitement à elle)
Non, sa vie à vie à la mienne est pour jamais liée...
Il ne peut m'avoir oubliée!
(Elle se dispose à partir lorsqu'elle aperçoit Lescaut
donnant le bras à Rosalinde et entrant en scène suivi de la foule.)
(s'adresse à Lescaut.)
Ma chaise, mon Cousin?

LESCAUT
(quittant le bras de Rosalinde et s'avançant avec empressement)
On faut-il vous porter, Cousine?

MANON
À St. Sulpice!

LESCAUT
(stupéfait)
A St. Sulpice! Quel est ce bizarre caprice?
Pardonnez-moi de vous faire répéter... à St. Sulpice?

MANON
(résolument et remontant pour sortir)
A St. Sulpice!

(Elle sort suivie de Lescaut qui fait de grands gestes d'étonnement, pendant que la foule redescend en scène. Reprise de Choeur final)

SEIGNEURS, ÉLÉGANTES - PROMENEURS, MARCHANDS,
MARCHANDES BRÉTIGNY - GUILLOT

(accompagnés de quelques amis; puis, Lescaut. Orchestre dans la salle. On rit.)

BRÉTIGNY
Répondez-moi, Guillot!

(On rit.)

GUILLOT
Jamais!
Mais rira bien qui rira le dernier!

BRÉTIGNY
Mr. de Morfontaine,
Vous allez tout me dire!

GUILLOT
A vous, mon ami, rien!
(se tournant vers Manon)
Mais à vous, ô ma Reine!

BRÉTIGNY
Plaît?

GUILLOT
Eh bien! oui...
l'Opéra que vous lui refusiez...
Il sera dans un instant... ici.

(Mouvement dans la foule.)

BRÉTIGNY
Je dois rendre les armes!
(à Manon)
Vous êtes triste!

MANON
Oh! non!

BRÉTIGNY
On dirait que des larmes...

MANON
Folie!

GUILLOT
(à Manon)
Allons, Manon,
Approchez, s'il vous plaît,
(avec importance)
On va danser pour vous notre nouveau ballet!
(à Lescaut)
Lescaut, venez!

LESCAUT
(vivement empressé)
Je suis là pour vous plaire...

GUILLOT
Veillez... le tout est à mes frais,
A ce qu'on donne à boire au populaire...
(tirant sa bourse)
Combien?

LESCAUT
(prenant la bourse et s'éloignant)
Nous compterons après!

SEIGNEURS, PROMENEURS, MARCHANDS ET MARCHANDES
(Brétigny, les Seigneurs avec les Ténors et les Basses)
Voici l'Opéra!

PRÉAMBULE
La Présentation

BRÉTIGNY, LES SEIGNEURS ET LA FOULE
L'Opéra! Voici l'Opéra!
Tout Paris en parlera!
C'est le ballet de l'Opéra!
(entr'eux)
C'est un plaisir de souveraine!
Et son rival enragera!
L'ami Guillot se ruinera.
Avoir fait venir l'Opéra

GUILLOT
(à part, avec joie)
C'est un plaisir de souveraine!
Avoir fait venir l'Opéra
Et son ballet au Cours-la-Reine!
(En imitant le mouvement des danseurs)
Mon rival enragera!
Il enragera!

LES SEIGNEURS ET LA FOULE
Avoir fait venir l'Opéra!
Tout Paris en parlera!
C'est le ballet de l'Opéra!

1re Entrée
2me Entrée
3me Entrée
4me Entrée

MANON
(à part, à elle-même, troublée)
Non... sa vie à la mienne est pour jamais liée!
Il ne peut m'avoir oubliée...
(voyant Lescaut près d'elle)
ma chaise, mon cousin...

LESCAUT
Où faut-il vous porter cousine?

MANON
À St. Sulpice!

LESCAUT
Quel est ce bizarre caprice?
Pardonnez-moi de faire répéter...
À St. Sulpice?

MANON
À St. Suplice!

GUILLOT
Eh bien, maîtresse de ma vie qu'en dites-vous?

MANON
Je n'ai rien vu!

GUILLOT
(stupéfait)
Rien vu! voilà le prix de ma galanterie!
Est-ce là ce qui m'était dû?

[Variante pour les Théâtres qui n'ont pas de ballet: Recommence ici.]

PROMENEURS - MARCHANDS ET MARCHANDES
C'est fête au Cours-la-Reine!
On y danse, On y boit à la santé du Roi!
A la santé du Roi!

(Le Choeur continue rideau baissé.)
Le Parloir de Séminaire de Saint-Sulpice.
(Gd Orgue derrière le rideau baissé. Grandes Dames et Bourgeoises dévotes sortant de la chapelle du séminaire.)

DEVOTES, GDES DAMES ET BOURGEOISES
(entr'elles, parlant de Des Grieux)
Quelle éloquence!
L'admirable orateur!
Quelle abondance!
Le grand prédicateur!
Ah! L'admirable orateur!
Et dans sa voix quelle douceur!
Quelle douceur, et quelle flamme!
Comme en l'écoutant...
La ferveur pénètre doucement jusqu'au fond de nos âmes!
Ah! Quel orateur!
L'admirable orateur
Le grand prédicateur!
De quel art divin
Il A dans sa thèse.
Peint Saint Augustin
Et Sainte Thérèse!
Lui-même est un Saint!
C'est un fait certain!
N'est-ce pas, ma chère!
C'est un Saint!
C'est certain!
C'est un Saint!
(Des Grieux paraît. Les dévotes, entr'elles, avec dévotion.)
C'est Lui! c'est l'abbé Des Grieux
Voyez comme il baisse les yeux!
(Les dévotes et les fidèles sortent peu à peu après avoir salué Don Grieux avec de profondes révérences.)

LE COMTE DES GRIEUX
Bravo, mon cher, succès complet!
Notre maison doit être fière
D'avoir parmi les siens un nouveau Bossuet.

DES GRIEUX
De grâce, épargnez-moi, mon père.
(Silence)

LE COMTE
Et, c'est pour de bon, Chevalier,
Que tu prétends au ciel pour jamais te lier?

DES GRIEUX
Oui, Je n'ai trouvé dans la vie
Qu'amertume et dégoût...

LE COMTE
(Avec une légère ironie)
Les grands mots que voilà!
Quelle route as-tu donc suivie,
Et que sais-tu de cette vie
Pour penser qu'elle finit là?
Épouse quelque brave fille,
Digne de nous, digne de toi,
Deviens un père de famille
Ni pire, ni meilleur que moi:
Le ciel n'en veut pas davantage;
C'est là le devoir, entends-tu?
C'est là le devoir,
La vertu qui fait du tapage
N'est déjà plus de la vertu!
Épouse quelque brave fille,
Digne de nous, digne de toi,
Le ciel n'en veut pas davantage;
C'est là le devoir, C'est là le devoir!

DES GRIEUX
Rien ne peut m'empêcher
De prononcer mes voeux!

LE COMTE
C'est dit alors?

DES GRIEUX
Oui, je le veux!

LE COMTE
Soit! Je franchirai donc seul cette grille,
Et vais leur annoncer là-bas
Qu'ils ont un Saint dans la famille...
J'en sais beaucoup qui ne me croiront pas!

DES GRIEUX
Ne raillez pas,
Monsieur, je vous en prie!

LE COMTE
(ému)
Un mot encore,
Comme il n'est pas certain
Que l'on te donne ici, du jour au lendemain,
Un bénéfice, une abbaye...
Je vais dès ce soir t'envoyer
Trente mille livres...

DES GRIEUX
Mon père...

LE COMTE
C'est à toi, c'est ta part
Sur le bien de ta mère;
Et maintenant... adieu, mon fils,

DES GRIEUX
Adieu mon père!

LE COMTE
Adieu... reste à prier!

DES GRIEUX
(seul)
Je suis seul!
Seul enfin!
C'est le moment suprême!
(calme)
Il n'est plus rien que j'aime
Que le repos sacré que m'apporte la foi!
Oui, j'ai voulu mettre
Dieu même
Entre le monde et moi!
(très calme; sostenuto cantabile)
Ah! fuyez, douce image, à mon âme trop chère;
Respectez un repos cruellement gagné,
Et songez, si j'ai bu dans une coupe amère,
Que mon coeur l'emplirait de ce qu'il a saigné!
Ah! fuyez! fuyez! loin de moi!
Ah! fuyez!
Que m'importe la vie et ce semblant de gloire?
Je ne veux que chasser du fond de ma mémoire...
Un nom maudit! ce nom... qui m'obsède et pourquoi?

LE PORTIER DU SÉMINAIRE
C'est l'office!

DES GRIEUX
(à lui-même)
J'y vais!
Mon Dieu!
De votre flamme
Purifiez mon âme...
Et dissipez à sa lueur
L'ombre qui passe encor dans le fond de mon coeur!
Ah! fuyez, douce image, à mon âme trop chère!
Ah! fuyez! fuyez! loin de moi!
Ah! fuyez! loin de moi! loin de moi!

(cloche lointaine)

LE PORTIER DU SÉMINAIRE
Il est jeune... et sa foi
Semble sincère... il a fait grand émoi
Parmi les plus belles
De nos fidèles!

(Manon paraît.)

MANON
(avec effort)
Monsieur... je veux parler... à... l'Abbé... Des Grieux!

LE PORTIER DU SÉMINAIRE
Fort bien!

MANON
(lui donnant de l'argent)
Tenez!
(Le Portier de Séminaire salue et sort.)
Ces murs silencieux...
Cet air froid qu'on respire...
Pourvu que tout cela n'ait pas changé son coeur!
Devenu sans pitié pour une folle erreur
Pourvu qu'il n'ait pas appris à maudire!

VOIX DANS LA CHAPELLE DU SÉMINAIRE
(dans le lointain)
Magnificat anima mea
Dominum,
Et exultavit
Spiritus meus.

MANON
(écoutant)
Là-bas... on prie... Ah!... je voudrais prier!
Pardonnez-moi,
Dieu de toute puissance,
Pardonnez-moi,
Dieu de toute puissance,
Car si j'ose vous supplier,
En implorant votre clémence,
Si ma voix de si bas... peut monter jusqu'aux cieux... ah!
(très expressif)
C'est pour vous demander le coeur de Des Grieux!
Pardonnez-moi, mon Dieu! pardonnez-moi, mon Dieu!

VOIX DANS LA CHAPELLE DU SÉMINAIRE
In Deo Salutari meo,
Salutari meo.

(Des Grieux entre par le fond.)

MANON
(avec angoisse)
C'est lui!
(Manon se détourne, elle est prête à défaillir. Des Grieux s'avance.)

DES GRIEUX
Toi!
(presque parlé)
Vous!

MANON
Oui... c'est moi!... c'est moi!
Oui! c'est moi!

DES GRIEUX
Que viens tu faire ici?
Va-t'en! Va-t'en!
Éloigne-toi!

MANON
(douloureux et suppliant)
Oui! Je fis cruelle et coupable!
Mais rappelez-vous tant d'amour!
Ah! dans ce regard qui m'accable
Lirai-je mon pardon, un jour?

DES GRIEUX
Éloigne-toi!

MANON
Oui! Je fus cruelle et coupable!
Ah! rappelez-vous tant d'amour!
Rappelez-vous tant d'amour!

DES GRIEUX
Non! j'avais écrit sur le sable
Ce rêve insensé d'un amour
Que le ciel n'avait fait durable
Que pour un instant,
(avec amertume)
pour un jour!

MANON
Oui! je fus coupable!
Oui! je fus cruelle...

DES GRIEUX
J'avais écrit sur le sable...
C'était un rêve
Que le ciel n'avait fait durable
Que pour un instant pour un jour!
Ah! perfide Manon!

MANON
(se rapprochant)
Si je me repentais...

DES GRIEUX
Ah! perfide! perfide!

MANON
Est-ce que tu n'aurais pas de pitié?

DES GRIEUX
(l'interrompant)
Je ne veux pas vous croire...
Non! vous êtes sortie enfin de ma mémoire...
Ainsi que de mon coeur!
(avec des larmes)
Hélas! Hélas! l'oiseau qui fuit
Ce qu'il croit l'esclavage
Le plus souvent la nuit,
D'un vol désespéré revient battre au vitrage!
Pardonne moi!

DES GRIEUX
No!

MANON
Je meurs à tes genoux...
(avec élan et désespoir)
Ah! rends moi ton amour
Si tu veux que je vive!

DES GRIEUX
Non! il est mort pour vous!

MANON
L'est il donc à ce point que rien ne le ravive!
Ecoute-moi!
Rappelle-toi!
(avec un grand charme et très caressant)
N'est-ce plus ma main que cette main presse?
N'est-ce plus ma voix?
N'est-elle pour toi plus une caresse,
Tout comme autrefois?
Et ces yeux, jadis pour toi pleins de charmes,
Ne brillent-ils plus à travers
(avec un sanglot)
mes larmes?
(très ému et haletant)
Ne suis-je plus moi?
N'ai-je plus mon nom?
Ah! regarde-moi! Regarde-moi!
N'est-ce plus ma main que cette main presse,
Tout comme autrefois?
N'est-ce plus ma voix? n'est-ce plus Manon!
Rappelle-toi...
N'est-ce plus ma main?
Ecoute-moi:
N'est-ce plus ma voix?
N'ai-je plus mon nom?
N'est-ce plus Manon?

DES GRIEUX
(dans le plus grand trouble)
O Dieu! Soutenez moi dans cet instant suprême...

MANON
Je t'aime!

DES GRIEUX
Ah! Tais-toi!
Ne parle pas d'amour ici..
C'est un blasphème...

MANON
Je t'aime!

DES GRIEUX
Ah! Tais-toi!
Ne parle pas d'amour!

MANON
(enfiévrée)
Je t'aime!

(Cloche lointaine)

DES GRIEUX
(écoutant, avec angoisse)
C'est l'heure de prier...

MANON
Non! Je ne te quitte pas!

DES GRIEUX
On m'appelle là-bas...

MANON
Non! Je ne te quitte pas!
Viens!
(avec fièvre)
N'est-ce plus ma main
Que cette main presse,
Tout comme autrefois?

DES GRIEUX
(éperdu peu à peu)
Tout comme autre fois!

MANON
Et ces yeux, jadis, pour toi pleins de charmes,
N'est-ce plus Manon?

DES GRIEUX
Tout comme autrefois...
Tout comme autrefois...

MANON
Ah! Regarde-moi!
Ne suis-je plus moi?
N'est-ce plus Manon?

DES GRIEUX
(avec élan)
Ah! Manon!
Je ne veux plus lutter contre moi même!

MANON
(avec un cri de joie)
Enfin!

DES GRIEUX
Et dussè-je sur moi faire crouler les cieux...
Ma vie est dans ton coeur,
Ma vie est dans tes yeux...
(avec exaltation et abandon)
Ah! Viens! Manon
Je t'aime!

MANON ET DES GRIEUX
(avec ardeur)
Je t'aime!

RIDEAU
[Variante pour les Théâtres qui n'ont pas de Ballet]

MANON
(revenant subitement à elle)
Non, sa vie à vie à la mienne est pour jamais liée...
Il ne peut m'avoir oubliée!
(Elle se dispose à partir lorsqu'elle aperçoit Lescaut
donnant le bras à Rosalinde et entrant en scène suivi de la foule.)
(s'adresse à Lescaut.)
Ma chaise, mon Cousin?

LESCAUT
(quittant le bras de Rosalinde et s'avançant avec empressement)
On faut-il vous porter, Cousine?

MANON
À St. Sulpice!

LESCAUT
(stupéfait)
A St. Sulpice! Quel est ce bizarre caprice?
Pardonnez-moi de vous faire répéter... à St. Sulpice?

MANON
(résolument et remontant pour sortir)
A St. Sulpice!

(Elle sort suivie de Lescaut qui fait de grands gestes d'étonnement, pendant que la foule redescend en scène. Reprise de Choeur final)

SEIGNEURS, ÉLÉGANTES - PROMENEURS, MARCHANDS,
MARCHANDES BRÉTIGNY - GUILLOT

(accompagnés de quelques amis; puis, Lescaut. Orchestre dans la salle. On rit.)

BRÉTIGNY
Répondez-moi, Guillot!

(On rit.)

GUILLOT
Jamais!
Mais rira bien qui rira le dernier!

BRÉTIGNY
Mr. de Morfontaine,
Vous allez tout me dire!

GUILLOT
A vous, mon ami, rien!
(se tournant vers Manon)
Mais à vous, ô ma Reine!

BRÉTIGNY
Plaît?

GUILLOT
Eh bien! oui...
l'Opéra que vous lui refusiez...
Il sera dans un instant... ici.

(Mouvement dans la foule.)

BRÉTIGNY
Je dois rendre les armes!
(à Manon)
Vous êtes triste!

MANON
Oh! non!

BRÉTIGNY
On dirait que des larmes...

MANON
Folie!

GUILLOT
(à Manon)
Allons, Manon,
Approchez, s'il vous plaît,
(avec importance)
On va danser pour vous notre nouveau ballet!
(à Lescaut)
Lescaut, venez!

LESCAUT
(vivement empressé)
Je suis là pour vous plaire...

GUILLOT
Veillez... le tout est à mes frais,
A ce qu'on donne à boire au populaire...
(tirant sa bourse)
Combien?

LESCAUT
(prenant la bourse et s'éloignant)
Nous compterons après!

SEIGNEURS, PROMENEURS, MARCHANDS ET MARCHANDES
(Brétigny, les Seigneurs avec les Ténors et les Basses)
Voici l'Opéra!

PRÉAMBULE
La Présentation

BRÉTIGNY, LES SEIGNEURS ET LA FOULE
L'Opéra! Voici l'Opéra!
Tout Paris en parlera!
C'est le ballet de l'Opéra!
(entr'eux)
C'est un plaisir de souveraine!
Et son rival enragera!
L'ami Guillot se ruinera.
Avoir fait venir l'Opéra

GUILLOT
(à part, avec joie)
C'est un plaisir de souveraine!
Avoir fait venir l'Opéra
Et son ballet au Cours-la-Reine!
(En imitant le mouvement des danseurs)
Mon rival enragera!
Il enragera!

LES SEIGNEURS ET LA FOULE
Avoir fait venir l'Opéra!
Tout Paris en parlera!
C'est le ballet de l'Opéra!

1re Entrée
2me Entrée
3me Entrée
4me Entrée

MANON
(à part, à elle-même, troublée)
Non... sa vie à la mienne est pour jamais liée!
Il ne peut m'avoir oubliée...
(voyant Lescaut près d'elle)
ma chaise, mon cousin...

LESCAUT
Où faut-il vous porter cousine?

MANON
À St. Sulpice!

LESCAUT
Quel est ce bizarre caprice?
Pardonnez-moi de faire répéter...
À St. Sulpice?

MANON
À St. Suplice!

GUILLOT
Eh bien, maîtresse de ma vie qu'en dites-vous?

MANON
Je n'ai rien vu!

GUILLOT
(stupéfait)
Rien vu! voilà le prix de ma galanterie!
Est-ce là ce qui m'était dû?

[Variante pour les Théâtres qui n'ont pas de ballet: Recommence ici.]

PROMENEURS - MARCHANDS ET MARCHANDES
C'est fête au Cours-la-Reine!
On y danse, On y boit à la santé du Roi!
A la santé du Roi!

(Le Choeur continue rideau baissé.)
Le Parloir de Séminaire de Saint-Sulpice.
(Gd Orgue derrière le rideau baissé. Grandes Dames et Bourgeoises dévotes sortant de la chapelle du séminaire.)

DEVOTES, GDES DAMES ET BOURGEOISES
(entr'elles, parlant de Des Grieux)
Quelle éloquence!
L'admirable orateur!
Quelle abondance!
Le grand prédicateur!
Ah! L'admirable orateur!
Et dans sa voix quelle douceur!
Quelle douceur, et quelle flamme!
Comme en l'écoutant...
La ferveur pénètre doucement jusqu'au fond de nos âmes!
Ah! Quel orateur!
L'admirable orateur
Le grand prédicateur!
De quel art divin
Il A dans sa thèse.
Peint Saint Augustin
Et Sainte Thérèse!
Lui-même est un Saint!
C'est un fait certain!
N'est-ce pas, ma chère!
C'est un Saint!
C'est certain!
C'est un Saint!
(Des Grieux paraît. Les dévotes, entr'elles, avec dévotion.)
C'est Lui! c'est l'abbé Des Grieux
Voyez comme il baisse les yeux!
(Les dévotes et les fidèles sortent peu à peu après avoir salué Don Grieux avec de profondes révérences.)

LE COMTE DES GRIEUX
Bravo, mon cher, succès complet!
Notre maison doit être fière
D'avoir parmi les siens un nouveau Bossuet.

DES GRIEUX
De grâce, épargnez-moi, mon père.
(Silence)

LE COMTE
Et, c'est pour de bon, Chevalier,
Que tu prétends au ciel pour jamais te lier?

DES GRIEUX
Oui, Je n'ai trouvé dans la vie
Qu'amertume et dégoût...

LE COMTE
(Avec une légère ironie)
Les grands mots que voilà!
Quelle route as-tu donc suivie,
Et que sais-tu de cette vie
Pour penser qu'elle finit là?
Épouse quelque brave fille,
Digne de nous, digne de toi,
Deviens un père de famille
Ni pire, ni meilleur que moi:
Le ciel n'en veut pas davantage;
C'est là le devoir, entends-tu?
C'est là le devoir,
La vertu qui fait du tapage
N'est déjà plus de la vertu!
Épouse quelque brave fille,
Digne de nous, digne de toi,
Le ciel n'en veut pas davantage;
C'est là le devoir, C'est là le devoir!

DES GRIEUX
Rien ne peut m'empêcher
De prononcer mes voeux!

LE COMTE
C'est dit alors?

DES GRIEUX
Oui, je le veux!

LE COMTE
Soit! Je franchirai donc seul cette grille,
Et vais leur annoncer là-bas
Qu'ils ont un Saint dans la famille...
J'en sais beaucoup qui ne me croiront pas!

DES GRIEUX
Ne raillez pas,
Monsieur, je vous en prie!

LE COMTE
(ému)
Un mot encore,
Comme il n'est pas certain
Que l'on te donne ici, du jour au lendemain,
Un bénéfice, une abbaye...
Je vais dès ce soir t'envoyer
Trente mille livres...

DES GRIEUX
Mon père...

LE COMTE
C'est à toi, c'est ta part
Sur le bien de ta mère;
Et maintenant... adieu, mon fils,

DES GRIEUX
Adieu mon père!

LE COMTE
Adieu... reste à prier!

DES GRIEUX
(seul)
Je suis seul!
Seul enfin!
C'est le moment suprême!
(calme)
Il n'est plus rien que j'aime
Que le repos sacré que m'apporte la foi!
Oui, j'ai voulu mettre
Dieu même
Entre le monde et moi!
(très calme; sostenuto cantabile)
Ah! fuyez, douce image, à mon âme trop chère;
Respectez un repos cruellement gagné,
Et songez, si j'ai bu dans une coupe amère,
Que mon coeur l'emplirait de ce qu'il a saigné!
Ah! fuyez! fuyez! loin de moi!
Ah! fuyez!
Que m'importe la vie et ce semblant de gloire?
Je ne veux que chasser du fond de ma mémoire...
Un nom maudit! ce nom... qui m'obsède et pourquoi?

LE PORTIER DU SÉMINAIRE
C'est l'office!

DES GRIEUX
(à lui-même)
J'y vais!
Mon Dieu!
De votre flamme
Purifiez mon âme...
Et dissipez à sa lueur
L'ombre qui passe encor dans le fond de mon coeur!
Ah! fuyez, douce image, à mon âme trop chère!
Ah! fuyez! fuyez! loin de moi!
Ah! fuyez! loin de moi! loin de moi!

(cloche lointaine)

LE PORTIER DU SÉMINAIRE
Il est jeune... et sa foi
Semble sincère... il a fait grand émoi
Parmi les plus belles
De nos fidèles!

(Manon paraît.)

MANON
(avec effort)
Monsieur... je veux parler... à... l'Abbé... Des Grieux!

LE PORTIER DU SÉMINAIRE
Fort bien!

MANON
(lui donnant de l'argent)
Tenez!
(Le Portier de Séminaire salue et sort.)
Ces murs silencieux...
Cet air froid qu'on respire...
Pourvu que tout cela n'ait pas changé son coeur!
Devenu sans pitié pour une folle erreur
Pourvu qu'il n'ait pas appris à maudire!

VOIX DANS LA CHAPELLE DU SÉMINAIRE
(dans le lointain)
Magnificat anima mea
Dominum,
Et exultavit
Spiritus meus.

MANON
(écoutant)
Là-bas... on prie... Ah!... je voudrais prier!
Pardonnez-moi,
Dieu de toute puissance,
Pardonnez-moi,
Dieu de toute puissance,
Car si j'ose vous supplier,
En implorant votre clémence,
Si ma voix de si bas... peut monter jusqu'aux cieux... ah!
(très expressif)
C'est pour vous demander le coeur de Des Grieux!
Pardonnez-moi, mon Dieu! pardonnez-moi, mon Dieu!

VOIX DANS LA CHAPELLE DU SÉMINAIRE
In Deo Salutari meo,
Salutari meo.

(Des Grieux entre par le fond.)

MANON
(avec angoisse)
C'est lui!
(Manon se détourne, elle est prête à défaillir. Des Grieux s'avance.)

DES GRIEUX
Toi!
(presque parlé)
Vous!

MANON
Oui... c'est moi!... c'est moi!
Oui! c'est moi!

DES GRIEUX
Que viens tu faire ici?
Va-t'en! Va-t'en!
Éloigne-toi!

MANON
(douloureux et suppliant)
Oui! Je fis cruelle et coupable!
Mais rappelez-vous tant d'amour!
Ah! dans ce regard qui m'accable
Lirai-je mon pardon, un jour?

DES GRIEUX
Éloigne-toi!

MANON
Oui! Je fus cruelle et coupable!
Ah! rappelez-vous tant d'amour!
Rappelez-vous tant d'amour!

DES GRIEUX
Non! j'avais écrit sur le sable
Ce rêve insensé d'un amour
Que le ciel n'avait fait durable
Que pour un instant,
(avec amertume)
pour un jour!

MANON
Oui! je fus coupable!
Oui! je fus cruelle...

DES GRIEUX
J'avais écrit sur le sable...
C'était un rêve
Que le ciel n'avait fait durable
Que pour un instant pour un jour!
Ah! perfide Manon!

MANON
(se rapprochant)
Si je me repentais...

DES GRIEUX
Ah! perfide! perfide!

MANON
Est-ce que tu n'aurais pas de pitié?

DES GRIEUX
(l'interrompant)
Je ne veux pas vous croire...
Non! vous êtes sortie enfin de ma mémoire...
Ainsi que de mon coeur!
(avec des larmes)
Hélas! Hélas! l'oiseau qui fuit
Ce qu'il croit l'esclavage
Le plus souvent la nuit,
D'un vol désespéré revient battre au vitrage!
Pardonne moi!

DES GRIEUX
No!

MANON
Je meurs à tes genoux...
(avec élan et désespoir)
Ah! rends moi ton amour
Si tu veux que je vive!

DES GRIEUX
Non! il est mort pour vous!

MANON
L'est il donc à ce point que rien ne le ravive!
Ecoute-moi!
Rappelle-toi!
(avec un grand charme et très caressant)
N'est-ce plus ma main que cette main presse?
N'est-ce plus ma voix?
N'est-elle pour toi plus une caresse,
Tout comme autrefois?
Et ces yeux, jadis pour toi pleins de charmes,
Ne brillent-ils plus à travers
(avec un sanglot)
mes larmes?
(très ému et haletant)
Ne suis-je plus moi?
N'ai-je plus mon nom?
Ah! regarde-moi! Regarde-moi!
N'est-ce plus ma main que cette main presse,
Tout comme autrefois?
N'est-ce plus ma voix? n'est-ce plus Manon!
Rappelle-toi...
N'est-ce plus ma main?
Ecoute-moi:
N'est-ce plus ma voix?
N'ai-je plus mon nom?
N'est-ce plus Manon?

DES GRIEUX
(dans le plus grand trouble)
O Dieu! Soutenez moi dans cet instant suprême...

MANON
Je t'aime!

DES GRIEUX
Ah! Tais-toi!
Ne parle pas d'amour ici..
C'est un blasphème...

MANON
Je t'aime!

DES GRIEUX
Ah! Tais-toi!
Ne parle pas d'amour!

MANON
(enfiévrée)
Je t'aime!

(Cloche lointaine)

DES GRIEUX
(écoutant, avec angoisse)
C'est l'heure de prier...

MANON
Non! Je ne te quitte pas!

DES GRIEUX
On m'appelle là-bas...

MANON
Non! Je ne te quitte pas!
Viens!
(avec fièvre)
N'est-ce plus ma main
Que cette main presse,
Tout comme autrefois?

DES GRIEUX
(éperdu peu à peu)
Tout comme autre fois!

MANON
Et ces yeux, jadis, pour toi pleins de charmes,
N'est-ce plus Manon?

DES GRIEUX
Tout comme autrefois...
Tout comme autrefois...

MANON
Ah! Regarde-moi!
Ne suis-je plus moi?
N'est-ce plus Manon?

DES GRIEUX
(avec élan)
Ah! Manon!
Je ne veux plus lutter contre moi même!

MANON
(avec un cri de joie)
Enfin!

DES GRIEUX
Et dussè-je sur moi faire crouler les cieux...
Ma vie est dans ton coeur,
Ma vie est dans tes yeux...
(avec exaltation et abandon)
Ah! Viens! Manon
Je t'aime!

MANON ET DES GRIEUX
(avec ardeur)
Je t'aime!

RIDEAU

最終更新:2010年06月04日 19:38