ACTE 1
(Un jardin très ombragé où s'entremêlent toutes les fleurs de l'Inde. Au fonds, près d'un petit cours d'eau une sorte de temple perdu dans la verdure. C'est le lever du jour.)
No. 1a. Introduction
Prayer et Chœur
(Au lever du rideau, Hadji et mallika vont ouvrir la porte du jardin à des Hindous, hommes et femmes, qui entrent avec recueillement.)
Rideau
LES HINDOUS
(Mallika avec les soprani, Hadji avec le 2e ténor)
A l'heure accoutumée,
Quand la plaine embaumée,
Par l'aurore enflammée,
Fête le jour naissant,
Unissons nos prière,
Pour calmer les colères,
Pour calmer les colères,
De Brahma mençant,
Pour calmer les colères
De Brahma me naçant.
NILAKANTHA
Soyez trois fois bénis,
vous qui rendez hommage
Au prètre abandonné qu'on raille
et qu'on raille et qu'on outrage!
De nos vainqueurs odieux
Nous lasserons les colères;
Ils ont pu chasser nos Dieux
Et leurs temples séculaires!
Mais, sur leurs têtes, Brahma
A suspendu sa vengeance,
Et, quand elle éclartera,
De sera la délivrance.
Dans ma retraite, aujourd'hui,
La puissance de Dieu brille,
Je le vois, je monte à lui,
je le vois, je monte à lui
Quand j'entends prier ma fille!
(Tous les Hindous se prosternent.)
LAKMÉ
(dans la coulisse)
Blanche Dourga,
Pâle Siva!
Puissant Ganeça!
O vous que créa Brahman! ah!
LES HINDOUS
O Dourga, blanche Dourga,
Ganeça, protégez-nous,
O Siva, apaisez-vous
Dieux tout puissant que créa Brahma!
(Les Hindous à bouche fermées.)
(Lakmé parait.)
LAKMÉ
Blanche Dourga,
Pâle Siva!
Puissant Ganneça!
O vous, que créa Brahma! Ah!
LES HINDOUS
O Dourga, blanche Dourga,
Ganeça, protégez-nous,
O Siva, apaisez-vous
Dieux tout puissant que créa Brahma!
NILAKANTHA
Allez en paix, redites en partant,
La prière au matin,
Allez, allez!
Dieu vous entend!
LES HINDOUS
A l'heure accoutumée
Quand le pleine embaumée,
Par l'aurore enflammée
Fête le jour naissant,
Unissons nos prières,
Pour calmer les colères
Pour calmer les colères
De Brahma menaçant,
Pour calmer les colères
De Brahma menaçant.
(Les Hindous sortent avec recueillement.)
No. 1b. Scène
NILAKANTHA
(avec tendresse)
Lakmé, c'est toi qui nous protèges!
Et si je peux braver les haines sacrilèges
De l'ennemi triomphant,
C'est que Dieu prend pitié de la candeur d'enfant.
LAKMÉ
Lorsque Brahma dans sa clémence,
En broyant une fleur fit la terre et le ciel,
Il y laissa le miel!
Et ce fut l'espérance!
NILAKANTHA
Il faut que je te quitte à l'instant!
LAKMÉ
Quoi, déjà?
NILAKANTHA
Sois sans crainte!
Dans la pagode sainte,
Qui reste encor debout, à la ville on m'attend;
La fête de demain m'appelle!
(au deux serviteurs)
Restez près de Lakmé.
HADJI
Nous veillerons sur elle.
MALLIKA
Nous veillerons tous deux.
NILAKANTHA
Je serai de retour
Avant la fin du jour.
Ensemble
LAKME, MALLIKA & HADJI
Que le ciel te protège,
Te guide par la main,
Chasse tout sacrilège
Au loin de ton chemin,
Chasse tout sacrilège
Au loin de ton chemin.
NILAKANTHA
Que le ciel me protège,
Me guide par la main,
Chasse tout sacrilège
Au loin de mon chemin,
Chasse tout sacrilège
Au loin de mon chemin.
(Nilakantha sort.)
No. 2. Duet
LAKMÉ
(gaiement)
Viens, Mallika, les lianes en fleurs
Jettent déjà leur ombre
Sur le ruisseau sacré qui coule, calme et sombre,
Eveillé par le chant des oiseaux tapageurs!
MALLIKA
Oh! maîtresse,
C'est l'heure ou je te vois sourire,
L'heure bénie où je puis lire
dans le cœur toujours fermé de Lakmé!
LAKMÉ
Dôme épais le jasmin,
A la rose s'assemble,
Rive en fleurs frais matin,
Nous appellent ensemble.
Ah! glissons en suivant
Le courant fuyant:
Dans l'onde frémissante,
D'une main nonchalante,
Gagnons le bord,
Où l'oiseau chante, l'oiseau, l'oiseau chante.
Dôme épais, blanc jasmin,
Nous appellent ensemble!
MILLIKA
Sous le dôme épais, où le blanc jasmin
A la rose s'assemble,
Sur la rive en fleurs riant au matin,
Viens, descendons ensemble.
Doucement glissons
De son flot charmant
Suivons le courant fuyant:
Dans l'onde frémissante,
D'une main nonchalante,
Viens, gagnons le bord,
Où la source dort
Et l'oiseau, l'oiseau chante.
Sous le dôme épais,
Sous le blanc jasmin,
Ah! descendons ensemble!
LAKMÉ
Mais, je ne sais quelle crainte subite,
S'empare de moi,
Quand mon père va seul à leur ville maudite;
Je tremble, je tremble d'effroi!
MALLIKA
Pourquoi le Dieu Ganeça le protège,
Jusqu'à l'étang où s'ébattent joyeux
Les cygnes aux ailes de neige,
Allons cueillir les lotus bleus.
LAKMÉ
Oui, près des cygnes aux ailles de meige,
Allons cueillir les lotus bleus.
Ensemble
LAKMÉ
Dôme épais le jasmin,
A la rose s'assemble,
Rive en fleurs frais matin,
Nous appellent ensemble.
Ah! glissons en suivant
Le courant fuyant:
Dans l'onde frémissante,
D'une main nonchalante,
Gagnons le bord,
Où l'oiseau chante, l'oiseau, l'oiseau chante.
Dôme épais, blanc jasmin,
Nous appellent ensemble!
MALLIKA
Sous le dôme épais, où le blanc jasmin
A la rose s'assemble,
Sur la rive en fleurs riant au matin,
Viens, descendons ensemble.
Doucement glissons
De son flot charmant
Suivons le courant fuyant:
Dans l'onde frémissante,
D'une main nonchalante,
Viens, gagnons le bord,
Où la source dort
Et l'oiseau, l'oiseau chante.
Sous le dôme épais,
Sous le blanc jasmin,
Ah! descendons ensemble!
(Elles remontent lentement vers la barque amarrée dans les roseaux.)
(Lakmé et Mallika montent dans la barque qui s'éloigne.)
LAKME & MALLIKA
(dans le lointain)
Ah! ah! ah!
MISS BENSON
Miss Rose, Miss Ellen, respectez les clôtures.
ELLEN
Laissez-nous voir au moins par-dessus les bambous.
ROSE
La brèche est faite on peut passer!
GERARD
Voilà Mistress Bentson qui cout les aventures!
MISS BENSON
C'est très irrégulier.
GERARD
Mais c'est très amusant!
FREDERIC
Dangereux quelquefois!
GERARD
Voilà ce qui nous tente!
MISS BENSON
Mais moi, je dois être prudente comme gouvernante.
ELLEN
L'Inde est abominable!
GERARD
C'est un pays enchanteur puisqu'on y peut mourir en mordant une fleur.
FREDERIC
O poète, perdu dans le ciel où tu planes!
Reconnais-tu le lotus des Brahmanes?
La pagode-cachée où l'on chante Brahma:
nous sommes chez Nilakantha?
TOUS
Nilakantha!
GERARD
Ce Brahmane indompté qui souffle aux Indiens la haine vengeresse?
FREDERIC
Il a fait de sa fille une divinité—
mieux mieux encore une charmeresse—
qui se cache, dit-on, ainsi qu'une déesse
dans ce doux paradis aux profanes fermé.
On la nomme Lakmé.
GERARD
Lakmé
No. 3. Quintette & Couplets
GERARD
Et vous croyez qu'elle est belle?
FREDERIC
Ravissante, dit-on!
ELLEN
Quand une femme est si jolie,
Elle a bien tort de se cacher.
FREDERIC
Dans ce pays tout est folie
Et j'admets tout, moi, sans broncher.
GERARD
Une idole qu'on divinise!
ROSE
Que l'on enferme avec ferveur!
GERARD
Et qui jamais ne s'humanise!
MISS BENSON
Je la crois laide à faire peur!
ELLEN
Une femme est toujours sensible
Au juste hommage qu'on lui rend.
FREDERIC
En Europe, c'est bien possible;
Mais ici, c'est tout différent!
Ensemble
ELLEN & ROSE
Ah! beaux faiseurs de systèmes,
Amoureux du changement,
Laissez-là vos poèmes
Et raisonnons un moment.
Oui, les femmes sont partout les mêmes
Fort heureusement,
Les femmes sont les mêmes partout les mêmes
Fort heureusement, fort heureusement!
MISS BENSON
Ah! beaux faiseurs de systèmes,
Amoureux du changement,
Laissez-là vos poèmes
Et raisonnons un moment.
Partout les femmes sont les mêmes
Partout les femmes sont les mêmes
Fort heureusement!
GERARD
Ah! beaux faiseurs de systèmes,
Amoureux du changement,
Laissez-là vos poèmes
Et raisonnons un moment.
Partout les femmes sont toujours les mêmes
Partout les femmes sont les mêmes,
Heureusement,
Fort heureusement, fort heureusement!
FREDERIC
Je hais tous les systèmes,
J'observe tout simplement
Sans faire du poèmes,
J'observe tout simplement.
Les femmes ne sont pas partout les mêmes
Les femmes ne sont pas les mêmes,
Heureusement,
Fort heureusement, fort heureusement!
ELLEN
Si nous cherchions un peu sa trace
Dans cet enclos mystérieux?
FREDERIC
Oh! non! ce serait d'une audace
A faire bondir tous leurs Dieux!
ROSE
(railleuse)
A-t-elle une grâce divine?
FREDERIC
(sarcastique)
Mon Dieu! moi, je me l'imagine!
GERARD
(raillant)
Faudrait-il vivre à ses genoux?
MISS BENSON
(ironique)
Dites donc qu'elle est mieux que nous!
FREDERIC
Je ne dis pas cette sottise,
Non…
Mais, sous ce beau ciel de feu,
Les femmes, qui leur soleil grise,
Des nôtres différent un peu.
Leur vertu bizarre
Manque d'apparat;
L'amour s'en empare
Sans loi ni contrat!
Ce n'est plus l'amour aux façons coquettes,
Ce n'est plus ce tendre et doux sentiment,
Un bonheur d'allures discrètes,
Qui finit très moralement.
Non, leur cœurs s'enivre
Du plaisir d'aimer
Et pour elles, vivre,
Ce n'est que charmer,
Vivre, c'est charmer!
ELLEN
(récit.)
Ce sont des femmes idéales,
Qui charment instantanément
Et nous leur paraîtrons banales,
Nous, qui voulons plaire autrement.
Nous sommes conquises avec moins d'éclat!
De peur des surprises
La raison combat.
Mais elles n'ont pas, vos enchanteresses,
L'effrois charmants des premiers aveux,
Ni les troubles, ni les ivresses
D'un bonheur que l'on rêve à deux!
Ces beautés célestes
Savant tout charmer,
Mais nous, plus modestes,
Nous savons aimer, nous savons aimer.
FREDERIC
Ne croyez pas que je compare!
ELLEN, ROSE & MISS BENSON
C'est votre esprit qui vous égare!
GERARD
Il est naïf en vérité!
FREDERIC
Je dis ce qu'on m'a raconté non, non,…
Ensemble
ELLEN, ROSE, MISS BENSON & GERARD
Vraiment son esprit s'égare,
C'est trop de naïveté
Quelle crédulité quelle crédulité!
Ah! beaux faiseurs de systèmes,
Amoureux du changement.
Laissez-là vos poèmes
Et raisonnons froidement.
FREDERIC
Je crois ce qu'on m'a raconté, ce qu'on m'a raconté!
Moi, je hais tous les systèmes.
J'observe tout simplement,
Sans faire de poèmes
J'observe tout simplement.
ELLEN & ROSE
Oui, les femmes sont partout les mêmes
Fort heureusement,
Les femmes sont les mêmes partout les mêmes
Fort heureusement, fort heureusement!
Gardez-vous de rien changer.
En amour c'est un danger.
Ah! (laissez-là vos beaux système) ah!
Partout les femmes sont bien les mêmes, les mêmes!
MISS BENSON
Partout les femmes sont les mêmes
Partout les femmes sont les mêmes
Fort heureusement!
Gardez-vous de rien changer.
En amour c'est un danger,
Ah! laissons-là ces beaux systèmes.
Partout les femmes,
les femmes sont bien les mêmes, les mêmes!
GERARD
Partout les femmes sont toujours les mêmes
Partout les femmes sont les mêmes,
Heureusement,
Fort heureusement, fort heureusement!
Gardons-nous, de rien changer.
En amour c'est un danger,
Ah! laissez-là vos beaux systèmes,
Partout les femmes,
les femmes sont bien les mêmes, les mêmes!
FREDERIC
Les femmes ne sont pas partout les mêmes
Les femmes ne sont pas les mêmes,
Heureusement,
Fort heureusement, fort heureusement!
Oui, parfois il faut changer.
Je n'y vois aucun danger.
Je ne veux suivre aucuns systèmes,
Partout les femmes,
les femmes, ne sont pas les mêmes, les mêmes!
FREDERIC
Nous commettons un sacrilège qu'on indou ne pardonne pas!
GERARD
Qu'importe à des soldats!
FREDERIC
On tombe un jour sans bruit enfermé dans un piège!
MISS BENTSON
Partons! Partons!
ROSE
(apercevant les bijoux)
Oh! des bijoux!
MISS BENTSON
Suivez-moi!
ELLEN
Des bijoux ravissants!
Laissez-nous les voir!
MISS BENTSON
Non! non!
ELLEN
Quel dommage!
GERARD
Eh bien! j'en prendrai le dessin.
ELLEN
Vous resterez sans nous?
GERARD
Vous les mettrez le jour de notre mariage!
ELLEN
Pourtant, si c'était dangereux…
GERARD
Non!
FREDERIC
C'est très imprudent.
Ah! le vilain métier que celui d'homme sage!
No. 4a. Aria
GERARD
(récit.)
Prendre le dessin d'un bijou,
Est-ce donc aussi grave?
Ah! Frédéric est fou!
Mais d'où vient maintenant cette crainte insensée?
Quel sentiment surnaturel
A troublé ma pensée
Devant ce calme solennel!
Fille de mon caprice,
L'inconnue est devant mes yeux!
Sa voix à mon oreille glisse
Des mots mystérieux.
Non! non!
Fantaisie aux divins mensonges,
tu reviens m'égarer encor.
Va, retourne au pays de songes,
O fantaisie aux ailes d'or
O fantaisie aux ailes d'or!
Va! va! Retourne au pays des songes.
O fantaisie aux ailes d'or!
Au bras poli de la païenne
Cette annelet dut s'enlacer!
Elle tiendrait toute en la mienne,
La main qui seule y peut passer!
Ce cercle d'or
Je le suppose,
A suivi les pas voyageurs
D'un petit pied qui ne se pose
Que sur la mousse ou sur les fleurs…
Et ce collier encor parfumé d'elle,
De sa personne encor tout embaumé,
A pu sentir battre son cœur fidèle,
Tout tressaillant au nom du bien aimé,
tout tressaillant au nom du bien aimé.
Non! Non! Fuyez!
Fuyez, chimères.
Rêves éphémères
Qui troublez ma raison.
Fantaisie aux divins mensonges,
Tu reviens m'égarer encor.
Va, retourne au pays des songes,
O fantaisie aux ailes d'or.
O fantaisie aux ailes d'or.
Va! va! retourne au pays des songes,
O fantaisie aux ailes d'or, ô fantaisie,
ô fantaisie aux ailes d'or!
No.4b. Scène
GERARD
Non! Je ne veux pas toucher à ces parures de jeune fille!
Non! c'est une profantion!
Lakmé, elle s'appelle Lamké.
C'est elle, les mains pleins de fleurs.
Lakmé! C'est elle!
(Il se cache, tout ému.)
LAKME & MALLIKA
O toi qui nous protèges,
Garde-nous des pièges
De nos persécuteurs!
(Elles posent les fleurs.)
LAKMÉ
Et maintenant, dans cette eau transparente
Qui sur le sable d'or, murmure insouciante,
D'un soleil accablant viens braver les ardeurs.
MALLIKA
Oui, profitons de l'heure propice
Où les arbres touffus
Répandent sur la rive une ombre protectrice!
(Elle disparaît derrière les arbres. Lakmé qui a fait un mouvement pour la suivre, s'arrête rêveuse.)
LAKMÉ
Mais je sens en mon cœur des murmures confus!
No. 5. Récitatif et strophes
LAKMÉ
Les fleurs me paraissent plus belles.
Le ciel est plus resplendissant!
Les bois ont des chansons nouvelles.
L'air qui passe est plus caressant.
Je ne sais quel parfum m'enivre.
Tout palpite et je commence à vivre.
Pourquoi?
Pourquoi dans les grands bois aimai-je à m'égarer
Pour y pleurer?
Pourquoi suis-je attristée au chant d'un colombe,
Pour une fleur fanée, une feuille qui tombe?
Et cependant ces pleurs ont des charmes pour moi,
Je me sens heureuse,
Je me sens heureuse,
Pourquoi?
Pourquoi chercher un sens au murmure des eaux
Dans les roseaux?
Pourquoi ces voluptés à sentir dans l'espace
Comme un souffle divin qui m'embaume et qui passe?
Parfois aussi ma bouche a souri malgré moi,
Je me sens heureuse,
Je me sens heureuse.
Pourquoi?
No. 5bis. Récititatif
LAKMÉ
(apercevant Gérard et poussant un cri)
Ah! Malllika! Mallika!
MALLIKA
(accourant)
Lamké!
HADJI
(accourant)
Quel danger te menace!
LAKMÉ
(maîtrisant son émotion)
Aucun! Je me trompais…
Tout m'effraie aujourd'hui!
Mon père ne vient pas, et pourtant l'heure passe…
Allez tous deux vers lui, allez!
(Mallika et Hadji sortent en la regardant avec étonnement.)
No. 6, Duo
LAKMÉ
(courroucée)
D'ou viens-tu?
Que veux-tu?
Pour punir ton audace
On t'aurait tué devant moi!
(à demi voix)
Mais je rougis de mon effroi!
Et je ne veux pas qu'on sache
Que le pied d'un barbare a souillé d'une tache
La demeure sacrée où mon père se cache!
Oublie et pour jamais ce qui frappe tes yeux,
Va-t'en! Va-t'en!
Va-t'en! je suis fille des Dieux!
GERARD
Oublier que je t'ai vue,
Te redressant toute émue
Sous un geste triomphant!
De colère frémissante,
Inflexible, menaçante,
Avec ce regard d'enfant!
Oublier que je t'ai vue
te redressant toute émue
Avec ce regard d'enfant!
LAKMÉ
Jamais le plus téméraire,
Jamais un hindou mon frère,
N'oserait parler ainsi!
Et ce Dieu qui me protège
Punira ton sacrilège,
Va-t'en, va t'en sors d'ici!
GERARD
Oublier que je t'ai vue!
Et cette grâce ingénue!
Et ce charme pénétrant!
Ensemble
GERARD
Ah! tu veux que je t'oublie,
Lorsque je sens que ma vie
A tes lèvres se suspend,
Oublier que je t'ai vue!
Et cette grâce ingénue!
Ah! tu veux que je t'oublie,
Lorsque je sens que je sens que ma vie
A tes lèvres se suspend!
LAKMÉ
D'où vient qu'à sauve.
De surprise émue,
Mon cœur est tremblant!
A sa vue,
de surprise émue,
Je sens en mon cœur
L'ardeur
D'une étrange fièvre ah! va-t'en!
Tu ne savais pas, sans doute,
Quel danger tu courrais!
Maintenant suis ta route,
Va! C'est la mort dont rien ne pourrait te garder, va!
GERARD
(très doux)
Laisse-moi! laisse-moi te regarder!
LAKMÉ
(à part)
C'est pour moi dont il sait la haine,
Et c'est pour me voir un instant
Qu'il brave la mort, qu'il l'attend!
Quelle force vers moi l'entraîne?
(à Gérard)
D'où te vient
Cette audace surhumaine?
Quel est le Dieu qui te soutient?
GERARD
Quel Dieu? quel Dieu?
Ah C'est le Dieu de la jeunesse,
C'est le Dieu du printemps,
C'est le Dieu qui nous caresse
De ses baisers ardents,
Par qui s'ouvrent les calices
Des roses chaque jour,
C'est le Dieu de tes caprices
C'est l'amour!
LAKMÉ
Il m'a semblé une flamme
Avait passé sur mon âme,
L'emplissant toute d'émoi!
Quels sont ces mots nouveaux pour moi? ah!
(cherchant à ses rappeler)
C'est le Dieu de la jeunesse,
C'est le Dieu du printemps,
C'est le Dieu qui nous caresse
De ses baisers ardents,
Par qui s'ouvrent les calices
Des roses chaque jour,
C'est le Dieu de mes caprices!
C'est l'amour.
C'est l'amour!
GERARD
Ah! reste, reste encor pensive et rougissante,
Laisse passer sur ta douce pâleur
Le charme enchanteur
De ta pudeur naissante!
LAKME & GERARD
Ah!
(en élargissant)
C'est le Dieu de la jeunesse,
C'est le Dieu du printemps,
C'est le Dieu qui nous caresse
De ses baisers ardents,
Par qui s'ouvrent les calices
Des roses chaque jour,
C'est le Dieu de mes (tes) caprices, c'est l'amour!
C'est le Dieu de la jeunesse, c'est l'amour!
LAKMÉ
Grands Dieux! voici mon père!
Fuis! Par pitié par pitié!
(suppliant)
Par pitié…pour moi!
GERARD
(s'éloignant sans lui répondre)
Non! je ne t'oublierai plus, ô douce vision!
No. 6bis. Scène
HADJI
(montrant au Brahmane la clôture brisée)
Viens! là! là!
NILAKANTHA
(avec indignation)
Dans ma demeure!
Un profane est entré chez moi!
LAKMÉ
Je meurs d'effroi!
NILAKANTHA
Il faut qu'il meure!
Vengeance! Vengeance!
NILAKANTHA & LES HINDOUS
Vengeance!